Hollande au Congrès: paroles, paroles?


Hollande au Congrès: paroles, paroles?

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Il est des moments dans la vie d’une nation où la vie politicienne doit être mise entre parenthèses. C’était tout le sens de la convocation du Congrès et du discours historique prononcé le 16 novembre par le Président de la République. Et disons-le franchement, pour l’essentiel, notre Président s’est montré à la hauteur. L’opposition aussi. Les mots, comme les mesures annoncées, sont destinés à entrer dans l‘histoire. Nous verrons bien, dans l’avenir, si ces dernières suffiront à permettre de gagner la « guerre », désignée dès le début du discours. Mais force est de constater que le Président de la République a souhaité revêtir les habits d’un homme d’Etat, apparaître comme faisant de la Politique au sens noble du terme et laisser, le temps d’un grand moment d’unité nationale, le jeu politicien de côté.

Il s’en est fallu de très peu que l’on en reste là. Annonçant d’importantes créations d’emplois dans le cadre du « pacte de sécurité » – faisant au passage du quinquennat Hollande définitivement celui des « pactes » –  le Président a souligné, ce qui est passé presque inaperçu, que « cet effort (…) permettra simplement de restaurer le potentiel des forces de sécurité intérieure au niveau qu’elles connaissaient en 2007 ». 2007… date de l’élection de Nicolas Sarkozy à la Présidence de la République. Une autre date aurait pu être choisie : on pense notamment que les chiffres de 2005, 2006, 2008 ou encore 2009 ne doivent pas être sensiblement différents. Mais c’est bien 2007 qui a été choisie comme date de référence, implicitement présentée comme le point de départ de la chute des effectifs policiers.  Autrement dit, il incombe au gouvernement actuel de réparer les dégâts causés par le quinquennat précédent, et lui seul, sans lesquels l’effectif des forces de l’ordre aurait été au niveau des besoins qu’appelle la situation d’insécurité actuelle.

La question de la destruction des emplois de policiers par l’ancienne majorité avait déjà provoqué, on s’en souvient, de vigoureuses passes d’armes entre Manuel Valls et l’opposition dans l’arène de l’Assemblée nationale, le premier imputant à l’ancienne majorité les défaillances auxquelles le Président Hollande propose aujourd’hui de remédier. Nous sommes ici bien incapables de trancher cette querelle de chiffres, mais nous constatons qu’elle a donc été au cœur d’une des annonces les plus importantes de François Hollande. Et pas n’importe laquelle : on peut en effet penser que les français sont plus sensibles à la question du nombre de policiers, au-delà même des questions de lutte contre le terrorisme, qu’aux aménagements constitutionnels, peut-être importants, mais moins tangibles. Il est par ailleurs acquis que l’on en rediscutera lors des prochaines élections régionales et présidentielles. C’était sans doute irrésistible pour François Hollande, il ne pouvait se retenir. La pilule ne passe pas. Il reste que cette précision purement politicienne, et donc totalement inutile n’avait pas sa place devant le Congrès. Ou encore, comme on dit, n’était pas au niveau du discours prononcé.

Ce n’est peut-être pas tout à fait une remarque de même nature qu’il faut formuler à propos de la saisine annoncée du Conseil d’Etat sur ces « autres propositions » dont tout le monde aura compris qu’elles sont celles de Nicolas Sarkozy. En l’occurrence, ce n’est pas de querelle politicienne dont il faut parler, mais de tactique. Le gouvernement, « dans un esprit d’unité nationale », nous dit le Président, « va saisir pour avis le Conseil d’Etat pour vérifier la conformité de ces propositions à nos règles fondamentales et à nos engagements internationaux. Cet avis sera rendu public et j’en tirerai toutes les conséquences ». C’est en effet en apparence un gage d’unité nationale : voilà que le Président actuel, adversaire ancien et peut-être futur de l’ancien Président, qui entretient avec lui des relations empreintes d’une certaine détestation, que le respect épisodique de certains usages protocolaires républicains peine à masquer, reprend ses propositions, ou plutôt ne les rejette pas en bloc. Ce faisant, il sait que le peuple lui en saura gré. On ne fera pas au Président Hollande un procès d’intention, toute sincérité n’est pas a priori à exclure. Mais il n’est pas interdit de penser que des calculs politiciens l’ont incité à prendre cette décision. L’histoire a montré que la saisine du Conseil d’Etat, pour avis, est déjà en soi un moyen de ne pas décider. On se souviendra de la saisine du Conseil d’Etat par Lionel Jospin en  1989 à la suite de l’affaire de Creil et du voile islamique à l’école.

Si l’on part du principe que les propositions formulées par Nicolas Sarkozy posent des questions juridiques aussi nombreuses que complexes, touchant aux fondements du droit pénal et du droit constitutionnel et qu’elles posent en outre d’évidents problèmes, probablement insurmontables, de compatibilité avec le droit de l’Union européenne et la Convention européenne des droits de l’homme, il n’est pas exclu que l’ancien Président ait tendu un piège au gouvernement actuel. Il n’est ainsi pas totalement impossible de penser que la saisine du Conseil d’Etat a été décidée, moins pour permettre de sérieusement envisager ces mesures, que pour mieux les enterrer. Il y a en effet fort à parier que la Haute instance administrative, peu habituée aux raisonnement tranchés et abrupts, prenne acte de la complexité de l’état du droit, et désavoue les propositions de Nicolas Sarkozy, ou, tout au moins annonce leur trop délicate applicabilité.

Le Président Hollande a indiqué qu’il tirerait toutes les conséquences de cet avis. Pour peu que le Conseil d’Etat se montre sévère, il y en aura d’évidentes : écarter les propositions de l’ancien Président. Et la boucle politicienne sera bouclée.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00730914_000015.



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est avocat à la Cour et Professeur associé de droit public des universités.

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