Frigide, mon amour ?


Frigide, mon amour ?

Frigide Barjot blasphème

Je ne le lui ai jamais dit mais j’aime Frigide Barjot. Je suis plutôt timide, on est tous les deux plutôt maqués et si je ne m’étais pas retenu, allez savoir où cela nous aurait menés elle et moi. À la messe tous les dimanches ? Merci bien. Je l’aime d’un amour sincère depuis le premier jour de la Manif pour tous. Pas tellement pour la cause, plutôt pour son altruisme et son abnégation. Je le dis sans ironie, je ne suis pas aussi généreux. Je n’ai pas l’amour universel, loin de là.

J’ai beaucoup de mépris pour ceux qui se sont détournés d’elle et l’ont lâchée au milieu du combat, parce qu’elle aurait pu rester un pont, une passerelle entre deux France qui se regardent en chiens de faïence. Mais on ne plaisante pas avec ces choses-là, avec ces identités-là. Plutôt que de tenter l’aventure d’un dialogue honnête et nouveau, plutôt que de rechercher un bon sens sans ordre moral, on a préféré se retrancher, et dans chaque camp, on est retourné dans sa tranchée. À ma droite, Ludovine de la Rochère, gardienne de stalag, à ma gauche Pierre Bergé dans toute sa méchanceté.

J’ai carrément de la haine pour ceux qui se moquent d’elle, pour toutes ces lavettes qui n’ont pas son grand cœur et qui continuent à s’acharner comme s’ils ne l’avaient pas eue, leur loi Taubira. Quand je regarde la télé le samedi soir, j’évite soigneusement la 2. Je me connais, si je tombe sur Ruquier et ses gloussements de pintade gay, je deviens haineux et ça m’enlaidit et je n’ai aucune envie de lui ressembler.

Rien n’entamera jamais la tendresse et l’admiration que j’ai pour Frigide. Même pas nos désaccords. Quand je la lis, je réalise que sur la question du blasphème, je suis plutôt d’accord avec Caroline Fourest. Ça me désespère et je préfèrerais avoir tort avec Barjot mais je suis trop attaché à la raison. C’est mon problème, je suis un amant passionné de la raison, et c’est sans doute de cette passion ardente que je tiens mon goût pour le blasphème. Je ne peux pas m’en empêcher. Dans la rue, non seulement je passe toujours sous les échelles, mais en plus, je raille ceux qui se détournent. On me dit : « Mais qu’est ce que ça peut te faire ? Passe dessous si tu veux mais respecte ceux qui passent à côté, parce que ça ne coûte rien et qu’on ne sait jamais. » Eh bien moi ça me coûte de passer pour un trouillard superstitieux, et de renoncer même à un tout petit bout de raison. Et puis, j’aime voir les airs raisonnables de ceux qui font un détour alors que c’est absurde, et qui lèvent les yeux au ciel en me trouvant absurde alors que c’est moi le raisonnable. Alors je ne peux pas m’empêcher de me moquer. En fait, je suis taquin. Voilà, c’est ça, je blasphème surtout pour taquiner mon prochain.

Frigide demande : « Comment Dieu peut-il être assassin alors même qu’il n’existe pas ? » J’ai entendu un jour Régis Debray poser un peu la même question : Pourquoi blasphémer si on ne croit pas en Dieu ? Mais je n’ai jamais pensé à lui répondre parce que lui, je ne l’aime pas, alors que Frigide… Je ne blasphème pas contre Dieu, je m’en fous de Dieu, je ne m’adresse qu’à ses ouailles. Quand je suis seul, je ne blasphème pas, je fais comme s’il n’y avait personne puisqu’il n’y a personne. Je ne blasphème que quand j’ai un public, comme je ris parmi des gens qui ont peur quand je sais bien qu’il n’y aucun danger, ou qui s’extasient alors qu’on se demande pourquoi. J’aime ramener sur terre et à la raison ceux qui planent et je jubile devant les mines gênées et les airs outrés.

Si je faisais semblant de prendre tout ça au sérieux, de respecter les croyances des autres, j’aurais le sentiment de me moquer d’eux, de les prendre pour des cons, alors que j’aime plutôt les gens a priori, et que j’essaie d’être un gars sérieux, et honnête. Je blasphème comme on dit à son copain qui déraille : « Attends, arrête tes conneries, pas ça, pas toi. » Je blasphème pour faire venir à moi les petits enfants de tous les âges qui croient aux contes de fées. Je blasphème comme d’autres évangélisent, parce que je fais aux autres ce que j’aimerais qu’on me fasse, si j’étais égaré. Je blasphème par amour pour mon prochain. Et un peu pour moi aussi. J’entends dans le blasphème l’expression de ma bonne santé mentale, comme j’entends dans le râle que je pousse en m’étirant le matin, le signe de ma bonne humeur.

Jamais je ne doute.  Je sais bien que de là haut, personne ne me regarde, même pas mon père, alors que j’aimerais tellement bordel de dieu. « Dieu nous sort de notre sinistre isolement », nous dit Frigide. On ne serait pas seuls, et ce serait rassurant, et ce serait une bonne nouvelle. Moi je me sens bien, seul. Je nous sens bien, seuls, libres, affranchis, comme des humains sans pasteurs, sans bergers, sans seigneur, sans Dieu ni maitre. Je ne trouve pas que ça nous rende plus mauvais, ni meilleurs d’être sans foi (mais pas sans loi). Nous en avons des lois, nous ne sommes pas dans le vide, et nous ne sommes pas vides. Simplement, ce sont les nôtres, celles que nous choisissons, entre nous.

Et quand bien même il y aurait quelqu’un quelque part, ça changerait quoi? Pourquoi faudrait-il remercier, rendre grâce, s’agenouiller, se prosterner ? À vingt ans, j’aimais bien la phrase de Bakounine : « Si Dieu existe, il faut le combattre. » Aujourd’hui, je suis plus serein, je dirais plutôt que s’il existe, on peut s’en foutre. Et entre nous, s’il se vexe parce qu’on rit du prophète, de son fils ou du saint esprit, après Auschwitz, alors on l’emmerde. Et s’il ne se vexe pas, où est le problème ? Pourquoi en faire tout un foin ? Pourquoi vouloir être plus royaliste sur la terre que le roi dans son ciel ?

Voilà. Je ne sais plus ce que je voulais dire. Ah si. Un lieu commun. C’est bien aussi un lieu commun, même si on tient tous à nos espaces privés : la bonté n’appartient pas plus aux croyants qu’aux mécréants, ni l’humour, ni l’amour. Hors de l’église et même dedans, on en voit qui aiment rire et jouir. Ça se voit chez Frigide. Et pas chez Ludovine.

*Photo : SIPA.00728191_000008.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Immigration: bilan globalement négatif
Article suivant Festival de la BD: misère de l’art paritaire
Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération