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Le crépuscule des ambassades


Le crépuscule des ambassades

Ceux qui pensent toujours que la vie dans nos ambassades à l’étranger ressemble à l’impayable pub télé vantant naguère les qualités gustatives et diplomatiques des chocolats Ferrero-Rocher vont être déçus. En ces temps de vaches maigres, il est tentant d’opérer des coupes claires dans une administration, celle des Affaires étrangères, où les effets électoraux produits par ces mesures d’économies seront négligeables. Lorsque, de surcroît, le ministre en fonction au Quai d’Orsay ne dispose pas d’une force de frappe politique et parlementaire lui permettant de limiter les dégâts, comme c’est le cas actuellement avec un Bernard Kouchner en fin de parcours, Bercy s’en donne à cœur joie. Au sens propre et figuré, car les « épiciers » des Finances ont toujours éprouvé des sentiments pour le moins mitigés envers les « aristos » du Quai, soupçonnés de mener aux frais de l’Etat une vie aussi oisive que dispendieuse dans des résidences de luxe.

Les gens de Bercy sont d’ailleurs de gros jaloux doublés d’hypocrites, car leurs fonctionnaires détachés dans les postes d’expansion économique à travers le monde disposent d’indemnités et d’avantages divers tout à fait comparables, et parfois supérieurs à ceux du personnel diplomatique…

Même le « soft power » exige plus que de belles paroles

Pour plus de détails sur ce qui se mijote dans les arrière-cuisines des salons dorés, on pourra se reporter à l’excellent livre Les Diplomates, du journaliste Franck Renaud, que l’on complètera pour le fun par la lecture de la BD Quai d’Orsay. Le premier s’efforce de montrer se qui se passe derrière le décor et le langage codé de la diplomatie à la française. Le second est une désopilante chronique des hautes sphères ministérielles à l’époque où Galouzeau de Villepin brillait de ses mille feux, tantôt Pardailhan, tantôt Don Quichotte, mais toujours le nez fendant l’air et citant Héraclite. Comme le scénario de cette BD a été conçu, (sous couvert d’un pseudonyme) par un ancien membre de son cabinet, chargé de l’élaboration du « langage » de la diplomatie villepinienne, ceux qui connaissent un peu la question trouveront là ce parfum d’authenticité qui renforce la satire.

En fait, une grande partie de la misère de notre service diplomatique est la conséquence de l’incapacité des gouvernements qui se sont succédés depuis les années 1990, période du dernier grand bouleversement géopolitique mondial, à trancher la question de la taille et de la fonction de notre réseau diplomatique. Est-il encore raisonnable, étant donné le poids politique et économique de la France du XXIe siècle de maintenir ce maillage serré de 160 postes diplomatiques permanents sur les 192 pays adhérant à l’ONU ? Ce réseau est le deuxième du monde après celui des Etats-Unis, et plus important que ceux de pays plus riches comme l’Allemagne ou le Japon. Quand on précise que le budget alloué à l’action diplomatique française représente 0,11 % du PIB national, contre 0,20 % au Royaume-Uni et 0,14 % en Allemagne pour des réseaux moins denses, on ne peut qu’être d’accord avec l’essayiste et haut fonctionnaire Nicolas Tenzer qui écrit : « Nous n’avons pas de stratégie de projection de nos capacités sur le plan international parce que cela fait bien longtemps que nous n’avons plus de stratégie internationale tout court. Non seulement nous nous reposons souvent sur une gloire ancienne, largement exagérée sinon imméritée, mais nous faisons mine de croire que la posture et l’emphase du verbe peuvent remplacer l’intendance.[1. Nicolas Tenzer, Quand la France disparaît du monde, (Grasset).] » Même ce « soft power », cette diplomatie d’influence douce que l’on voudrait substituer au « hard power » du brutal rapport de force (on peut toujours rêver !) exige plus que des belles paroles : un réseau culturel performant et unifié, une action économique extérieure dynamique et inventive, une aide au développement qui ne finisse pas dans la poche des potentats corrompus.

Sur ces affaires les langues commencent à se délier, plaçant enfin notre diplomatie au centre du débat public. Ainsi, Jean-Christophe Rufin, ancien ambassadeur au Sénégal déplore-t-il la dépossession du Quai d’Orsay des affaires africaines, traitées directement à l’Elysée par les conseillers du président de la République, eux-mêmes informés et influencés par des « hommes de l’ombre » comme l’avocat libanais Robert Bourgi…

Les limites de la diplomatie du reblochon

Notre ambassadeur à Londres, l’excellent Maurice Gourdault-Montagne, dit MGM, ex-sherpa de Jacques Chirac pour les sommets internationaux, a bien de la chance. Il peut compenser la réduction des crédits alloués aux festivités du 14 juillet dans sa résidence de la capitale du Royaume-Uni en « taxant » les vignerons savoyards de 450 bouteilles de leurs divers crus. Il leur fait miroiter les avantages qu’ils peuvent retirer de cette exposition devant l’élite de la société londonienne, qui ne manquera pas de faire la promotion de l’Apremont, du Chignin ou de la Mondeuse dans les restaurants chics de Chelsea ou Kensington. Les Savoyards commencent par rechigner, mais au final ils envoient leurs bouteilles à Maurice comme on prend un ticket de Loto. Mais il est douteux que son collègue en poste dans un pays à PIB par tête misérable puisse ainsi solliciter la générosité intéressée des producteurs de Champagne ou de reblochon fermier au lait cru.

Un nouvel élément vient embrouiller encore cet écheveau diplomatique : la création, annoncée fin juillet, de ce fameux service diplomatique de l’Union européenne, dirigé par la Haute représentante de l’UE pour les affaires extérieures Catherine Ashton, baronne travailliste de son état. Cette usine à gaz, censée mettre en œuvre une politique étrangère commune des 27, dont on a du mal à discerner la moindre substance quand on ne s’appelle pas Bernard Guetta, va employer quelque 8 000 fonctionnaires, pour l’essentiel puisés dans les divers services de la commission en charge de l’international. Il va de plus se voir affecter, à hauteur de 30 % de ses effectifs, des diplomates détachés par les divers pays de l’UE. Comme les plus puissants d’entre eux, notamment l’Allemagne, la France et le Royaume Uni n’entendent pas se laisser déposséder de leur autonomie diplomatique par Bruxelles, ils ont décidé d’affecter des ambassadeurs de haut vol à la direction de ce service. La France pousse son ambassadeur à Washington, Pierre Vimont, au poste clé de secrétaire général du machin ashtonien. Ce diplomate unanimement respecté – il fut directeur de cabinet du socialiste Védrine et de l’UMP Villepin (bien traité, d’ailleurs dans la BD citée plus haut) va devoir utiliser son talent à faire en sorte que la machine européenne ne vienne pas piétiner les plates-bandes de notre bonne vieille diplomatie hexagonale. Comme ses collègues allemands, britanniques ou espagnols auront le même souci, il y a gros à parier que ce service aura comme principale utilité d’assurer une présence collective des « petits » pays de l’UE dans des régions où ils n’avaient pas les moyens d’entretenir une légation…

Dans quelques mois devrait se dérouler devant le tribunal correctionnel de Paris le procès de deux anciens hauts diplomates présumés ripoux, Serge Boidevaix et Jean-Bernard Mérimée, accusés de s’être gavé de pétrole offert à eux par feu Saddam Hussein pour leur aide dans le contournement du programme «  pétrole contre nourriture » établi par l’ONU dans le cadre des sanctions contre l’Irak après la première guerre du Golfe.

«  Pour faire un bon ambassadeur, il ne suffit pas d’être con, encore faut-il être poli », nous apprend la vieille sagesse du Quai, qui n’avait pas prévu que l’intelligence énarchique de quelques diplomates pourrait se manifester dans leur habileté à se remplir les poches en se référant, noblesse oblige, au précédent de l’indépassable Talleyrand.

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