Tsipras, encore une fois


Tsipras, encore une fois

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La Une du Monde de mardi soir était décidément étonnante : « Les Grecs valident la politique de réformes et d’austérité de Tsipras. »

À sa lecture, on se souvient de la manière unilatérale extrêmement défavorable, et c’est un euphémisme, dont ont été présenté Tsipras et Syriza depuis le 25 janvier 2015, jour de la première victoire électorale d’un gouvernement de gauche radicale dans l’Union Européenne. Des aventuristes, des idéologues, des maîtres chanteurs, des fainéants, des incompétents, nous en passons et des pires. Alors qu’est-ce qui leur a valu ce changement de ton ?

Malgré un environnement extérieur (avec la pression incessante de la Troïka) et intérieur (avec une oligarchie vent debout, dont les journaux et les chaînes privées ont donné de faux sondages montrant Syriza au coude à coude avec Nouvelle Démocratie), Tsipras a gagné pour la troisième fois en neuf mois ? Hat trick, comme on dit au football… On signalera au passage que pour la dernière échéance, Tsipras avait même un front de plus à combattre, celui de l’opposition de gauche au cœur même de Syriza, regroupée en une Unité Populaire, qui n’a pourtant pas réussi à rentrer dans la nouvelle Vouli.

Non, c’est que les médias, comme d’habitude,  prennent leurs désirs pour des réalités. Imaginez le titre si la droite de Nouvelle Démocratie ou mieux encore le parti chouchou de Bruxelles créé par une ex-star de la télé, Potamia (classé au centre-gauche, ce qui dit assez où se place le centre de gravité gauche/droite dans les médias mainstream)  avaient gagné contre Syriza. On aurait eu droit, avec la même assurance, à « Les Grecs font le choix clair de l’austérité et des réformes en rejetant la gauche » ou « Tsipras désavoué par un électorat grec en quête de réalisme. » 

À moins qu’on veuille ici et là administrer à Tsipras un baiser de la mort: on veut, vite fait bien fait, le discréditer en l’enfermant dans le rôle du traitre jouant la pièce du reniement. Et pourquoi pas, dans la foulée, le discréditer aux yeux des électeurs potentiels de la gauche radicale française ? Qu’on se rassure : la gauche radicale française n’a pas besoin du Monde pour se diviser sur la question Tsipras qui est un véritable marqueur encore entre ceux qui croient en Syriza et ceux qui y voient l’éternelle trahison des espérances révolutionnaires dans la social-démocratie. Le Front de Gauche implose ainsi  doucement sur cette question comme sur d’autres: le PCF garde sa confiance à Syriza et le Parti de gauche de Mélenchon a soutenu les dissidents de l’Unité Populaire.

Mais personne ne s’interroge, pourtant, sur ce qui crève les yeux. Les Grecs ne votent pas comme on leur dit ou comme on aimerait qu’ils le fassent. Du coup, ils envoient un signal qui ne plaît ni aux marxistes orthodoxes, ni aux libéraux, ni aux souverainistes. Ils expriment tout simplement le désir, schizophrène qui sait, mais le désir tout de même d’une Europe qui est une trop belle idée pour être le cheval de Troie de la mondialisation libérale. Ils nous disent, et je trouve qu’ils ont raison, qu’il faut vouloir le beurre de l’égalité sociale, l’argent du beurre du continent le plus prospère du globe et, passez-moi l’expression, le cul de la crémière de l’émancipation.

Et c’est Syriza qui incarne ce désir parce que, de fait, Syriza n’a rien trahi du tout. Y compris lorsque Tsipras a accepté, un pistolet sur la tempe, le mémorandum du 13 juillet. Il a été victime d’un coup d’état financier, d’une revanche idéologique de la Commission qui voulait faire un exemple. Seulement, il a été réélu et le seul parti officiellement  européiste, Potamia, a reculé. Cela veut dire que les Grecs comprennent que le match continue, que Tsipras peut les mener sur cette voie étroite d’une Europe réorientée vers plus de social et d’un euro qui soit un instrument de relance et non un carcan monétariste.

Encore une fois, comment peuvent-ils donner un sens radicalement différent à la victoire d’un parti et d’un homme qui ont retrouvé leur score et leur électorat à la décimale près ? Et pour l’instant qui sommes nous, surtout à gauche, pour critiquer le seul leader de type communiste (eh oui…) en Europe, victime d’un putsch bancaire, qui explique sincèrement qu’il ne croit pas en la politique qu’on lui impose et qui garde malgré tout la confiance de sa base ?

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : SIPAUSA31362371_000018.



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