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L’inutile candidature de Martine Aubry


photo : Audrey AK (Flickr)

On a déjà expliqué ici à quel point les sondages sur la primaire socialiste[1. Et radicales du sud-ouest] ne valaient pas grand chose tant le corps électoral est impalpable et le manque de recul des instituts, sur ce genre de compétition, évident. Pourtant, on ne peut s’empêcher de rejoindre la majorité des observateurs quant à la situation de Martine Aubry. Au risque de passer pour un âne bâté le 17 octobre prochain au matin, je dois bien avouer que je ne crois pas une seconde aux chances de voir la maire de Lille victorieuse à cette primaire.

J’avais noté comme tout le monde son manque d’envie. Martine Aubry n’aurait jamais été candidate si Nafissatou Diallo, au lieu d’entrer dans la suite 2806 du Sofitel de New-York le 14 mai à midi, avait préféré nettoyer la suite 2804. Le problème, c’est que beaucoup de monde est au courant. François Hollande ne s’est d’ailleurs pas privé de le rappeler lors du premier débat l’autre jour sur France 2. Lui était déjà candidat avant le 14 mai et il serait allé jusqu’au bout. C’est aussi le cas de Ségolène Royal et d’Arnaud Montebourg. Quant à Manuel Valls, il aurait sans doute jeté l’éponge en l’échange de la promesse d’un joli maroquin, Place Beauvau de préférence[2. En ce qui concerne la candidature de Baylet, en revanche, je n’en sais fichtre rien]. A ce titre, Martine Aubry aurait mieux fait d’assumer dès le début au lieu de nier la situation. Lorsque, dimanche, DSK vint la confirmer, Aubry fut ainsi ridiculisée. Dès le lendemain, elle commença à assumer tout en relativisant. Après tout, l’Histoire est faite de personnages qui se sont imposés à la suite de défauts d’autres personnalités. Ce discours devait être tenu dès le début ou pas du tout.

Mais pouvait-il être tenu, finalement ? Dominique Strauss-Kahn et François Hollande occupaient déjà le même créneau politique du « social-démocrate pro-européen qui rassure », pour aller vite. Et le premier avait une longueur d’avance sur le second. On ne sait comment aurait tourné cet affrontement, sans boule de cristal, mais l’une des deux candidatures serait très vite apparue inutile tant les différences idéologiques et politiques ne s’apercevaient qu’au microscope industriel. C’est exactement la même chose entre Martine Aubry et François Hollande. Il n’y a guère que Gérard Filoche pour croire sincèrement -et avec une touchante naïveté- que la première est plus à gauche que le second. Martine Aubry se situe, comme François Hollande dans la droite -et droitière !- ligne de son père Jacques Delors. Certes, elle est soutenue par Benoît Hamon, qui représentait la motion la plus à gauche à Reims, et Guillaume Bachelay, protectionniste assumé, a réussi à faire entrer la notion de juste-échange dans le projet du PS. Mais c’est en vain qu’on entendra Martine Aubry prononcer le mot « protectionnisme », au contraire de ces deux-là. « Quand on a peur du mot, on a peur de la chose », dirait Emmanuel Todd. C’est Arnaud Montebourg qui a préempté le protectionnisme, se payant le luxe d’aller plus loin encore avec son concept de démondialisation. Avec des soutiens aussi différents que Daniel Cohen et Marie-Noëlle Lienemann, Aubry a le cul entre deux chaises. Ses convictions personnelles la portent vers le premier mais la quête d’un espace politique, déjà réduit par l’émergence de Montebourg, devrait l’attirer vers la seconde.

Il y a aussi quelques signes qui ne trompent pas. Lorsqu’il fut évident que DSK ne serait pas candidat, ses soutiens se sont répartis entre François Hollande et Martine Aubry. Quand un Pierre Moscovici, promis à un ministère régalien en cas de victoire de la gauche, s’engageait pour le premier, Jean-Christophe Cambadélis, éternel apparatchik, soutenait la seconde. Il suffit de répertorier les membres des équipes respectives des deux candidats pour s’apercevoir que la qualité est largement plus présente du côté du Président du Conseil Général de Corrèze. La cerise sur le gâteau fut de confier à Harlem Désir, Monsieur Boulette, l’intérim du Premier secrétariat du PS. Quand ça veut pas…

Voilà donc Martine Aubry réduite à tenter de se différencier de François Hollande sur le nucléaire[3. Perso, j’ai été davantage convaincu par Hollande sur le fait qu’il n’y avait pas de différence notable entre les deux] ou d’occuper le créneau du féminisme avec sa porte-parole Anne Hidalgo, obsédée par les sujets sociétaux, et l’inénarrable Caroline de Haas. C’est sans doute sous leur influence -et celle de Benoît Hamon- que Martine Aubry a eu cette phrase sur « DSK et les femmes ». Non seulement cela n’a pas empêché les féministes encore plus ultras de perturber sa réunion publique sur l’égalité Femmes-Hommes, mais c’est sans doute la raison pour laquelle Strauss-Kahn a confirmé qu’elle était une candidate de substitution et lui a donné le baiser qui tue, dimanche dernier. Même sans expérience ministérielle, c’est aujourd’hui François Hollande qui incarne le sérieux et la compétence social-démocrate dans cette primaire. Même avec Hamon, Lienemann, Filoche et Emmanuelli, ce n’est pas Aubry mais Montebourg qui incarne la radicalité et l’espoir d’une autre politique. Même Ségolène Royal, avec ses intuitions et le fait qu’elle demeure la seule à attirer des classes très populaires dans ses réunions, parvient à trouver un espace politique, certes plus réduit qu’il y a cinq ans. Martine Aubry n’en dispose pas. Sa candidature était déjà un échec dans l’œuf.



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