Afghanistan : cachez ces abus sexuels sur mineurs


Les Américains sont venus en Afghanistan en 2002 pour débarrasser le peuple afghan de la menace talibane. Plus de 10 ans après, faute de pouvoir instaurer l’ordre, ils sont forcés de se reposer sur des hommes qui violent des enfants. Ecœurés par la loi du silence, certains militaires ont perdu foi en ce qu’ils faisaient.

Le soldat Lance Buckley a été la victime collatérale des crimes des soldats afghans. Un soir, il confie à son père au téléphone : « La nuit, nous pouvons les entendre crier, mais nous ne sommes pas autorisés à faire quoi que ce soit. » Son père, qui rapporte la conversation au New York Timeslui conseille alors d’en parler à ses supérieurs. Mais, explique-t-il, son fils lui a seulement répondu que « ses officiers lui disaient de détourner le regard parce que c’était un fait culturel ».

Suite à la mort de son fils, Gregory Buckley Sr. a accusé l’armée américaine et porté plainte contre elle. En effet, Lance Buckley est mort assassiné, en 2012, par l’un des garçons qui vivaient dans sa caserne sous la surveillance d’un officier de police afghan protégé par les autorités américaines : Sarwar Jan.

Cet homme était pourtant précédé d’une drôle de réputation. En 2010, il avait un échappé à un jugement demandé par les autorités américaines elles-mêmes. Il était notamment soupçonné d’enlèvements enfants, de corruption et de collaboration avec les Talibans. Deux ans après, il est affecté au poste de Lance Buckley dans la province d’Helmand, au sud du pays, lieu hautement stratégique car accueillant une bonne partie de la culture d’opium afghane.

Aujourd’hui, M. Jan a été à nouveau déplacé. Il a même obtenu une promotion à un poste situé dans la même province. Dans une récente interview, il a nié avoir détenu des enfants pour en faire des esclaves sexuels, et avoir eu des rapports avec le garçon qui a tué trois marines dont Lance Buckley. « Non, tout cela est faux », a-t-il déclaré. Pourtant, dans la région, les gens avancent discrètement que M. Jan a un « problème de dents » – une expression locale pour désigner les comportements pédophiles.

En Afghanistan, les Américains font donc face à une situation paradoxale. D’autant que le cas de Lance Buckley n’est pas le seul. Et si tous les soldats américains ne meurent pas sous les coups des enfants violentés, certains sont enjoints de se taire quand ils évoquent certains comportements inacceptables.

C’est le cas du capitaine Dan Quinn, convoqué en commission de discipline pour avoir frappé un soldat afghan qui gardait un enfant attaché à son lit. Dans son cas, obéir aux ordres revenait à fermer les yeux devant les actes des miliciens formés par son armée. Conséquence : Dan Quinn a été relevé de ses fonctions et éloigné de l’Afghanistan. Il a, depuis, quitté l’armée.

Un autre homme, interrogé par le New York Times, est menacé de subir le même traitement. Le sergent Charles Martland, membre des forces spéciales autrefois décoré pour ses faits de guerre, pourrait bientôt être radié de l’armée. Son cas est remonté jusqu’au Congrès américain où le Représentant Républicain Duncan Hunter a pris sa défense, dans une lettre à l’inspecteur général du Pentagone : « L’Armée soutient que Martland et les autres auraient dû détourner leurs regards (une idée qui selon moi est un non-sens). »

Interrogés sur le cas du sergent Martland, les chefs d’état-major ont refusé de répondre en invoquant le secret du dossier. Mais en questionnant le Colonel Brian Tribus, porte-parole du commandement de l’armée américaine en Afghanistan, leNew York Times a obtenu cette réponse par mail : « Généralement, les allégations d’abus sexuels sur mineurs par les membres de la police militaire afghane tombent sous le coup de la loi pénale locale. Il n’est pas expressément requis que le personnel militaire américain nous les rapporte ». Il ajoute cependant qu’il existe une exception dans le cas où le viol est utilisé comme une arme de guerre.

Bien entendu, cette politique d’intervention minimale a pour but de maintenir de bonnes relations entre les soldats américains et les policiers afghans qu’ils ont eux-mêmes formés pour affronter les Talibans. Le journaliste du Times parle aussi d’une certaine « réticence à imposer des valeurs culturelles dans un pays où la pédérastie est répandu ».

Au sein de l’armée, certains soldats ont en tout cas reconnu que ce choix politique avait du sens, même s’ils étaient eux-mêmes choqués par ce dont ils avaient pu être témoins. Ainsi, un ancien marine explique : « Le plus important était de combattre les Talibans, ce n’était pas d’arrêter les molestations. »

Pourtant, le capitaine Dan Quinn a vite compris l’impasse dans laquelle se trouvaient les soldats américains, condamnés à arbitrer un combat entre deux groupes violents : « La raison pour laquelle nous sommes venus est que nous avons entendu parler des choses terribles que les Talibans faisaient au peuple, comment ils bafouaient les droits de l’homme. Mais nous mettions au pouvoir des hommes qui faisaient des choses pires que les Talibans – les hommes les plus âgés du village me le disaient. »

Photo : Pixabay

 



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