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Heureusement, il y a Israël…


Le Caire : la foule brûle le drapeau de l'ambassade d'Israël. Crédits photo : Gigi Ibrahim

Si la révolution égyptienne – et le « Printemps arabe » en général – étaient imprévisibles, les épisodes suivants se sont révélés plutôt décevants tant ils étaient prévisibles : la chute du tyran n’ayant pas produit de changements miraculeux, l’euphorie de la victoire a cédé la place à la frustration et au désenchantement, tandis que l’unité révolutionnaire volait en éclats, laissant apparaître de notables divergences sur la stratégie à mener pour l’après-Moubarak. Mais qu’on se rassure, l’union sacrée s’est reformée pour désigner le bouc émissaire responsable de toutes les plaies d’Égypte : Israël.

Le retour de « l’ennemis sioniste »

Il y a six mois à peine, les commentateurs ravis soulignaient que les « Juifs », « sionistes » et Israël avaient disparu des écrans-radars des manifestants de la place Al-Tahrir. C’était bien la preuve, affirmaient-ils, dénonçant à tout-va ceux qui osaient exprimer des doutes ou des inquiétudes, que l’antisionisme, voire l’antisémitisme imputés aux sociétés arabes relevaient du cliché islamophobe ou de la caricature occidentalo-centrée. Maintenant que les fantasmes de février se sont évaporés dans la chaleur accablante de l’été égyptien, les bonnes vieilles habitudes sont de retour. On découvre donc que la haine d’Israël demeure, malgré plus de trois décennies de paix, un dénominateur commun capable de mobiliser au-delà des clivages politiques et religieux.[access capability= »lire_inedits »]

L’attentat perpétré le 18 août à la frontière israélo-égyptienne, à proximité de la station balnéaire d’Eilat, sur la mer Rouge, et les représailles israéliennes qui s’en sont ensuivies ont réveillé les passions tristes qui minent le monde arabe aussi sûrement que la pauvreté, la corruption et la dictature. La mort de six militaires et policiers égyptiens − tombés sous les balles des terroristes − ayant immédiatement été imputée à l’armée israélienne, l’opinion et les médias sont partis au quart de tour, rivalisant dans la dénonciation de l’« ennemi sioniste », coupable d’avoir « violé la souveraineté égyptienne » et d’avoir « fait couler le sang égyptien ».

Les faits n’ont évidemment pas grand-chose à voir avec cette propagande. Les terroristes, dont on sait maintenant que certains étaient égyptiens, sont entrés en territoire israélien en plein jour, à 200 mètres d’un poste-frontière de l’armée égyptienne, et ont mitraillé des véhicules civils israéliens, causant la mort de sept personnes, avant de se replier du côté égyptien, derrière une position militaire. De là, ils ont répliqué aux soldats de Tsahal qui les poursuivaient, tuant un combattant, avant de tomber à leur tour. Tout en désignant des organisations islamistes de Gaza comme les architectes et commanditaires de l’attentat, les responsables israéliens n’ont pas manqué d’observer que Le Caire ne contrôlait plus le Sinaï, devenu depuis le changement de régime un vivier de radicaux islamistes et une base arrière du terrorisme palestinien. L’amour-propre égyptien est donc la dernière victime du commando.

Démocratie ou gouvernement de la foule ?

C’est ainsi que la « rue égyptienne » a brièvement retrouvé les couleurs d’un autre printemps, celui de 1967, lorsque des foules en liesse acclamaient l’aventure suicidaire d’un Nasser promettant de « jeter les Juifs à la mer ». Seulement, il y a quatre décennies, on pouvait se rassurer en dénonçant un démagogue manipulant des masses ignorantes. Aujourd’hui, c’est la foule qui donne le « la » : la haine d’Israël appartient au consensus démocratique.
Du coup, le Panthéon révolutionnaire n’a plus la même allure qu’en janvier et février. Les héros du peuple – en tout cas dans les médias occidentaux – étaient alors Wahil Hanim, le célèbre cadre de Google et ses amis cyber-révolutionnaires et bilingues. Aujourd’hui, le « mouvement du 6 avril » demande l’expulsion de l’ambassadeur israélien et le nouveau visage de la révolution est celui d’Ahmad Al-Shahat, jeune chômeur surnommé le « Flagman » pour avoir remplacé, au fronton de l’ambassade israélienne, le drapeau frappé de l’étoile de David par celui de l’Égypte – plus correct d’un point de vue islamique.

Visionné des millions de fois, son exploit a visiblement été apprécié au plus haut niveau : son acte héroïque a valu au jeune grimpeur un logement, un boulot et une médaille – voilà au moins un Égyptien qui pourra dire qu’il doit sa prospérité aux « Juifs ». En attendant, on peut s’interroger sur le pouvoir réel des généraux. Si le maréchal Tantawi, chef du Conseil suprême de l’armée égyptienne, donc chef d’État de facto, croyait qu’en sacrifiant Moubarak et sa famille, il pourrait garder la main sur l’orientation stratégique du pays, « Amazing Flagman » vient de le détromper.

L’historien grec Polybe pensait que la démocratie dégénère nécessairement en « ochlocratie », le gouvernement de la foule et le pire régime possible. L’évolution actuelle de l’Égypte montre qu’on peut arriver à ce cauchemar sans passer par la case « démocratie ».[/access]



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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