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Les Français n’ont pas totalement raison…


Les Français n’ont pas totalement raison…

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Selon un sondage exclusif BVA, pour Le Parisien, 70% des Français considèrent que la justice fonctionne mal et 59%, que Christiane Taubira est une mauvaise ministre.

Autant je partage l’opinion majoritaire de mes concitoyens sur la seconde évaluation, autant la première me semble devoir être relativisée.

Il est important de relever, pour la garde des Sceaux, que 82% des sympathisants de gauche la jugent bonne alors que 92% des sympathisants de droite l’estiment mauvaise. Ce clivage très accusé montre que Christiane Taubira n’est pas du tout un ministre ayant une vocation consensuelle précisément parce que son idéologie ne l’a conduite qu’à projeter une politique pénale de gauche. Elle est donc moins au service de la République – ce qui impliquerait des réflexions, des paroles et des pratiques moins unilatérales – qu’inspirée par un dogmatisme partisan. Pourtant, le fait d’être socialiste ou radical n’est pas forcément contradictoire avec une politique pour l’ensemble des citoyens. Encore faut-il se détacher de soi pour songer à tous.

Je suis persuadé que cette image infiniment contrastée de la garde des Sceaux sur le plan politique et l’appréciation très négative de son bilan n’ont pas été pour rien dans l’impression dominante d’une justice « fonctionnant mal » – un tel pourcentage n’a jamais été constaté depuis le début, en 1962, de ce type de sondage. Parce que la ministre est qualifiée de médiocre, en quelque sorte logiquement la justice devrait être soumise à la même sévérité.

Alors que cette corrélation est injuste et que les deux mondes s’opposent comme la justice légale à la justice réelle.

Pour la justice au quotidien dont le sort importe beaucoup plus aux justiciables que la liberté laissée par le pouvoir aux magistrats en charge d’affaires sensibles, il me semble qu’il faut avoir à l’esprit quelques données qui sont susceptibles d’atténuer la rigueur du diagnostic.

En effet, si la justice a besoin d’être réformée, rendue plus compréhensive et à la fois plus rapide, plus efficace, il est absurde de la jeter aux chiens de cette manière.

Contrairement à ce que déclare un avocat de Nîmes, il n’est pas « parfois difficile de défendre l’institution » et une magistrate d’Evry ne nous aide guère en affirmant « qu’on ne fait pas ce métier pour être aimé ».

D’abord, le service public de la justice est très particulier. On fait appel à lui en toute dernière extrémité quand on n’a pas d’autre moyen, d’autre ressource pour recouvrer ses droits et faire valoir sa cause. On ne va pas vers les juges comme on prend l’autobus.

Cet élément est aggravé par le fait que les procès, généralement, font deux mécontents : celui qui n’a pas assez gagné, celui qui a perdu.

Au-delà même de l’expérience directe et quelquefois éprouvante qu’un certain nombre de citoyens ont eue de l’univers judiciaire sous toutes ses facettes, je suis sûr que beaucoup d’autres profèrent un avis fortement dépréciatif parce qu’ils n’ont entendu que cette tonalité par ceux qui rendent compte de la justice et par des médias plus préoccupés, selon leur habitude, de pointer sans cesse des dysfonctionnements que de valoriser l’essentiel d’un fonctionnement judiciaire quotidien satisfaisant. Ces contempteurs, dans ces sondages, répètent ce qu’ils lisent et ce qu’ils entendent et qui n’est jamais revigorant ni porteur d’espoir. Comme si on n’évoquait que les graves fautes des journalistes et qu’on omettait par principe tout ce que la richesse médiatique apporte à la démocratie et donc à nous-mêmes.

Enfin, comment convaincre une société qu’une justice n’est pas à l’agonie, mon seulement quand on n’attache pas au citoyen l’importance qu’il mériterait mais que gangrené par la morosité environnante, le magistrat lui-même ne démontre pas, par sa parole et sa pratique, son exemple et sa fierté, la grandeur de ce qu’il a la charge d’accomplir chaque jour et qui fait de lui un irremplaçable raccommodeur de vies et de destinées ?

Les 70% de Français qui accablent la Justice se trompent. Il faudra du temps pour les faire changer de position.

Mais il suffirait d’un ministre, de médias moins partiels et partiaux, d’avocats plus solidaires, de magistrats enthousiastes et combatifs avec des chefs à la hauteur.

Avec le citoyen au centre.

*Photo : WITT/SIPA. 00672767_000022.



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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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