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Ne jugeons pas en bloc !


Ne jugeons pas en bloc !

Depuis la chute du mur de Berlin et l’intégration des pays de l’ancien « bloc » communiste dans l’Union européenne, l’habitude a été prise d’opposer Ancienne et Nouvelle Europe dans le vocabulaire courant. Mal interprétée, cette distinction pourrait laisser entendre qu’une Europe orientale, jeune, moderne, tournée vers l’avenir s’oppose à une Europe occidentale, vieille dame respectable mais un peu sur le retour. Or, il n’en est rien et j’aurais même tendance, sans vouloir jouer les mauvais esprits, à penser parfois le contraire, d’autant que la plupart des pays de la « nouvelle Europe » appartiennent à notre histoire depuis un bon millénaire…

Plus ennuyeuse, la partition de l’Europe en deux « camps » traduit l’idée encore largement répandue d’un continent scindé en deux. Le premier responsable en est le régime communiste lui-même, qui avait initié la politique des blocs, prétendant rassembler sous une même bannière des peuples aussi divers et aux intérêts parfois aussi opposés qu’Allemands de l’Est et Bulgares, Hongrois et Roumains, même s’il est vrai (Roumanie mise à part – je ne parle pas ici de la Yougoslavie qui ne faisait plus partie du « camp » depuis belle lurette) qu’ils étaient enfermés dans le carcan d’une idéologie commune et, surtout, prisonniers du Pacte de Varsovie et des contraintes économiques du Caem (Conseil d’assistance économique mutuelle), alias Comecon.

Si, à la bonne vieille époque du rideau de fer, on pouvait encore laisser passer ce classement simpliste et déjà erroné, force est de constater qu’il a encore la vie dure de nos jours. Je prendrai pour exemple les débats aujourd’hui soulevés par la crise géorgienne. Dans des commentaires récents autour des divergences d’approches entre les Vingt-Sept, il m’est arrivé d’entendre à plusieurs reprises opposer un camp dur anti-russe des « ex Pays de l’Est » au groupe occidental plus conciliant. La position intransigeante du premier camp s’expliquant par le traumatisme autrefois imposé par le bulldozer soviétique à ses chers petits-frères. Or, il n’en va pas tout à fait ainsi. Si la Pologne et les Pays baltes ont une approche dure vis-à-vis du grand voisin, leur position est partagée par certains à l’ouest, telle la Suède ou le Royaume-Uni. On trouve également à l’Est des Etats sensiblement moins engagés : la Hongrie, dont le gouvernement a adopté une attitude relativement modérée et diplomate, ou la Bulgarie, plus discrète…

Et pour cause : coincée entre les grand ennemis prussien et russe, qui n’avaient pas attendu le XXe siècle pour se partager allègrement son territoire, la Pologne reste très marquée par les mauvaises manières du camarade Staline (qui, rappelons-le, l’avait envahie dès 1939 en accord avec Hitler) ; idem pour les pays Baltes qui furent annexés à l’empire soviétique. Mais quid de la Bulgarie ? Frère slave orthodoxe, elle était parfois considérée comme la « seizième république soviétique ». Marquée par sa courageuse insurrection de 1956, la Hongrie est plus orientée vers la neutralité (sa nature et sa situation géographique l’expliquent), comme une seconde Autriche. Je ne parle même pas de la Slovénie, qui laisse toujours l’impression d’être un land autrichien. Et quoi de commun entre une société tchèque d’avant-guerre démocratisée et occidentalisée, alors que Polonais et Hongrois en étaient à une société encore très marquée par le contraste entre latifundia et petite paysannerie ? Sans parler de la césure, tout autant culturelle que religieuse entre catholiques et orthodoxes. Au même titre que les Norvégiens et les Grecs, ces pays n’ont pas grand chose en commun, sinon d’être bien sympathiques… Quant aux anciens régimes – au pluriel… : quoi de commun entre la rigidité toute prussienne d’un Honecker ou le cynisme d’un Husak et le pragmatisme relativement bienveillant d’un Kádár avec son communisme du goulache ?

Arrêtons donc de jouer au cowboy et à l’indien en opposant le vilain méchant russe au gentil petit ex-frérot sauvé de ses griffes avec la bénédiction du généreux oncle Sam. Même si le géant russe (très fragilisé) est loin d’être un enfant de choeur, n’en concluons pas qu’il est perçu partout à l’Est comme le bourreau d’enfant que nous nous plaisons à dépeindre. La situation est beaucoup plus nuancée. Certes, il y a l’Otan, l’arme du gaz, etc. Mais les affinités et les intérêts stratégiques peuvent diverger… Ne réglons pas notre vue d’un coup de cuiller à pot, au mépris des composantes historiques, religieuses et culturelles de ces pays. Ce sera peut-être là, en tenant compte de leur identité et de leur personnalité propre, notre façon de mieux respecter les nouveaux venus.



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Diplômé des Langues'O (russe, hongrois, polonais), Pierre Waline est spécialiste de l'Europe centrale et orientale. Il vit a Budapest où il co-anime entre autres une émission de radio.

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