Le Premier ministre Keir Starmer avait mobilisé plus de 40 pays et organisations les 31 mars et 1er avril pour lancer une lutte mondiale sans précédent contre les impitoyables réseaux de passeurs. Mais, alors que les résultats se font attendre et que le mouvement « Raise the colours » prend de l’ampleur (lire notre édition d’hier), le populiste Nigel Farage dévoile son plan choc.
Le vent frais de Douvres balaie le front de mer presque désert. Au loin, les falaises blanches se détachent sur un ciel gris. Ici, à seulement 35 km des côtes françaises, le Royaume-Uni observe le passage des migrants à travers la Manche. C’est une scène devenue le terrain d’une bataille politique intense. Nigel Farage, figure du parti Reform UK, y voit une opportunité pour son plan choc : envoyer les demandeurs d’asile sur l’île de l’Ascension, en plein océan Atlantique – loin du continent européen.
Alors que les élections législatives britanniques sont encore loin (2029), M. Farage intensifie le débat sur l’immigration avec ses propositions. Il promet la construction de centres de détention géants et l’organisation de déportations massives, affirmant que cela mettra fin aux traversées de la Manche. « Si les gens savent qu’ils seront détenus et expulsés, ils cesseront de venir très rapidement », déclare M. Farage au Times. « Nous avons une crise massive en Grande-Bretagne. Cela ne représente pas seulement une menace pour la sécurité nationale, mais peut aussi conduire à une colère publique proche du désordre. »
Le plan choc de Farage
Le projet de M. Farage prévoit d’offrir 2 500 livres aux demandeurs d’asile pour retourner volontairement dans leur pays d’origine, avec en plus des billets d’avion financés par le gouvernement britannique, ainsi que la construction de centres de détention pouvant accueillir 24 000 personnes dans les 18 mois suivant l’élection. Le Premier ministre Keir Starmer, arrivé au pouvoir avec une majorité confortable, n’a pas encore montré qu’il pouvait réduire l’afflux de demandeurs d’asile, malgré ses critiques envers le gouvernement précédent. Les derniers chiffres officiels indiquent que 111 084 demandes d’asile ont été déposées au Royaume-Uni jusqu’en juin, dont 43 600 par bateau – un chiffre en forte hausse depuis la pandémie.
Depuis sept ans, plus de 157 000 migrants ont tenté clandestinement de traverser la Manche, avec un nouveau record de 6 600 arrivées rien que dans les trois premiers mois de 2025.
Accord avec la France : entre coopération et controverse
M. Starmer a signé un accord avec la France pour le renvoi de certains migrants, tout en maintenant la politique controversée de placement dans des hôtels et motels, ce qui provoque actuellement des protestations locales. « Je suis déterminé à briser le modèle commercial des passeurs et je prends des mesures conjointes avec nos alliés pour y parvenir », a-t-il déclaré. Pour M. Farage, la question est aussi symbolique. L’île de l’Ascension, située à environ 1 500 km au large de l’Afrique et 2 200 km de l’Amérique du Sud, est un territoire britannique isolé avec des bases militaires. Chaude, sèche et dotée d’un approvisionnement en eau limité, elle constituerait un éloignement extrême pour les migrants récalcitrants. « C’est loin et c’est cher, mais c’est symbolique », assume M. Farage.
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Selon lui, sa politique coûterait 10 milliards de livres sur cinq ans, dont 2,5 milliards £ pour construire les centres de détention.
Keir Starmer et la coopération internationale
En mars, M. Starmer avait appelé la communauté internationale à s’unir pour « éliminer les réseaux de passeurs une fois pour toutes », en ouvrant un sommet réunissant une quarantaine de pays. Parmi les participants figuraient la France, l’Allemagne, les États-Unis, ainsi que des pays d’Afrique, du Moyen-Orient et d’Asie. Le Sommet international sur la sécurité des frontières de Londres visait à combattre la criminalité organisée, liée viscéralement à l’immigration, à partager renseignements et tactiques, et aussi à agir « en amont », depuis les pays d’origine des migrants jusqu’aux nations d’arrivée. La coopération internationale inclut également des discussions avec la Chine pour limiter l’exportation de moteurs et pièces pour petits bateaux utilisés dans la Manche, et des campagnes publicitaires en ligne en Irak et au Vietnam pour dissuader les départs. Ces initiatives viennent compléter les mesures internes, comme le projet de loi de Starmer donnant aux forces de l’ordre des pouvoirs comparables à ceux contre le terrorisme, et le durcissement des règles sur la nationalité et le travail illégal.



À Douvres, les avis des Britanniques sur les demandeurs d’asile divergent : la majorité les considèrent comme des migrants économiques, tandis qu’une minorité dénonce la présence de criminels. À Calais, Salem, un jeune Yéménite, attend son tour pour un repas offert par la Cuisine communautaire des réfugiés. Cigarette à la main et nerveux, il raconte son parcours à travers la France, la Belgique et les Pays-Bas, fuyant la guerre au Yémen et espérant une vie meilleure au Royaume-Uni. « On ne se fait pas d’amis ici. On ne peut faire confiance à personne », murmure-t-il.
La plupart des migrants interceptés par la Border Force ne sont jamais vus par les habitants britanniques. Ils sont emmenés dans des bâtiments sécurisés avant d’être relogés à travers le pays. La majorité (73 %) sont de jeunes hommes. Les chiffres témoignent d’une décennie de hausse continue. En 2015, le Royaume-Uni enregistrait 25 771 demandes d’asile sur un an. En 2025, elles sont donc passées à 111 084 (dont 43 600 arrivées par bateau). Et malgré les graves besoins dans le secteur de la santé au Royaume-Uni – où au moins 31 000 infirmières manquent à l’appel –, le débat sur les frontières reste au cœur de la politique.



Tensions sur le littoral français
Près de 200 migrants, principalement des jeunes hommes venant d’Afrique, font la queue pour leur repas à Calais. Parmi eux, Tupac, originaire de Gambie, raconte son parcours en Europe et son aspiration à une nouvelle vie au Royaume-Uni. « J’ai un esprit fort et je peux travailler, mais on ne te donne pas d’opportunités », dit-il, en montrant les photos poignantes de ses jeunes enfants. Sur le littoral, le jeu du chat et de la souris entre autorités et migrants est permanent. Trois agents patrouillent tous les deux kilomètres, en fonction des marées et de la météo. La police maritime intervient pour empêcher les traversées clandestines et l’accès à l’eau. Le 11 août, l’ancien candidat conservateur Robert Jenrick a posté des images de ce qu’il décrit comme « 60 ou 70 migrants avec des gilets de sauvetage » près de Dunkerque, soulignant la tension persistante sur la question migratoire. Entre la Manche et l’Ascension, la proposition de M. Farage rappelle tout de même les stratégies coloniales d’exil forcé.




