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Crise : le pire est peut-être devant nous


Crise : le pire est peut-être devant nous

Vous n’insistez pas sur un point à mon avis déterminant : la peur. Car cette nouvelle classe financière ne semble jamais satisfaite : toujours plus de rendement, toujours moins d’imposition, un système de brigands où les plus mauvais patrons sont protégés par leurs pairs (golden parachutes, retraites dorées, stock-option, etc.) et n’hésitent pas à démanteler leur propre entreprise (voir Alcatel). N’a-t-on pas assisté, plus qu’à une révolution économique, à une révolution anthropologique avec la fermeture brutale de la parenthèse ouverte au XVIIIe siècle par la révolution industrielle, politique et scientifique en Europe, qui avait permis l’éclosion de l’individualisme en même temps que la persistance d’un projet collectif ? Après la longue histoire des communautés où l’individu était brimé, l’époque des individus affranchis de toute solidarité entre eux ne vient-elle pas de débuter ?
C’est en effet une hypothèse. Et une hypothèse angoissante. Nous manquons encore de recul pour pouvoir en juger. Mais une chose est certaine : ce n’est ni le projet ni l’espoir de l’essentiel des habitants de la planète ! Les choix de Wall Street ne sont pas ceux de Main Street, c’est-à-dire une vie décente organisée par le travail et non par la prédation. Nos élites ont gravement failli: nos patrons se sont parfois comportés, en effet, en bandits de grand chemin plutôt qu’en leaders, et n’ont jamais moins qu’aujourd’hui mérité le titre désuet de « capitaines d’industrie » ! Mais ils n’ont pas seulement contribué à détruire le pacte social sur lequel s’était rebâti le monde après le nazisme, ils ont aussi durablement appauvri notre environnement naturel. L’obsession des échanges, la noria de containers qui sillonnent nos mers, la délocalisation à outrance, constituent le facteur essentiel des drames écologiques qui se préparent… Et je crains, en dépit du plan global annoncé ce 13 octobre, que nous ne soyons pas au terme de la crise financière, qui peut faire plonger le secteur bancaire, donc asphyxier l’économie réelle, faute de prêts à la production et à l’investissement, plonger des millions de gens dans le chômage, atrophier par conséquent la consommation et déstabiliser les « miracles » chinois ou indien. Le monde va encore devoir absorber un nouveau tsunami financier : celui des LBO ou Leverage Buy Out. Depuis vingt ans, en effet, la grande mode, chez nos prédateurs, a été de racheter des entreprises, avec de l’argent emprunté il va sans dire, pour les dépecer par appartements (d’où le concept grotesque de « société sans usines »), les réorganiser en fonction d’objectifs à très courts termes (leurs cotations) au mépris de leur viabilité (investissements, recherche) afin de les revendre à d’autres spéculateurs. Tel est le principe du LBO. Tant que l’argent était facile, la cavalcade était possible. Désormais, avec un crédit plus cher et donc plus rare, des millions d’opérations spéculatives de ce genre qui ont été, elles aussi « titrisées » (c’est-à-dire injectées dans le système financier), vont montrer leur limite. Nous parlons-là de centaines, peut-être de milliers de milliards de dollars. Qui en assumera le coût ? Le pire est peut-être encore à venir – et comme nos banques sont fragilisées, et que les Etats, surendettés des deux côtés de l’Atlantique, ne peuvent combler tous les trous, je vous laisse imaginer ce qu’il adviendra quand la crise des LBO éclatera…

Pour ceux de nos lecteurs qui ne se seraient pas encore pendus, évoquons à présent les solutions que vous préconisez afin de sortir de cette Crise globale…
La première mesure serait de renoncer au dogme de la mondialisation à outrance. Il nous faut revenir à une forme de protectionnisme : si l’on veut que la demande soutienne l’activité, il faut que les consommateurs conservent un salaire décent. Donc que leurs emplois soient préservés. C’est l’urgence. Il faut briser net la croyance que le crédit, gagé sur la hausse perpétuelle de la valeur de votre maison ou de votre portefeuille, puisse être le moteur de la demande. L’immobilier partout recule, et la France n’échappera pas à une baisse des prix ; les bourses ont laminé les petits porteurs. Seul le revenu du travail doit et peut permettre la croissance. Il faut donc protéger le travail. Bien sûr, il serait stupide de revenir au protectionnisme pur et dur, mais chaque zone économique doit s’organiser de façon à protéger ses emplois, surtout ceux à valeur ajoutée. L’Amérique du nord, l’Union européenne et l’Asie ont des marchés de suffisamment grande taille pour permettre, en leur sein, le libre-échange et lutter contre le dumping social fiscal monétaire et environnemental, dans leur commerce avec le reste du monde. Si certaines zones acceptent, avec l’accord de leurs électeurs, de saborder leur protection sociale, leur droit du travail et le niveau de rémunération du travail réel, au moins ne l’exporteront-elles plus vers les autres grandes zones. Et on verra alors qu’un dosage entre libéralisme et protectionnisme, entre protection sociale et libre entreprise, permet un développement durable. Et puisque les dirigeants des grandes économies ont montré, sous le coup de la peur, qu’il était possible de mener des politiques communes, chacune de ces zones devra imaginer des New Deal. Pour l’Europe, la voie est tracée : de grands programmes d’investissements dans les infrastructures (je pense notamment au fer-routage) et la recherche surtout fondamentale. Il faut repenser à long terme- se donner dix ans, par exemple, pour passer à la voiture sans essence, inventer des produits non polluants et de qualité, etc. Financés par de grands emprunts publics défiscalisés associés à des capitaux privés, comme jadis, ils redonneront en outre aux peuples le sentiment d’un projet et d’un avenir communs. Les classes moyennes comme les générations futures y trouveront leur compte.

Vous abordez, dans votre essai, bien d’autres questions. Dont le cas de la Chine, que vous présentez sous un jour qui troublerait plus d’un altermondialiste…
Je ne fais pas dans ce livre le procès de méchants Occidentaux qui auraient égaré et mené à la ruine le monde entier : la folie prédatrice a été généralisée, elle n’a connu ni race ni nationalité. Les capitaux assoiffés de rendements comme les traders fous – voyez les salles de marchés ! – témoignent d’un dérèglement généralisé. C’est pourquoi j’attire également l’attention sur la politique de la Chine, qui s’est comportée en puissance néocoloniale en Afrique, où elle pille les ressources naturelles, soutient des régimes iniques et nuisibles au développement des peuples africains. Elle mène de plus une véritable politique de colonisation en exportant populations et cadres dans l’ancienne Indochine, mais aussi dans le reste du tiers-monde – un projet évoquait, à terme, l’émigration de trois cents millions de Chinois dans le monde afin d’accroître la présence et l’emprise de Pékin ! La Chine, forte de sa croissance et de ses réserves de capitaux, ne s’est par ailleurs pas pacifiée : elle continue à menacer Taiwan, à intimider tous ses voisins, dont le Japon. Et pour faire bonne mesure, elle ressuscite l’Angleterre de Dickens : des centaines de millions de travailleurs errant, nouveaux misérables assujettis aux intérêts des nouveaux milliardaires, et une formidable pollution. Car il ne faudrait pas oublier que le premier pollueur de la planète, désormais, c’est la Chine.

La Crise globale

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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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