La gauche n’a pas manqué de dénoncer Brigitte Bardot pour ses prises de position politiques. Il ne faut pas oublier que BB incarnait – et a porté à son acmé – un érotisme spécifiquement français.
« Avec Mémé, mourait une partie de moi-même. Encore maintenant, je refuse la mort, je suis bouleversée par cette chose inconnue, implacable. La mort, me paralyse, m’effraie à un point inimaginable. J’aime la vie de toutes mes forces, je ne comprends ni n’admets la mort […] ». Brigitte Bardot, Initiales B.B., mémoires (Grasset, 2020).
Bardot, Belmondo, Delon : la trinité d’un désir français
Ils ont incarné un moment éblouissant du désir qu’on éprouvait pour les Français : mêlé de gouaille pour Belmondo, de tourment pour Delon, d’insolence pour Bardot. Elle venait d’un milieu très éduqué, en possédait toute la solide extravagance, le pas assuré, la bouderie nonchalante. Delon avait fui un destin de garçon boucher, Belmondo était le fils d’un talentueux sculpteur.
En ce temps-là, le monde voulait du nouveau. La France lui a proposé ces trois figures, et il s’en est immédiatement épris. Il a aimé la mèche dans les yeux d’Alain le sombre, la sueur sur sa peau si lisse ; il fut séduit pas le charme cabossé de Jean-Paul, le boxeur bien élevé ; il s’affola devant la sensualité innocente et têtue de Brigitte Bardot.
Belmondo a tiré sa révérence en 2021, Alain Delon en 2024, avant-hier, Brigitte Bardot : la beauté française (son empire sur le monde, sa force colonisatrice) est décimée.
Bardot contre la révolte fonctionnarisée
Comptons sur France 2, France Inter, France Info et assimilés pour mettre en valeur, dans les propos que les employés de ces entreprises d’encadrement idéologique de la société française tiendront sur Brigitte Bardot, les déboires judiciaires de la star de toutes les nations (avec Marylin Monroe, sortie cependant d’un tout autre moule). On les entend ricaner ou même jouir à cette seule perspective.[1]
Soyons assurés de leur zèle de moralisateurs fortifiés, car ils sont tous membres de la brigade de surveillance des propos hostiles au conformisme contemporain, ces aigres examinateurs, censeurs bilieux des pensées secrètes ou révélées de l’opposition politique non-conforme. Ils démontreront l’acrimonie de ton et l’arrogance des imprécateurs d’inutilité publique, des pions chargés de dénoncer la pensée indépendante. « Laquelle » d’entre eux osera, la première, glisser dans son commentaire : « N’exprimait-elle pas clairement sa nostalgie pétainiste en lançant la mode du tissu vichy ? ». Nous avons des noms sur le bout de la langue, mais nous ne sommes pas des cafteurs…
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Encore ceci signé B.B., bien propre à enflammer l’érythème de la jeune fille pudique dont souffre les salariés du micro totalitaire d’État dès qu’ils sont mis en présence d’une expression « de droite évidemment extrême » : « Il n’y a plus que des barbus et des actrices aux cheveux gras, qui se font violer dans les coins, et qui trouvent des excuses à leurs agresseurs. Il n’y a qu’à regarder la cérémonie des César, où de gentils zombies remercient papa-maman, leur concierge et leur chauffeur de taxi, tout en lançant l’incontournable appel à la fraternité humaine et à l’antiracisme ». (Entretien dans Valeurs actuelles, mars 2017).
Enfin, pour nous, B.B. est d’abord la plus puissante – et la seule véritablement pérenne – des persistances rétiniennes créée par l’écran français après la Seconde Guerre mondiale.
De la grâce dans un bas nylon
Tout fétichiste digne de ce beau nom, évoque, non sans émotion, une scène autrefois censurée du film de Claude Autant-Lara, En cas de malheur (1958). Devant Gabin, impavide, Bardot soulève sa jupe ; elle n’apparaît pas exactement nue, elle semble surgir d’une féérie du désir, les reins ceints d’un porte-jarretelles – indispensable pièce du trouble et du secret, mécanisme fluide, suspension dérobée au regard, révélée à l’amant seul, décorée de dentelle – et les jambes voilées de nylon. Et tout cet appareil de la tentation n’est mis en place que pour consacrer les deux globes de ses fesses, qui viennent tendrement s’écraser sur un bureau.[2]
Toute la nation française d’avant Sandrine Rousseau est contenue dans cette magnifique et fugace parade d’invention et d’insolence : sa civilisation de pur raffinement, sa théorie de l’évolution de la chair, son sens du péché et de l’absolution immédiate. Tout cela s’était réfugié dans la personne de Brigitte Bardot. Il avait fallu mille cinq cents ans pour produire ce miracle, cette absolue perfection, et quelques décennies d’organisation sensuelle par la haute bourgeoisie française. Car Bardot appartient à cette classe et à ce pays, elle en est le produit, le rejeton, l’incarnation sans défaut. Des voyous surarmés, des politiciens frustrés achèveront peut-être de détruire jusqu’au souvenir de cette créature.[3]
« Ce que je tenais entre mes mains était de la dynamite. C’était aussi pour moi l’occasion d’être, une fois dans ma vie, une actrice, une vraie, capable de jouer sur une gamme qui allait de la comédie légère à la tragédie profonde ». Brigitte Bardot, Initiales B.B., mémoires (op. cit.).
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Elle inventa sa place et son jeu dans la parade charmante que se donnent les êtres, dans la surprise du désir qu’ils éprouvent, ses métamorphoses et… sa vérité.
Pour preuve : elle n’a pas trente ans, elle vient de la tentation, elle y retourne, elle porte un short blanc qui paraît suscité par une large ceinture de cuir, et son buste républicain (elle sera Marianne en 1971, sculptée par Aslan) est plus que souligné par une manière de gilet en maille fine. On ne trouvera pas une once de vulgarité, rien qui contrarie le goût, l’élégance, ni l’allure. Elle a derrière elle dix ans de danse classique, une éducation française, c’est à dire libérale et de bon aloi. Elle arrive et elle fonde immédiatement quelque chose qui pourrait se résumer ainsi : le chic rénové.
La ronde du désir
L’amour en France ? Un moment d’abandon à notre magnifique fantaisie animale augmentée de notre imagination rationnelle. Car le plaisir ne s’obtient pas sans le piment de la raison. C’est que, dans ce pays, si nous aimons bien avec le corps, nous aimons mieux encore lorsqu’il s’accorde à l’esprit. Les Français s’envoient en l’air… pour prendre de la hauteur ! Aimons-nous comme des bêtes, mais ne nous montrons pas stupides au déduit ! La géométrie dans les spasmes admet du spirituel dans ses formules : « […] qu’est-ce que les caresses de deux amants, lorsqu’elles ne peuvent être l’expression du cas infini qu’ils font d’eux-mêmes ? Qu’il y a de petitesse et de misère dans les transports des amants ordinaires ! Qu’il y a de charmes, d’élévation et d’énergie dans nos embrassements » (Lettre de Diderot à Sophie Volland, 1er juin 1759).
À la fin, que reste-t-il des transports amoureux ? Une bousculade de souvenirs, des corps et des visages fondus dans la brume de la mémoire, et l’émouvante impression de s’être glissé dans la ronde éternelle de la séduction et du désir.
Ces deux êtres que menacent le temps, ces deux-là l’un dans l’autre, avant d’être las l’un de l’autre, ne manquent pas d’audace : « Adieu, Camille, retourne à ton couvent, et lorsqu’on te fera de ces récits hideux qui t’ont empoisonnée, réponds ce que je vais te dire : tous les hommes sont menteurs, inconstants, faux, bavards, hypocrites, orgueilleux et lâches, méprisables et sensuels ; toutes les femmes sont perfides, artificieuses, vaniteuses, curieuses et dépravées ; le monde n’est qu’un égout sans fond où les phoques les plus informes rampent et se tordent sur des montagnes de fange ; mais il y a au monde une chose sainte et sublime, c’est l’union de deux de ces êtres si imparfaits et si affreux. On est souvent trompé en amour, souvent blessé et souvent malheureux ; mais on aime, et quand on est sur le bord de sa tombe, on se retourne pour regarder en arrière ; et on se dit : « J’ai souffert souvent, je me suis trompé quelquefois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu, et non pas un être factice créé par mon orgueil et mon ennui » » (Alfred de Musset, On ne badine pas avec l’amour, Perdican à Camille, Acte II, scène 5)
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Voilà, c’est fini ! B.B. est partie, à pied derrière le traîneau du Père Noël, afin de ne pas augmenter de son faible poids la charge des rênes qui le tiraient, et après avoir interdit au vieillard à barbe blanche d’user de son fouet.
[1] Comme démonstration, cet extrait d’un article d’une certaine Anne Lamotte sur le site de France Info le 28 décembre à 11h06 : « Elle se fait aussi remarquer à de nombreuses reprises pour ses déclarations anti-immigration. Celle qui voyait en Marine Le Pen « la Jeanne d’Arc du XXIe siècle » et qui soutiendra publiquement à la fin des années 90 les premiers maires FN de grandes villes, Toulon et Vitrolles, avait été condamnée à 5 reprises pour incitation à la haine raciale ». Le Monde rappelle sa lettre publiée par le magazine d’extrême-droite Présent dans laquelle elle alerte contre l’Aïd-el-Kébir, un thème récurrent : « On égorge femmes et enfants, nos moines, nos fonctionnaires, nos touristes et nos moutons, on nous égorgera un jour, et nous l’aurons bien mérité. La France musulmane, une Marianne maghrébine ? Pourquoi pas, au point où on en est ? » Elle se défendra alors à la barre en affirmant : « Je ne suis pas raciste dans l’âme ».
[2] Néanmoins, Bardot incarnera une sensualité animale débarrassée de la bimbeloterie érotique des années cinquante.
[3] Arletty avait ouvert la brèche, avec, dans la voix, l’ironie et la gouaille d’une aristo de Courbevoie.
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