Pariser gagne la partie


Pariser gagne la partie

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La réalisation d’un premier long métrage est bien souvent le fruit d’une lente maturation chez le cinéaste qui doit attendre de se sentir prêt pour se lancer dans cette aventure décisive pour le lancement de sa carrière. C’est le cas de Nicolas Pariser qui a pris le temps d’affiner ses idées de scénario et de travailler sa mise en scène. Mais dès son premier court métrage en 2008, Le jour où Ségolène a gagné jusqu’à son moyen métrage La République pour lequel il obtient le prix Jean Vigo en 2010 en passant par Agit Pop, petite comédie burlesque sur la fin d’un journal culturel, sélectionné à la Semaine de la critique 2013, Pariser avait annoncé la couleur: ce qui l’intéresse ce sont les arcanes du pouvoir, les intrigues qui s’entremêlent et les alliances qui se renversent, bref le pouvoir considéré comme une partie d’échec. Il n’est donc pas surprenant que pour son premier long métrage, Pariser choisisse comme genre cinématographique le thriller politique.

Filmé dans une lumière hivernale, ce filme raconte, à travers une mise en scène soignée, un jeu d’acteurs remarquables et des dialogues travaillés, l’histoire d’une manipulation politique qui échoue.

Pierre Blum, sous les traits de l’excellent Melvil Poupaud, est un écrivain qui a connu un certain succès au début des années 2000 avec un premier roman salué unanimement par la critique. Depuis, il vivote se contentant de ses maigres droits d’auteur et n’écrit plus. Un soir, il rencontre sur la terrasse d’un casino Joseph Paskin, joué par un André Dussollier très en forme. Paskin fait partie des RG et engage Pierre comme nègre pour écrire un manifeste d’insurrection anarchiste destiné à déstabiliser le pouvoir en place. Pierre accepte la commande, écrit le livre et la situation dérape. Loin de tirer les ficelles, Paskin est pris à son propre jeu. Il est aussi mauvais joueur au casino que mauvais stratège en politique.

Quant à Pierre, embarqué dans cette histoire dans laquelle il tente de comprendre les tenants et les aboutissants, il se réfugie à la campagne dans une ferme tenue par des écolos altermondialistes, où il tombe sous le charme troublant de Laura, interprétée par Clémence Poésy, actrice au talent manifeste qu’on ne voit hélas pas assez sur les écrans. Ainsi, jeu d’amour et jeu politique s’emmêlent sur ce grand terrain de jeu qui est celui des idées. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le titre du film fait écho à Guy Debord.

Si Le grand jeu entre en résonance avec l’affaire de Tarnac, celle-ci n’est pas l’objet central du film mais plutôt sa toile de fond sur laquelle Nicolas Pariser esquisse les traits d’une génération qui, comme le résume Pierre avec une lucidité désarmante, n’a pas réussi à « imprimer l’époque ».

Triste constat que le réalisateur parvient à faire ressentir au spectateur en filmant du point de vue de Pierre qui n’a pas de prise sur ce qui se passe autour de lui, qui effleure la réalité, subissant une situation qui lui échappe. Pierre est ce héros romantique désenchanté qui se délecte de la haine de soi et cultive sa marginalité dans l’ombre de l’anonymat. Comme l’Octave d’Alfred de Musset, il est atteint par le « mal du siècle ». Sur son visage fermé se reflète le deuil de ses illusions passées d’utopie anarchiste. Et c’est à travers son regard désabusé que le portrait de sa génération se dévoile.

À l’opposé du rythme frénétique du thriller politique de base où chaque péripétie en appelle une autre, Nicolas Pariser signe donc un film imprégné d’une inquiétante sérénité, celle qui naît sur les ruines d’un monde. « Filmer follement la folie ou le chaos de manière chaotique me semble être depuis des décennies le comble de l’académisme. » explique le réalisateur pour qui la beauté, loin d’être « convulsive », comme dirait Breton, serait étrangement calme. Et c’est par ce délicieux retournement ironique que la lenteur devient finalement subversive frappant d’inconsistance l’immédiateté connectée de notre époque où la norme est la réactivité. À plusieurs égards, cette façon lente de filmer, appuyée par de plans larges rappelle le style de Jean-Pierre Melville, mais contrairement au réalisateur du « Samouraï », l’épaisseur du film ne vient pas du silence plombant si caractéristique des polars melvilliens mais des mots prononcés par les personnages. Des mots théoriques qui manipulent avec l’idéologie révolutionnaire, des mots politiques qui dissimulent dans le discours de Paskin et des mots poétiques qui dévoilent chez Pierre. Nicolas Pariser laisse à ses personnages le loisir de s’exprimer et de révéler leur vision du monde et c’est peut-être là la grande réussite de son film.

En salles depuis 16 décembre



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