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Le préfet était en Noir


Le préfet était en Noir

Après l’Arabe, le Noir. La France n’a pas encore son Obama mais elle peut au moins s’enorgueillir d’un « préfet visible », curieuse expression, employée sur France Inter par Alain Genestar, et qui a dû emplir d’allégresse tous les autres préfets, et l’intéressé aussi. On l’aura compris : contre la triste France de l’uniformité, invisible de surcroît, minée par ses « fièvres obsidionales », en proie à ses « détestables frilosités identitaires » comme a cru bon de le remarquer Le Monde, en grande forme, le jour où Goncourt et Renaudot étaient attribués à des écrivains d’origine étrangère, se dresse heureusement la France visible qui, coup de chance, est aussi celle de la diversité.

On ne savourera jamais assez le tête-à-queue sémantique qui conduit de pieux antiracistes à distinguer les individus et les groupes en fonction de leurs caractéristiques physiques. Pour faire court, plus t’es blanc, man, moins t’es visible.

Comme s’il ne suffisait pas de manier des catégories aussi déprimantes, certains visibles sont plus visibles que d’autres : c’est ainsi que les Asiatiques ont été implicitement éliminés de la course à la visibilité. On ne va pas tourner autour du pot : les « minorités visibles » dont il s’agit de favoriser la promotion pour réparer les crimes d’hier, ce sont les Arabes et les Noirs. À l’arrivée, les résultats de ce mic-mac sont croquignolets. On est raciste par antiracisme et discriminatoire pour lutter contre les discriminations. Ainsi quand certains commettent en toute visibilité des actes délictueux comme le brûlage de bagnoles, sociologues et journalistes se relaient pour expliquer en boucle que ces actes n’ont rien à voir avec la visibilité de leurs auteurs tout en réclamant d’un même élan que l’on réponde à ce malheur social par des mesures raciales – vous pouvez retourner la chose dans tous les sens, un avantage accordé en fonction de la couleur de la peau est bel et bien une mesure raciale[1. On dit généralement que le concept de race n’a aucune valeur scientifique. En fait, si : pendant longtemps, l’humanité s’est partagée entre plusieurs races, homo sapiens ceci ou cela. Mais cela fait quelques millions d’années qu’il y a une seule race humaine, aussi l’humanité est-elle à la fois une race et une espèce. Il y a une race humaine, pas une race indo-européenne. On se réfère ici au sens que donnent à l’idée de race racistes et antiracistes.]. Le « petit blanc » des cités a beau être aussi pauvre que ses copains, il n’a pas l’heur d’être issu de la diversité. Invisible. On vous dit qu’il n’y a rien à voir. Patrick Lozès, le président du CRAN, jure qu’il ne demande pas de discrimination ethnique mais il réclame « plus de couleurs » (sic !) sur les banc de l’Assemblée. Cherchez l’erreur. Au passage, sa réception à l’Elysée n’a pas manqué de déclencher une foire d’empoigne entre « visibles », les « domiens » (Antillais en novlangue) s’énervant contre les « d’origine africaine » tandis que les associations maghrébines s’inquiètent d’un « monopole des Noirs en matière de visibilité ». On attend avec impatience que les « minorités invisibles » (juifs, homos, pratiquants du saut à l’élastique) se mettent de la partie. On se marre, non ? Même pas.

Le plus hallucinant est que les journalistes, grands pourfendeurs d’idées reçues, se sont emparés de ces nouveaux hochets sans la moindre distance. Les idées niaises accrochées aux mots « visibilité » et « diversité », ils les ont non seulement reçues mais adoptées avec enthousiasme et manient maintenant ces concepts imbéciles avec le plus grand sérieux, incapables d’en percevoir la cocasserie. Dommage. Car tout cela se mesure, s’analyse, s’encourage. Ainsi peut-on lire sur le site du Nouvel Obs que « la diversité à la télévision n’a progressé que d’un point en dix ans ». Et dans l’entreprise ? Et dans la famille ? Que fait le gouvernement ? Comptez ! Combien de Noirs ? Combien d’Arabes ? Combien d’invisibles ? Il est vrai que le CSA qui, toujours sans aucun rapport avec le débat actuel, vient de pousser lui aussi sa gueulante, a cru bon de ramener les prolos dans la grande famille de la diversité. À en croire l’autorité de tutelle de l’audiovisuel public, non seulement il n’y a pas assez de ceux-ci et de ceux-là mais en plus, on manque de pauvres à la télé. Mais attention, la pauvreté, ce n’est pas un état (déplaisant) mais une origine. Ce qu’on veut, c’est des prolos qui causent prolo et qui sentent prolo. (page suivante)



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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