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Choses vues en Talibanie du Sud


Choses vues en Talibanie du Sud

Il fait chaud sous la burqa. Le soleil afghan n’épargne ni les hommes ni les bêtes. La chaleur contraint les uns comme les autres à rechercher le repos et l’ombre bienfaisante. Au loin dans la campagne les habits noirs des femmes dessinent sur les champs de pavot les points d’une monumentale coccinelle. Ce sera du bon, cette année.

Attaché de presse des forces de libération talibanes, Ahmad[1. Les militaires de la coalition étant très suspicieux en ce moment, les noms des talibans ont été changés pour des raisons de sécurité.] se montre extrêmement prévenant avec moi. Fonçant sur sa mobylette, il jette régulièrement un œil pour vérifier si je le suis. C’est pas facile de courir en burqa et je m’étonne moins des pitoyables résultats de l’équipe féminine talibane aux derniers JO.

Ahmad s’arrête devant une masure à moitié détruite. Je le rejoins.

– Vous les occidentaux, vous ne tenez pas la distance, me dit-il en tapotant la tête d’une femme attachée à une chaine métallique devant la maison. Allez, entre et n’aie pas peur, elle aboie mais ne mord pas.

J’esquive adroitement la chienne de garde pour pénétrer chez mon hôte. Alors que, de l’extérieur, la maison semblait menacer ruine, l’intérieur est plutôt cosy et agréable, quoique un peu trop chamarré, suivant le goût afghan. Ahmad s’extasie devant la silhouette d’Oussama Ben Laden réalisée sur un mur au pochoir. Sur la table du salon, quelques numéros épars de Talibans Hebdo, un exemplaire en mauvais état de L’Empire de Toni Negri et Les Secrets déco de Valérie Damidot.

– Comment analysez-vous la situation, deux semaines après les événements ?
– Nous pensons que la situation est grave et inextriquée (sic). Je ne vois pas comment TF1 va se sortir de l’impasse. Laurence Ferrari n’est pas à la hauteur et, à titre personnel – ça n’engage pas l’avis du haut commandement taliban –, je pense qu’il faudrait faire revenir d’urgence PPDA à l’antenne.
– Oui, oui, tout le monde sait ça, mais moi je parlais de l’embuscade du 18 août…
– Ah, l’embuscade… je n’ai pas envie d’en parler.
– Vous avez quand même accordé un entretien à Paris Match !
– Oui, mais moi je n’en voulais pas. Paris Match a beau être le quotidien de référence en France, ça a beaucoup baissé ces dernières années. A tout prendre, s’il faut être absolument présent dans les salles d’attente des dentistes, j’aurais choisi Voici ou Point de Vue.
– Quel était votre but en rencontrant Paris Match ?
– Je vous le répète : c’est une affaire classée. Dans une opération de poublic reléchionne, même avec un professionnel comme moi, il peut y avoir des ratés. Vous n’allez pas me brouter la barbe avec cette histoire ! D’accord : j’aurais préféré que les Inrockuptibles ou Télérama répondent à l’invitation. On leur avait envoyé les billets, mais leurs grands reporters se sont perdus dans les toilettes pour hommes du hall 4 de Roissy… On a essayé de faire venir Daniel Mermet, de France Inter, mais quand il a su qu’il n’y avait pas de picole chez les talibans, il a refusé de venir.
– Les talibans ne boivent pas ?
– Non.
– Pas de vodka, ni de whisky, ni de gin, ni de schnaps ?
– Rien du tout.

Je prends congé d’Ahmad. Direction l’aéroport de Kaboul. On ne m’y reprendra pas. Saloperie de barbus.



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Née à Stuttgart en 1947, Trudi Kohl est traductrice, journaliste et romancière. Elle partage sa vie entre Paris et le Bade-Wurtemberg.

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