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DSK, l’oncle d’Amérique


DSK, l’oncle d’Amérique
Flickr / International Monetary Fund
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Vous bilez plus, le Messie est revenu. Et comme on vit au temps où qu’on vit, c’est pas sur le Mont Sinaï qu’il a fait son come-back, mais sur Canal +. Le Messie ayant par définition, et probablement aussi par contrat, une vocation universelle, c’était en clair, au  » Grand Journal de Denisot  » mercredi dernier. Mazette, il fallait le voir pour y croire, et a fortiori pour ne pas y croire.

Ça commence très fort. Denisot l’intronise comme ayant « le rang de chef d’Etat » et dégaine immédiatement la preuve par l’image, magnéto Serge ! Nom de Dieu : c’est Dan Rather himself qui adoube l’ex-député du Val d’Oise comme star mondiale, qui explique tout de go que DSK est l’égal ou presque de Barack Obama ! Ça commence sec, on pressent un très grand moment d’irrévérence audiovisuelle, et on ne se trompe pas. Arrive Ariane Massenet, pas de surprise, la fausse blonde pose une vraie question de blonde. « Heuhaheu Monsieur Strauss-Kahn, comment ça marche le FMI? » Comme on est pas des surhommes, on peut seulement vous restituer le verbatim d’Ariane mais vous décrire dans toute sa splendeur mystique la bigote confuse en dévotion, c’est au-dessus de nos forces. Ariane ne s’émeut pas, elle fond. Si elle avait existé, elle aurait fini par disparaître…

Un miracle en appelle un autre : Apathie-Fouquier-Tinville s’est fait tout doux, ses réquisitoires sont saillants comme un champ de colza beauceron : les ondes bénéfiques strauss-kahniennes ont métamorphosé notre pitbull quotidien en bichon à sa mémère. Wow, c’est trop cool, l’effet DSK ! A la fin de l’interview, nos trois compères ont-ils demandé une photo dédicacée pour leurs enfants? Comme on n’était pas dans le studio, nous n’en jurerons pas, mais vu de loin tout cela évoquait furieusement une croisière low-cost de retraités accueillant Michelle Torr.

Face à des contradicteurs si incisifs, notre DG du FMI n’a pas trop de mal à dérouler son stock de banalités récupérées dieu sait où par un stagiaire qu’on imagine sous-payé, du genre : « Le FMI qui était un gendarme est devenu un médecin, il faut maintenant qu’il devienne un architecte ». On vous épargne les autres morceaux d’anthologie, on doit être des faux méchants, in fine.

Et comme on est vraiment des gentilles filles, on vous épargne aussi le résumé de l’édito de Joffrin, tout comme le compte-rendu de l’interview du Fig Eco, publiés le matin même, dans la foulée du sondage donnant DSK comme « le candidat de gauche le plus à même de battre Sarkozy en 2012 » et même les innombrables épigoneries subséquentes

On n’est pas méchants, donc, mais on n’est pas dingues non plus. Le même Bon Dieu qui a envoyé DSK redresser la France et le monde cette semaine, nous a malencontreusement dotés tous deux d’une anomalie congénitale à la naissance. La mémoire, ça s’appelle. Tout ce ramdam sur l’homme qui va sauver la gauche, ça vous rappelle rien ? Nous, si ! A ceci près que la dernière fois qu’on a entendu ça, l’homme en question était une femme. Même topo, mêmes sondages, même baratin péremptoire sur le seul qui peut barrer la route à la droite. Sauf que cette fois, on a rajouté un zeste d’exotisme, exit Poitou-Charentes, welcome NYC.

Sans vouloir fâcher la chef, il y a des jours où on pense qu’Elisabeth exagère un chouïa avec son explication globale de nos malheurs, de notre vacuité française, par l’omnipotence du Parti des Médias. Et puis il y a des jours où on se dit qu’elle est salement dans le vrai, et que notre consanguinité journalistique nous empêche d’y voir clair. Disons que ce mercredi était un jour comme ça. Un sondage, un Joffrin, un Denisot, et hop, l’affaire est dans le sac : la Ségolène nouvelle est arrivée ! Si Parti des Médias il y a, il a désigné son candidat, enfin son candidat socialiste, l’autre on va dire qu’on le connaît déjà. Si on organisait cette semaine des primaires dans les rédactions, DSK les raflerait fingers in the nose. Et il n’est absolument pas à exclure, Ségolène repetita placent, qu’il empoche, porté par la même hystérie médiatico-sondagière, les vraies primaires à gauche de 2011.

Manque de bol, les institutions de la Vème étant ce qu’elles sont, le suffrage universel n’est pas assujetti à la détention d’une carte de presse, ni d’une carte du PS, mais d’une carte d’électeur. Et là, ça se gâte.
Pourquoi ? Parce que, à l’image de sa prédécesseuse poitevine, DSK est incontestablement le pire candidat que la gauche puisse avancer. Et pire que pire parce que cette fois, le phénomène de démobilisation ne sera pas bêtement apolitique, centré sur le rejet psycho-morpho-machinbidulique de la candidate. Il s’agira bel et bien d’un échec politique de celui qui au premier tour, dégagera un boulevard à l’archéogauche (grand argentier, valet de Wall Street, blabla blabla) et simultanément, déroulera le tapis à la néogauche qui, si nos fiches sont à jour, s’appelle aujourd’hui les Verts (ennemi du tiers-monde, nucléariste forcené, époux d’une collabo de TF1 et tutti quanti). A l’arrivée, ben c’est le risque d’un candidat de gauche à vocation majoritaire qui ne rassemble au premier tour qu’un gros tiers des voix de son camp, et qui perd une moitié de celles qui restent au second tour.

En étant mauvaise langue, on pourrait donc dire que DSK n’est pas seulement le candidat de gauche intronisé par les médias pour 2012, mais surtout celui que Nicolas Sarkozy a choisi pour être son challenger, malheureux ça va de soi ?
Mais cette vision des choses est probablement issue de notre délire paranoïaque. Après tout c’est quand même pas Sarkozy qui a nommé DSK à la tête du FMI, non ?

Décembre 2009 · N° 18

Article extrait du Magazine Causeur



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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