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Jan Tschichold, maître en simplicité


Jan Tschichold, maître en simplicité
Jan Tschichold.
Jan Tschichold
Jan Tschichold.

Bonhomme et inflexible, Jan Tschichold est un personnage singulier de l’histoire du livre. Acteur et promoteur du design moderne, puis fervent défenseur du classicisme, il a jeté les fondements de la typographie contemporaine et introduit de précieuses innovations qui sont devenues des standards.

Dès son plus jeune âge, son père lui inculque l’amour des belles lettres – pas celles que l’on lit, mais celles que l’on dessine : papa Tschichold est peintre d’enseignes. Les parents de Johannes ont un grand dessein pour leur rejeton : il sera professeur aux Beaux-Arts. Le chemin est tracé d’avance : Johannes Tschichold étudie à l’Académie des arts graphiques de Leipzig. À leur désespoir, Johannes décide, à 21 ans, d’embrasser le métier de calligraphe et de typographe.

[access capability= »lire_inedits »]Il évolue comme un poisson dans l’eau dans l’effervescence créatrice des années 1920. Comme il a l’âge d’être rebelle, il décide de se faire appeler Ivan, en hommage à l’esthétisme révolutionnaire et constructiviste russe. Par hasard, il visite la première exposition du Bauhaus, l’Institut des arts et métiers fondé par Walter Gropius. Il se convertit immédiatement à ses principes qui proposent l’unité de l’art et de la technique. En 1926, il intègre la Münchener Meisterschule für Typografie, l’école supérieure de typographie de Munich, où il enseigne sous la direction du typographe Paul Renner, père de la police de caractères emblématique du Bauhaus : Futura.

Dans la foulée, il publie un manifeste intitulé Die neue Typographie, qui révolutionne la typographie. Il y proclame la suprématie des polices de caractères bâtons et des compositions asymétriques ; il plaide pour la standardisation des formats de papier et des processus de fabrication. Parce qu’il est pragmatique et a de la suite dans les idées, son manifeste est suivi de manuels pratiques à destination des professionnels de l’imprimerie.

Son ami Kurt Schwitters fonde un groupe, le Ring neuer Werbegestalter, afin de promouvoir les théories novatrices de Tschichold. Le cercle fédère à son apogée une foule de 25 membres. Mais le nazisme monte en Bavière. Les amis de Tschichold le convainquent d’abandonner son prénom d’emprunt, Ivan, pour le diminutif Jan. Mais ce changement n’est pas suffisant. Jan a des convictions : il est ouvertement hostile à Hitler. Après la victoire des nazis aux élections de 1933, il est arrêté. Libéré après quelques jours, son œuvre est déclarée « non allemande ». Il est démis de ses fonctions à la Meisterschule de Munich. Tschichold quitte sans tarder l’Allemagne.

Il s’établit en Suisse, à Bâle, avec femme et enfant. Et Tschichold se met à brûler ce qu’il avait adoré : la nouvelle typographie. Il publie plusieurs articles dans lesquels il se livre à une véritable autocritique : la nouvelle typographie est un totalitarisme. Elle est, comme le nazisme, le fruit du modernisme. Tschichold redécouvre alors les canons de la typographie classique et la composition symétrique qu’il avait étudiées à Leipzig.

En 1946, le pionnier des livres de poche en Grande-Bretagne, Allen Lane, fait appel à Tschichold pour renouveler la ligne graphique hasardeuse des collections qu’il a créées dix ans auparavant, Penguin Books. Le livre de poche n’est pas une découverte pour Tschichold. En Allemagne, il a été témoin de la première expérience, tentée par Kurt Enoch, avortée avec l’accession au pouvoir des nazis.

Le défi qui s’offre à Tschichold est exaltant : respecter les principes de composition académique dans un processus de fabrication industriel. Pour y répondre, il élabore une charte graphique devenue célèbre, baptisée « Penguin Composition Rules ». Ces règles de composition, qui vont s’imposer à l’ensemble des collaborateurs des éditions Penguin Books, tiennent en quatre pages. La composition doit servir humblement l’œuvre, demeurer simple et lisible. Si un imprimeur vient à se plaindre des contraintes imposées, Tschichold, intransigeant et malicieux, exagère son accent allemand et fait mine de ne pas comprendre. Il réalise personnellement les couvertures de plus de cinq cents livres pour Allen Lane. Elles contribuent à donner à la collection une forte identité visuelle. Penguin Books acquiert une renommée internationale. Tschichold devient une sommité. Obsédé par la qualité, il améliore également les techniques d’impression et de reliure. Au bout de trois ans, Tschichold estime sa mission accomplie et rentre en Suisse.

L’apprentissage du typographe n’étant jamais achevé, il se consacre encore et toujours à l’étude des canons de la Renaissance. A la fin de sa vie, revenant sur son expérience, il déclare : « Je suis fier du million de livres de poches Penguin dont j’ai inspiré la ligne graphique. Les quelques beaux livres que j’ai conçus sont négligeables. Nous n’avons pas besoin de livres prétentieux pour nantis, mais simplement de livres ordinaires de bonne facture. » Le typographe appliqué était un maître en simplicité.

Jan Tschichold, Livre et typographie (Allia). Dans cet essai, Tschichold aborde toutes les questions que pose la fabrication d’un livre.
Collectif, Jan Tschichold, Master typographer (Thames & Hudson). Cette biographie en anglais, richement illustrée, aborde les différentes étapes de l’œuvre de Tschichold.
Christopher Burke, Active Literature (Hyphen Press). Pour ceux qui souhaiteraient se pencher plus en détails sur l’époque « nouvelle typographie » de Tschichold et les avancées qu’il a introduites.

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Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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