La grâce d’Élie Chouraqui


La grâce d’Élie Chouraqui
Stanley Weber dans "L'origine de la violence" de Stanley Weber (Photo : L'Origine Productions)
Stanley Weber dans "L'origine de la violence" de Stanley Weber (Photo : L'Origine Productions)

Bien des choses dans L’origine de la violence pouvait a priori inquiéter : le motif cent fois rebattu du secret de famille et de l’affrontement d’un père et de son fils autour d’une vérité trop longtemps tue ; le thème de la guerre, de l’Occupation, de la persécution des juifs et la tentation, parfois périlleuse, de faire du grand-romanesque à partir du tragique ; l’imbrication de deux histoires, l’une contemporaine, l’autre de l’ordre de la reconstitution historique avec notamment des scènes de camps de concentration (sur lesquelles même les plus grands cinéastes ont pu se casser les dents) ; enfin, la difficile adaptabilité d’un récit littéraire, à fortes connotations psychologiques, en cinéma, c’est-à-dire en images et en situations concrètes. Élie Chouraqui qui fut parfois, au début de sa carrière, plus généreux que précis, plus sentimental que rigoureux, allait-il s’en tirer ?

Oui, cent fois oui. Le réalisateur a su éviter ces chausse-trappes, en préférant d’abord raconter une histoire plutôt que démontrer une thèse sur le poids du passé. Élie Chouraqui a également su s’en tenir à un format relativement court (110 minutes) là où tant d’autres, grisés par l’ampleur du récit, auraient laissé le film filer vers ses trois bonnes heures. Dès les premières images, le film convainc par son énergie, sa fluidité, ce plaisir de tourner du cinéaste – qui entraîne le nôtre, spectateur pris par une main sûre et volontaire, et surtout adroite. Plus que cette histoire bien ficelée qui joue efficacement sur notre désir de savoir et retient notre attention, c’est la caméra alerte de Cbouraqui, son sens du cadre et du mouvement, l’alternance de plans larges et serrés (alors caméra au poing) qui donnent au film une étonnante vitalité, une émotion vibrante, charnelle, mais jamais lourde ou larmoyante.

Un autre péril attendait le film au tournant : Élie Chouraqui a donné à son fils César l’un des rôles principaux (il est Nathan Wagner de la guerre et le jeune Adrien Fabre des années 60). Le père saurait-il diriger le fils ? N’allait-on pas droit vers un de ces fiascos où le metteur en scène à la fois protège et malmène un acteur trop proche affectivement, tandis que ce dernier se protège par la pudeur ou l’empêchement. Ou au contraire, le père et le fils n’allaient-ils pas se laisser aller à une sorte d’exhibitionnisme affectueux (« Voyez comme il est beau », « Regardez comme il m’aime. »), empêchant le spectateur d’approcher l’acteur, le personnage et finalement l’histoire ? Il n’en est rien. Sous la conduite de son père, César Chouraqui réussit à dépasser son narcissisme de jeune premier pour donner à son personnage plus qu’une séduction première, immédiate : une fragilité, une vulnérabilité et une vérité prometteuses. La scène où Nathan affronte le sadisme du médecin du camp, superbement contenue, est sans doute l’une des plus difficiles et des mieux maîtrisées du film.

La réussite de L’origine de la violence tient d’ailleurs beaucoup à cet abandon, à cette confiance que les acteurs accordent à leur metteur en scène, comme s’ils étaient tous, quels que soient leur âge et leur expérience, un peu comme le jeune César, entre des mains sûres, protectrices, paternelles. En un mot : aimantes. Stanley Weber (Nathan Fabre), Richard Berry (Adrien Fabre, si bouleversant d’émotion nue dans la scène finale) et Philippe Bouquet livrent à la caméra une intimité saisissante qui font de L’origine de la violence plus qu’une bonne surprise : un excellent film.

L'origine de la violence - PRIX RENAUDOT POCHE 2010

Price: 2,06 €

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