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La dette US, bientôt pire que la Grèce ?


Barack Obama et John Boehner

Payer ses fonctionnaires ou rétribuer les détenteurs des bons du Trésor US : le président Obama devra choisir le 2 août prochain si le Congrès n’augmente pas le plafond légal d’endettement du gouvernement fédéral criblé de 14 billions de dollars de dettes. Les Républicains accusent la Maison Blanche de dramatiser la situation pour faire pression sur eux. À vrai dire, ces querelles politiques ne changent rien au fond de l’affaire. S’il veut sortir l’économie américaine de la crise, Obama n’a pas le choix. Il lui faut s’attaquer à la question de la dette et pour cela, il a impérativement besoin d’un consensus allant au-delà de son propre camp. Depuis la fin de l’année dernière, il est en effet en situation de semi-cohabitation avec les Républicains, majoritaires à la Chambre des Représentants. Disposant d’une marge de manœuvre quasi nulle, il doit absolument convaincre Démocrates et Républicains de transgresser leurs « lignes rouges » respectives.

Soutenu par une courte majorité au Senat, le président a donc proposé un deal au « Vieux grand parti » (GOP, comme on surnomme le Parti républicain) : en échange d’une hausse des impôts pour les contribuables aisés, les Démocrates pourraient accepter de larges coupes dans le budget de l’assurance-maladie et de la sécurité sociale. Pour rendre son offre encore plus alléchante, Obama est prêt à réduire le budget du gouvernement fédéral de 4 billions de dollars, deux fois plus que ce que réclame la tendance « Tea Party » – qui appelle matin, midi et soir à « affamer le monstre » (« strave the monster »).

Pour son propre camp, certaines concessions proposées sont presque sacrilèges car elles toucheraient au régime d’assurance-maladie des personnes âgées, relèveraient l’âge de l’ouverture des droits à la sécurité sociale ou supprimeraient l’indexation automatique des allocations sur l’inflation. Autrement dit, du point de vue des Démocrates, il s’agit d’élargir encore les mailles du filet de sécurité que l’Etat américain déploie pour protéger ses citoyens, surtout les plus faibles.

Chez les Républicains, après une longue et farouche résistance, une brèche semble avoir été ouverte dans le mur « anti-impôt ». Dans une récente et discrète rencontre avec Obama, John Boehner, président de la Chambre des Représentants des États-Unis, a accepté le principe d’une augmentation d’impôts. Pourquoi ce chef de file républicain, figure de proue de leur victoire aux élections de mi-mandat, fait-il un pas vers un président aux abois ? Parce qu’après six mois passés à ce poste de très haute responsabilité, Boehner a compris que la réalité était plus compliquée que ce que laissent penser les slogans victorieux du « Tea Party ».

Au-delà même du principe de réalité, Boehner ne peut que constater l’impasse politique à laquelle a abouti le mouvement « Tea Party ». Les idéalistes enthousiastes et euphoriques d’il y a un an ont conquis des positions de pouvoir. Désormais, ils sont appelés à prendre des décisions, à former des alliances et à accepter compromis et concessions. La rencontre entre amateurs et professionnels de la politique, ces derniers essayant de récupérer et « discipliner » le mouvement, a également semé la discorde au sein du « Tea Party » entre un courant « indépendantiste » et un courant « pragmatique » plaidant pour des alliances de circonstances avec le GOP.

Dans ces conditions, les « professionnels » républicains ont l’avantage. Après avoir surfé sur la vague « Tea Party » pour conquérir la Chambre des députés et affaiblir la majorité démocrate au Sénat, Boehner et d’autres peuvent imposer leurs propres priorités et négocier avec la Maison-Blanche afin d’obtenir ce qu’ils jugent essentiel : coupes budgétaires spectaculaires, surtout dans le financement du « welfare state », bête noire des conservateurs américains qui s’opposent par principe à l’idée d’une solidarité obligatoire imposée par la loi et financée par les impôts.
Seulement, tout comme l’endettement, les coupes budgétaires ont des limites que le gouvernement fédéral a presque atteintes. Ainsi, les Républicains les plus lucides réalisent que les engagements solennels pris par bon nombre de leurs candidats l’automne dernier, du genre « Cette main que vous voyez là ne votera jamais pour une augmentation d’impôts », ne sont pas tenables. On ne peut pas agir sur les dépenses sans consentir un effort sur les recettes.

Pour Obama qui n’a pas de primaires à gagner, c’est le bon timing pour négocier. Mais en supposant qu’il parvienne à faire passer une nouvelle loi sur le plafonnement de l’endettement, il ne s’agira pour lui que d’un sursis car le véritable enjeu de la campagne 2012 sera l’emploi. Or, sur ce front, les deux millions d’emplois créés depuis début 2010 restent largement insuffisants face aux huit millions perdus depuis le déclenchement de la crise en 2008. Une question taraude aujourd’hui les Américains, y compris ceux qui ont voté pour lui : après tant d’argent dépensé par le gouvernement pour contrer la crise, où est la croissance ? Où sont les emplois ? Pour toute réponse, Obama leur demande de patienter. Un peu court.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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