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La querelle des amis et des friends


La querelle des amis et des friends

Facebook est mon drame. Avant le lancement de la fameuse plate-forme de socialisation je lisais beaucoup, je voyais des amis, je m’asseyais à la terrasse des cafés de la Contrescarpe pour regarder passer les filles en lisant du Claudel. Bref je vivais. Mais depuis que j’ai un compte sur Facebook, c’est fini. Rideau ! Plus de littérature ! Plus de potes ! Plus de filles ! Maintenant, dès que j’ai cinq minutes à perdre je vais sur Facebook… j’espionne ce que font mes « ex », je m’abonne à des groupes d’intérêt débiles, j’affiche ma pride d’être « fan » de l’Atomium de Bruxelles ou de Xavier Darcos, je laisse des commentaires spirituels sous les photos de mes « friends ». C’est tellement plus moderne d’avoir des « friends » que d’avoir des « amis ». Les amis, ce sont les collègues du bureau, les anciens de la fac, les potes du club de squash. C’est pas top. Les « friends », c’est autre chose. Je compte parmi mes friends de vraies pointures, genre Yves Montand (car, oui, sur Facebook on peut être ami avec des morts)… mais, pour être honnête, ceux que je préfère, ce sont les hommes et les femmes politiques.

Eux je ne sais pas comment ils font avec Facebook. Où vont-ils chercher le temps de renseigner ou modifier leurs profils ? Car sur Facebook, on n’a pas de personnalité, mais un « profil ». Et il faut l’entretenir ce profil, le mettre à jour, changer l’eau des plantes, aérer de temps en temps. Penser à mettre à jour sa « situation » amoureuse. Comment font-ils, mes « friends » politiques pour s’occuper de tout ça ? Parce que c’est du boulot. Il ne faut pas cocher une case à la légère… sur Facebook, tout est question de cases à cocher. Lorsque toute la complexité de l’égo humain se réduit à un « profil » numérique, l’homme ne recherche plus que quatre grandes choses dans la vie : l’amitié, cochez 1, des rencontres, cochez 2, une relation, cochez 3, ou le réseau professionnel, cochez 4. Comment font-ils ces politiques qui possèdent des profils sur Facebook ?

Je sais bien comment ils font : ils font faire le boulot par leurs esclaves habituels. Car l’enjeu est de taille. Communiquer via un « média » aussi moderne qu’un site de socialisation, modernise mécaniquement le discours d’un politique, aussi ringard soit-il. Avoir son « profil » sur Facebook c’est « exister » dans le monde numérique. C’est-à-dire dans le monde moderne.

Un politique, sur Facebook, nous informe d’abord de son emploi du temps, de son activité du moment, et des dossiers sur lesquels il travaille. L’utilisateur de Facebook peut aisément dire au monde entier ce qu’il est en train de faire grâce à la fonction « statut ». L’interface vous demande « Que faites-vous en ce moment ? » – nul ne semble avoir mesuré le caractère policier de cette question. C’est vrai, bordel, que faisiez-vous rue Quincampoix entre 17 heures et 19 heures ? Réponds ! Alors il faut bien dire ce que l’on est en train de faire. Nous autres, mortels, nous avons des vies quotidiennes. Nos « friends » politiques, eux, ont une actualité, qui se déploie dans un emploi du temps diaboliquement serré.

Par exemple, Michel Barnier, le ministre de l’Agriculture, nous informe en ces termes de son actualité : « Savoie : nouveau drame de la montagne. Je serai demain au Lycée agricole de La Motte-Servolex pour dire notre émotion et notre solidarité. » La montagne, cette salope, a encore frappé ! De son côté, Mike Borowsky, des jeunes UMP, est indigné : « Les Jeunes Sarkozystes condamnent l’expédition punitive faite dans un lycée de Gagny. » Qui ne condamnerait pas ce genre d’activités espiègles ? Nicole Guedj, ancienne ministre des « victimes » dans le gouvernement Raffarin, elle-même victime d’un remaniement, nous donne – pêle-mêle – ses opinions sur le dîner du Crif, ou sur le droit des homosexuels. Elle nous informe : « Je me suis tout autant félicitée de l’excellent discours de Richard Prasquier, président du Crif, que de la remarquable intervention de François Fillon. » Nous voilà bien contents.

Certains politiques sont très « agenda »… ils ne vivent que sur rendez-vous. Yves Jégo nous indique ainsi – dans son statut – qu’il « est l’invité de J-M Apathie ce lundi sur RTL », ce qui provoque un certain nombre de réactions enthousiastes de militants : « Bonne chance », « Excellente prestation monsieur le Ministre ! » On voit, d’ailleurs, sur le profil de Jégo cette mention énigmatique : « Yves est désormais marié(e) à Ann-Katrin Jégo. » Le profil de Ann-Katrin renvoie à la fiche d’une jolie blonde souriante. Roger Karoutchi, de son côté, ne parle pas de mariage, il est sur le terrain: « Roger Karoutchi sera avec les adhérents du 16e arrondissement mercredi 11 mars à 19 heures. » Mais à force de creuser son sillon, Karoutchi a laissé passer quelques fautes de goût notoires sur son profil. On repère parmi ses films favoris quelques nanars de bas étages tels que Taxi ou Les rivières pourpres… Ah ! Jeunisme quand tu nous tiens ! Le bougre prétend adorer « faire les courses au Monoprix ». J’offre un calva à la terrasse du Flore à toute caissière de Monoprix ayant croisé un jour Karoutchi.

Le ministre Eric Woerth, de son côté, lâche : « Je serai ce soir l’invité de Laurence Ferrari au JT de TF1 » Le chanceux… immédiatement après le « rendez-vous », les réactions ne tardent pas, de la part des « friends » impressionnés. « Bravo pour votre intervention sur TF1 », « Bravo monsieur le ministre, je suis d’accord avec vous », « Très bonne prestation, toujours aussi brillant et décontracté ! » Facebook, école de l’éloge et de la flatterie. Nathalie Kosciusko-Morizet indique, quant à elle, 4918 amis… et dire que moi je plafonne à 260 environ. Les dés sont pipés d’avance. Nous ne sommes pas du même monde elle et moi…bien qu’elle avoue aimer Barbara et Serge Gainsbourg… Son statut précise : « Nathalie Kosciusko-Morizet discute avec Gilbert Montagné du numérique pour dépasser le handicap. Il est formidable. » Oui, il est foooooooormidable !

Le dissident le plus rebelle de toute l’histoire de l’UMP, J-L Romero n’y va pas avec le dos de la main morte… il s’engage pour de bon, pour en découdre avec les ignobles ennemis de la liberté : « Jean-Luc Romero appelle à la mobilisation pour Florence Cassez ! » Et bien… pas moi. Une admiratrice répond : « que pouvons-nous faire pour Florence Cassez ?? Si je peux vous aider en quoi que ce soit… » Encore une âme de bonne volonté qui va finir par coller des affiches ou ronéotyper des tracts !

A gauche, le profil de Bertrand Delanoë est une perle du genre. Le brillant édile y précise que ses « employeurs » sont « les Parisiennes et les Parisiens »… et leur adresse ces mots pétris d’humanité et d’amour : « J’ai été très touché par vos soutiens, par le nombre et par la qualité des échanges. » Son adjointe, Anne Hidalgo, indique sur son propre profil : « Anne a assisté au triomphe des féminines du Rugby Club Paris XV »… et c’est vrai, un triooooooomphe… Et puis Anne n’est pas la moitié d’une femme, et elle le prouve : « Anne se mobilise en vue de la Journée Internationale des Femmes. » Et moi aussi. J’ai invité une copine au restaurant, et c’est elle qui a payé !

Sans surprise, la plupart des politiques se sont saisis de ce nouveau média de « socialisation » pour en faire un très classique outil de propagande, véhiculant toujours cette même satanée langue de bois. Ces « profils » fantomatiques sont parfaitement inhabités… car les politiques ne sont véritablement accessibles ni à leurs « friends », ni à leurs électeurs. La vraie vie privée c’est pour les « amis », par pour les « friends » – heureusement d’ailleurs. Facebook devait être un nouveau continent à explorer. Ce n’est qu’une ville-fantôme.



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Il est l’auteur de L’eugénisme de Platon (L’Harmattan, 2002) et a participé à l’écriture du "Dictionnaire Molière" (à paraître - collection Bouquin) ainsi qu’à un ouvrage collectif consacré à Philippe Muray.

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