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De la lâcheté comme un des beaux-arts


Je sais, c’est un peu convenu, comme titre, enfin ça en a l’air ; on croirait relire un titre mille fois lu, du genre que bâclent si bien les secrétaires de rédaction du Monde 2, quand vient l’heure de l’apéro : « De la visibilité pérenne comme un des beaux-arts ». On pourra aussi imaginer une pigiste de Cuisine Actuelle qui veut impressionner sa rédac’ chef : « De la verrine de lapereau considérée comme un des beaux-arts ». Mais en vrai, si j’ai titré avec cette banalité endimanchée, c’est un peu exprès : aujourd’hui, je veux vous parler de lieux communs sous habillage lettré, de stéréotypes maquillés en pensées, subversives de surcroît. Bref, je voulais vous parler du discours obligé sur l’art contemporain. Et spécialement d’un discours, celui que tint Fabrice Bousteau lors du Bal Jaune, la soirée de gala qui marque l’ouverture de la FIAC.

Mais me direz-vous : qui c’est, Fabrice Bousteau ? Par souci d’équité, laissons la notice qu’il a rédigée pour le Who’s who répondre à notre place : Fabrice Bousteau est chroniqueur à l’émission « Tout arrive » sur France Culture, producteur de l’émission « Surexposition » sur France Culture, chroniqueur hebdomadaire sur BFM, directeur de la rédaction et rédacteur en chef de Beaux-arts magazine[1. Tout ça m’a coûté 6 € sur whoswho.fr, mais le prix forfaitaire incluait de nombreuses majuscules superflues.]. On présume que c’est à ce dernier titre qu’il était invité à discourir sur l’estrade du Bal Jaune. Et mazette, quel discours !

Figurez-vous, nous dit-il en substance, que l’art contemporain est la cible d’un terrible complot orchestré par la Réaction, visant à le museler et, avec lui, la quintessence de toutes nos libertés. La preuve ? Fabrice Bousteau n’a pas hésité à la hurler à la face du monde : « On vient d’élire à l’Académie française quelqu’un qui dit que l’art contemporain c’est de la merde ! » Là, notre orateur marque le temps d’arrêt qui, rituellement, appelle les applaudissements nourris de l’assistance ! Las, ils ne vinrent jamais. Même sa claque habituelle de rebelles subventionnés ne répondit pas à l’appel, sans doute désorientée par plusieurs phrases de plus de cinq mots et une syntaxe, disons, erratique. On l’imagine dépité, retournant à sa table, en claironnant pour qu’enfin on le comprenne : « Vous avez vu ce que je lui ai mis, à Jean Clair ! » et se faire enfin congratuler par sa petite cour d’artistes engagés[2. Pour la soirée]. On a les satisfactions qu’on peut…

J’imagine aussi que depuis ce dîner plus que raté (pour lui, moi je me suis régalé…), Bousteau doit ruminer sa haine contre les bourgeois en cravate et les bonnes femmes en escarpins qui n’ont pas su soutenir son combat pour les libertés, au nom de valeurs aussi ringardisées que la politesse (on ne prend pas à partie un absent, fût-il académicien), la vérité (Jean Clair a critiqué certaines dérives de l’art contemporain, sans jamais lancer, lui, de généralisations excrémentielles), ou encore la gratitude (pour son œuvre d’écrivain, son travail à la tête du musée Picasso ou les nombreuses expositions dont il a été le commissaire plus qu’inspiré).

Gageons que notre offensé d’un soir lavera cet affront dans le prochain numéro de Beaux-Arts, où on ne manque jamais d’expliquer aux lecteurs ce qu’il faut penser de cet académicien critique d’art qui critique l’art académique. Mais à la place de ce pauvre Bousteau, moi, je laisserais filer : s’il veut éviter de se ridiculiser à nouveau, il serait plus avisé de s’en tenir désormais à des questionnements plus en rapport avec ses capacités, tel, par exemple, celui qui fait la Une du dernier supplément de son magazine : Ce qui monte, ce qui baisse, où acheter, comment acheter ?



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