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Crise : le pire est peut-être devant nous


Crise : le pire est peut-être devant nous

Sans parler de « complotisme », fort en vogue de nos jours, n’y a-t-il pas dans votre analyse une reconstruction a posteriori ? Les Etats-Unis, aux mains d’idéologues « ultra-libéraux », ont-ils vraiment planifiés ces événements historiques ou les ont-ils simplement exploités ?
Le terme complot ne veut rien dire. Il s’agit d’une stratégie s’appuyant sur une idéologie. Les Américains, et plus généralement les Anglo-saxons, sont convaincus que leur modèle est, sinon le meilleur du monde, du moins le plus efficace. Et qu’il n’y en a pas d’autre possible. Au cours de l’histoire, chaque génération, chaque école de pensée, chaque pays lutte pour imposer ses idées et défendre ses intérêts. C’est la loi de nature. Reste que les intérêts des Etats-Unis, de la Chine, des élites financières des pays pétroliers ne sont pas forcément les mêmes que ceux des classes moyennes occidentales, des Africains ou de bien d’autre pays ou communautés. Je retire de l’analyse de ces trente dernières années une certitude : le système qui s’écroule actuellement, « évaporant » des milliers de milliards de dollars sur les marchés, ponctionnant injustement des centaines de milliards d’euros sur des populations précarisées, ce système mondial est né et a été imposé au reste de la planète par les Etats-Unis.

Cette « révolution », certains lui attribuent pourtant une croissance durable et générale, une innovation technologique sans précédent et – ce qui n’est pas négligeable… – la sortie de l’ère des famines de la Chine et de l’Inde, c’est-à-dire de la moitié de l’humanité. Ne vous montrez vous pas, dans votre essai, davantage procureur que bon juge en mettant l’accent sur la seule « destruction des classes moyennes » en Occident ?
Non, parce que je tiens les deux réalités pour enchevêtrées. La disparition de la famine est un fait en Chine et en Inde, mais est-elle due à la révolution néolibérale ou à la marche de l’histoire ? Un développement mondial fidèle au modèle keynésien, c’est-à-dire solidaire, protecteur et redistributeur, n’aurait-il pas obtenu les mêmes résultats ? Par ailleurs, j’ajoute à cette question, un autre, bien plus angoissante : est-on certain que le développement de l’Inde et surtout de la Chine soit aussi sain, aussi durable qu’on le dit ? On a adopté là-bas de façon brutale le néolibéralisme : des dizaines de millions de quasi-esclaves, une précarité étendue à un milliard d’individus, et un système dépendant des flux financiers internationaux. Je ne suis pas certain que les deux géants asiatiques soient à l’abri d’une grave crise économique et de très, très graves troubles politiques internes. Auquel cas, la révolution néolibérale aurait aussi réussi à disloquer ces deux géants ! Car elle a, clairement, détruit les classes moyennes en Occident. Le New Deal puis la reconstruction de l’Europe étaient fondés sur un principe de civilisation : tous progressent ensemble. Cela voulait dire un Etat interventionniste, et parfois chef d’orchestre, une fiscalité redistributive, un protectionnisme à échelle variable, et, par-dessus tout, de larges classes moyennes. Pourquoi ? Parce que les classes moyennes en s’étendant confortaient un principe politique – celui d’un destin commun – et un principe économique –plus de pouvoir d’achat pour plus de monde, donc plus de demande, donc plus de production, d’investissement, etc. La révolution américaine, à partir d’un constat juste (des économies sclérosées), a fait un pari fou : la destruction de ce système. Désormais, cela devait être chacun pour soi. L’individualisme roi. Et, j’insiste sur ce point, le passage à une économie de la prédation.

Du capitalisme de production au capitalisme de prédation, en somme. A vous suivre, ce n’est plus la « valeur ajoutée » qui prime dans l’économie mondialisée mais la « plus value », ce qui est très différent : au bénéfice légitime sera préférée la spéculation universelle…
C’est exactement le mouvement que l’on observe : les salariés, les usines, les produits et parfois même les clients deviennent de simples variables d’ajustements. Il faut faire monter les cours en bourse pour satisfaire les nouveaux maîtres du monde, les défenseurs sur tous les continents de la financiarisation de l’économie. L’objectif qu’ils fixent n’est pas la croissance, l’innovation, l’investissement, sans parler du bien-être social, mais le rendement de leur seul capital qui, parfois, n’est même pas le leur puisqu’ils vont avoir une tendance croissante à abuser des « effets de levier » (avec cent j’emprunte mille pour spéculer). Dès lors, la seule finalité, c’est le retour sur capital d’une portion ultra-minoritaire du genre humain : le grand rêve du capitalisme des classes moyennes (né, rappelons-le, aux Etats-Unis sous Roosevelt) s’est alors effacé devant l’hystérie d’une minorité prête à tout mettre en péril pour augmenter des gains jamais suffisants : voyez comment en trente ans, le partage des richesses aux USA a fait de ce grand pays généreux le royaume de l’inégalité, où 1% de la population concentre un quart du patrimoine et des revenus !



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David Martin-Castelnau est grand reporter, auteur des "Francophobes" (Fayard, 2002).

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