À gauche, le chouchou des sondages Raphaël Glucksmann tenait ce weekend un meeting politique dans une petite bourgade landaise, un véritable « village gaulois » de socialistes. Et d’ailleurs, avec un discours de gauche à la papa calibré pour cet électorat local, et assez éloigné des discours tenus sur les plateaux de télé à Paris.
« Faisons ici un carton, car si nous le ne faisons pas ici, nous ne le ferons nulle part ailleurs ! » C’est par cette exhortation à la victoire que Raphaël Glucksmann a conclu, le 17 mai en fin de journée à Morcenx-le-Nouvelle (Landes), bras en croix, sous les applaudissements de près d’un millier de personnes, son unique meeting des Européennes dans le sud-ouest aquitain. Située à mi-chemin entre Bordeaux et Bayonne, en plein cœur de la forêt landaise, la plus vaste d’Europe, créée par Napoléon III pour assainir une région marécageuse, un peu loin de tout, Morcenx-la-Nouvelle est une ville de 5 000 habitants. Pourquoi avoir choisi une si petite commune pour l’y tenir, et non pas Mont-de-Marsan, la préfecture, qui en compte six fois plus, ou mieux, Bordeaux, capitale de la Nouvelle-Aquitaine, dont la métropole dépasse les 800 000 âmes ?
L’appel de la forêt
Par amitié, certes, comme Glucksmann l’a répété, pour le maire socialiste, Paul Carrère, qui cinq ans plus tôt, lors des précédentes européennes, l’avait accueilli alors que le PS était en quenouilles et que les « éléphants » du parti le snobaient, le considérant comme une pièce rapportée incongrue, à la différence d’aujourd’hui, où peu ou prou, ils se sont ralliés à lui grâce à sa percée sondagière et fait soudain figure de sauveur. Mais surtout parce que Morcenx-la-Nouvelle est aux socialistes ce qu’est « le village gaulois » à Astérix. Elle est l’un des très rares bastions dans la région qui a résisté en 2017 au brutal reflux de l’hégémonie du parti de Briand, Jaurès, Blum, Mitterrand. « Je viens ici (car) Les Landes sont véritablement une terre socialiste (…) même quand les choses étaient difficiles », a-t-il affirmé avec emphase.
Aux dernières municipales, la liste du maire a été reconduite avec 73% des voix. Le député de la circonscription, Boris Vallaud, président du groupe à l’Assemblée, y a recueilli 72%, et son rival du second tour du RN a à peine dépassé les 20%. En conséquence, les socialistes en ont fait symboliquement – la politique se nourrit de symboles et de mythes – leur tête de pont pour partir à la reconquête de cette terre laïque, franc-maçonne, de chasseurs, d’amateurs de corrida et de courses de vaches, autre art taurin, de rugby, et aujourd’hui de surfeurs nonchalants et peu enclins à la politique, dont ils semblaient inexpugnables.
A la présidentielle de 2012, François Hollande avait fait dans les cinq départements qui composaient l’ancienne Aquitaine (la Nouvelle issue de la réforme régionale imposée par ce dernier en compte douze, ce qui fait d’elle la plus étendue de France), au premier tour, une moyenne de 30% et au second au-dessus de 55%, légèrement un peu inférieur à ceux de Mitterrand en 1981. A celle de 2017, c’est l’effondrement. A la fois vampirisé par Macron et Mélenchon, Hamon recueille une moyenne de 7%. Aux législatives, le PS parvient de justesse à ne conserver qu’une circonscription sur les trois qu’il monopolisait depuis toujours, la 3ème, celle de feu Henri Emmanuelli, un des pontes du Mitterrandisme, très à gauche à Paris, beaucoup plus modéré localement. A la dernière présidentielle, c’est la catastrophe. Hidalgo dégringole aux alentours de 2%. Son meilleur résultat, un maigre 6,5%, elle le réalise dans Les Landes où Vallaud réussit de justesse à sauver son siège avec 50,55%.
En route vers la seconde place ?
Pourtant, malgré cet apparent contexte très défavorable, l’appel de Glucksmann « à faire un carton » ne relève pas de l’incantation, ni du défi illusoire. Au vu des sondages qui font état d’un sérieux affaissement de Renaissance et des Insoumis, il n’est pas exclu que sa liste Parti socialiste-Place publique ait une forte probabilité de décrocher la seconde place le 9 juin, ni voire tout à fait utopique qu’elle puisse arriver en tête devant celle de Jordan Bardella qui a le vent en poupe à l’échelle de l’hexagone. Même si Marine Le Pen a fait un peu au-dessus de 40% à la présidentielle et décroché cinq sièges de députés sur les 28 que comptent les cinq départements aquitains, le RN y stagne à 20%. Donc, il est fort possible que les électeurs qui abandonnent Macron et Mélenchon se reportent sur la liste Glucksmann, le RN étant toujours perçu dans cette région culturellement de gauche comme un parti d’extrême droite. Si cette reconquête s’avère, le PS se remettrait en selle pour 2027…
Indubitablement, dans sa longue et parfois enfiévrée intervention de Morcenx-la-Nouvelle, Glucksmann visait à récupérer cet électorat plus sensible aux questions sociales que sociétales. Devant une assistance où les plus jeunes avaient une bonne cinquantaine, au vu de la prédominance des crânes chauves et des cheveux blancs – « on a fait un peu les fonds de tiroir en adhérents et sympathisants », dira avec un sourire dépité un participant à l’auteur de ces lignes -, il a éludé, pour être consensuel avec les centristes, toutes les questions embarrassantes concernant l’Union Européenne : les chasses traditionnelles propres à la région qu’une directive de la Commission interdit, la corrida au sujet de laquelle au parlement tente de se constituer un lobby « à la sensibilité de gauche » pour l’interdire, les revendications LGBT, la PMA, l’immigration alors que la réunion se tenait, ironie fortuite, dans une salle du centre culturel de la commune appelée salle du Maroc (pourquoi cette dénomination? Mystère). Au contraire, il s’est livré à un panégyrique, un peu habité, d’une « Europe puissante, écologique, sociale, juste, intègre, féministe, humaniste, démocratique… » (tiens, pas pacifiste) qui sera la panacée à tous les maux de l’époque… Le programme qu’il a débité implique un transfert massif des compétences nationales à celle-ci, au point de réduire les Etats des 27 membres à de simples chambres d’enregistrement. En catimini, Gucksmann prône la formation d’un supra-Etat européen…
Mais cette Europe qu’il faut « réveiller » est menacée. Par qui ? Par, bien sûr, une extrême-droite qui fait alliance avec la droite classique comme aux Pays-Bas et en Suède. Et le seul barrage à cette « vague puissante qui menace de nous emporter dans l’abîme… » qui se lève, ce sera l’envoi d’un fort groupe socialiste au parlement. À cet instant, un participant s’est levé et a crié en levant le poing « No pasaran », sans toutefois que le public ne reprenne en chœur l’interjection, comme ça aurait été le cas autrefois… Est-ce à dire que le spectre de la menace fasciste n’opérerait plus à gauche ?
Par contre, Glucksmann a, lui, rebondi en disant : « No pasaran à condition qu’on combatte ce qui la nourrit. Pour cela il faut réindustrialiser l’Europe et instaurer un protectionnisme à ses frontières ». Donc la mondialisation n’est plus cette aubaine tant promise et le protectionnisme un archaïsme dérisoire. Réindustrialisation pose néanmoins, ses tenants tous bords, un sérieux problème, l’UE manquant de main-d’œuvre à tout faire. En conséquence, ne serait-ce pas un aspirateur à immigration, bien entendu « régulée » ?
Une autre menace rode autour de cette Europe qui vit « un moment de bascule », c’est « l’impérialisme russe » qu’il faut tenir en échec « en augmentant massivement le soutien à l’Ukraine ». Car « la tyrannie parle russe ». En gros, l’Ukraine serait notre guerre d’Espagne et Poutine le nouveau Franco. Le syndrome du « no pasaran » a trouvé son substitut…
Mais pour un socialiste, l’Europe ne peut qu’être sociale… Pour le prouver, le commissaire européen aux questions sociales, le camarade luxembourgeois Nicolas Schmit, avait tout spécialement fait le déplacement jusqu’à Morcenx-la-Nouvelle, dont il ignorait l’existence jusqu’à sa venue, comme il l’a confié dans son intervention, avant de vanter le rude combat qu’il avait dû mener pour instaurer un salaire minimun à l’échelle de l’Union… dont l’effet pervers pourrait être d’entraîner les autres à la baisse, et l’adoption du statut des employés des plateformes, à côté desquels les congés payés et la semaine de 48 heures du Front populaire sont roupie de sansonnet.
Pour que l’Europe devienne « un vecteur fort d’émancipation, individuelle et collective, de solidarité et de redistribution » et pour financer la désormais impérative transition écologique, c’est tout simple, il n’y a qu’à faire payer les riches en taxant leur patrimoine à hauteur de 2%, les « superprofits des multinationales et des profiteurs de guerre » entre autres ponctions fiscales. Une pétition qualifiée naturellement de « citoyenne » et intitulée en bon français « Tax the Rich » (donc traduction pas nécessaire), circule au niveau européen qui aurait reçu un million de signatures ce qui obligerait la Commission à se pencher sur le sujet…
Ces élections « sont les plus importantes de l’histoire », a redit Glusksmann, mais peut-être pas au sens où il l’entend, à savoir qu’elles doivent faire de l’Europe « une véritable puissance écologique et politique ». Si la participation est inférieure à 50% et si la jeunesse boude les urnes, comme prévu, elles seront bien historiques car elles seront un indéniable désaveu de la tournure qu’a pris sa construction qui conduit à gommer la mosaïque identitaire et culturelle qu’elle est au sein d’une même civilisation.
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