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Le sanglot du mâle blanc


photo : pyntofmyld (Flickr)

Pour lancer leur nouvelle formule, les dirigeants du Nouvel Obs n’avaient sans doute pas choisi leur « une » au hasard. on peut donc considérer que le titre de ce numéro paru le 12 mai, deux jours avant que la bombe DSK éclate à la figure de la gauche, a valeur programmatique pour l’hebdomadaire de la gauche à grande conscience –
celle de classe étant un peu défraîchie.

On peut dire que l’Obs a eu le nez creux. la défiance à l’égard des élites n’est pas née avec l’affaire DSK, mais quelques phrases maladroites de ses amis ont suffi à renforcer, dans la France du métro et des bistrots, la conviction qu’il existe, à côté et à des années-lumière d’elle, une caste de nantis qui se serre les coudes en se fichant bien de ce que vit le populo. le fond de l’air est jacobin.

En bons disciples de Stéphane Hessel, nos confrères ont donc sélectionné le sujet le plus digne d’indignation. salauds de riches ! bien sûr, on parle des riches de droite, car on suppose que l’Obs ne veut pas insulter ses lecteurs, dont une partie notable appartient à ce que les publicitaires appellent les csp +, c’est-à-dire aux couches les plus aisées de la population, mais que le scandale des sans-papiers, des sans-logis ou de la Palestine empêche de dormir. Non, l’Obs parle des vrais riches, ceux qui n’ont jamais été maos[1. Il faut être juste, l’obs n’est pas seul à creuser ce sillon. le point, journal des libéraux-raisonnables, a récemment consacré une cover aux « Amis du Fouquet’s »].

« Ils ont tout ! », proclame l’hebdo, illustrant son propos par une insolente rolls-royce dont la statuette a été remplacée par l’effigie de Marianne. « Ils », la nouvelle oligarchie française. car en se convertissant au libéralisme, l’élite citoyenne d’hier s’est transformée en « hordes de pillards sans foi ni loi ». saluons cette autocritique implicite d’un journal qui, depuis vingt ans, a applaudi à toutes les étapes de la conversion de la gauche à une mondialisation menée sous l’enseigne des marchés. et applaudissons par ailleurs le dévouement de laurent joffrin qui s’inflige de participer aux dîners du « siècle » où se croise le gratin de la politique, de l’entreprise et des médias mais où, nous apprend-il, il ne se passe rien d’autre que la « reconnaissance mutuelle des puissants ». D’autant plus que, paraît-il, le dîner est médiocre.[access capability= »lire_inedits »]

Ils ont tout, mais quoi ? eh bien, c’est simple: « l’argent, le pouvoir, les privilèges ». Etrange que des hommes de gauche soient aussi attentifs à la richesse et à ses attributs, mais après tout peut-être sont-ils en train d’inventer le matérialisme posthistorique. il est surtout curieux qu’un journal qui dénonce inlassablement le populisme et traque sans répit ceux qui « flattent les mauvais instincts du peuple » sollicite la disposition la plus déplaisante et la plus répandue de l’esprit humain – l’envie. On l’aura compris, si certains
n’ont rien ou disons pas assez, c’est de la faute de ces profiteurs. les nantis à la lanterne ! et ceux-là, on a le droit et même le devoir de les stigmatiser pour employer un terme cher à mes confrères. Vous avez dit populiste ?

On me permettra cependant de contester le diagnostic de l’Observateur qui nous annonce que nous sommes en 1788, ce qui lui permet d’emballer son appel au ressentiment dans une mythologie égalitaire qui mériterait plus ample discussion. en fait d’abolition des privilèges, on a l’impression que la France excédée veut surtout que les privilèges changent de camp. À notre tour d’en croquer !

Plutôt qu’en 1788, nous sommes peut-être en 1793, ce qui est beaucoup moins amusant. les possédants, les dominants, occupent aujourd’hui dans l’imaginaire collectif, la place de ceux que les hommes de 1793 appelaient « scélérats ». Dans ces conditions, on comprend qu’une partie de la gauche ait envie de faire oublier qu’elle représente les classes aisées et la bourgeoisie éclairée – « une troupe aimable et diserte d’hommes blancs, le plus souvent chauves et replets », résume Joffrin – en s’affirmant comme l’inflexible représentante des humiliés et des offensés, ou plus exactement de certains d’entre eux, le « petit blanc » ayant définitivement été abandonné au Fn au profit des nouveaux opprimés ontologiques que sont les immigrés et leurs descendants. Infichue de penser les conséquences d’une mondialisation qu’elle a à la fois organisée et subie, incapable de comprendre la sécession de classes populaires auxquelles elle a renoncé à parler, la gauche convenable en serait-elle réduite à surfer sur l’esprit de convoitise ? Mes honorables confrères rêvent de bastilles à prendre. ils devraient méditer l’observation de stendhal qui, tout admirateur de la révolution française qu’il fût, y voyait aussi le déchaînement de ces passions tristes que sont « l’envie, la jalousie et la haine impuissante ».[/access]

Juin 2011 . N°36

Article extrait du Magazine Causeur



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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