Chronique d’un désastre annoncé


Chronique d’un désastre annoncé

kevin spacey house cards

La série télévisée américaine House of cards a remporté un grand succès tant auprès des critiques que du public lors de ses deux premières saisons. De nombreuses récompenses aux Golden Globes et aux Emmy Awards ont salué cette série originale qui est produite par une chaîne purement internet, ajoutant en cela à l’originalité du phénomène.

House of cards, rappelons-le, met en scène le personnage de Franck Underwood « whip » (coordinateur) de la majorité démocrate à la Chambre des représentants et son épouse qui échafaudent des plans perfides pour se propulser au sommet de la vie politique américaine. Au terme de la première saison, Franck Underwood parvient à se faire nommer vice-président des Etats-Unis. Au terme de la seconde, il devient Président en trahissant son prédécesseur qu’il pousse à la démission.

On s’attend au cours de la saison 3 qui s’est ouverte cette semaine à ce que Franck Underwood use de méthodes tout aussi radicales pour se maintenir au pouvoir et se faire réélire au terme de son demi-mandat. Pourtant la déception est immense chez beaucoup de téléspectateurs car les scénaristes ont renoncé à toutes les transgressions morales qui rendaient la série si attirante :

Le cynisme. Franck Underwood est un personnage 100% cynique qui ne croit à rien si ce n’est à lui-même. Il est la figure paroxystique de la réussite sociale qui s’assume dans l’écrasement des faibles et leur manipulation au bénéfice d’une cause purement individuelle. Il projette en cela la réalité d’une société américaine en proie à la dérégulation la plus totale, mais sous le couvert d’une morale de plus en plus exigeante. Une société qui peine à cacher sous le politiquement correct (invention américaine) le pouvoir donné aux lobbies au détriment du peuple. Comment savoir si les fans américains de la série ne l’apprécient pas pour des raisons strictement inverses des Européens ?

– Le machiavélisme. Franck Underwood joue au billard à trois bandes et même plus. Le spectateur était immergé au cours des saisons 1 et 2 dans un scénario plein de rebondissements dont il savourait les détours et les surprises. Le héros était certes perfide, mais sa malignité forçait l’admiration un peu gênée de tous. Pourquoi ? Sans doute parce que Underwood incarnait l’archétype de l’homme qui maîtrise son destin, même si au passage il ruinait des vies. Fascination, non pas tant pour le pouvoir, que pour l’emprise.

– La complicité morbide, enfin. Le héros et sa femme commettent, non seulement des forfaitures morales, mais aussi des crimes de sang. La saison 2 s’ouvre sur un épisode où Franck Underwood tue volontairement son ancienne maîtresse en la projetant sous le métro. Le spectateur prend subitement fait et cause pour l’assassin et souhaite qu’il reste impuni pour parvenir à son but. Il passe ainsi du statut de voyeur de crimes odieux au statut de complice de l’immoralité la plus abjecte. La transgression est totale et House of cards va sûrement plus loin dans ce sens que Scandal , autre série transgressive : il y a moins de sang, mais il y a plus de déstabilisation des repères du spectateur.

Sur ces ressorts scénaristiques, chacun pouvait s’attendre à une apothéose dans la saison 3 : alors que le héros est parvenu à la présidence des Etats-Unis en possession de pouvoirs sans limites, son dérèglement moral s’annonçait sans fin. On devinait qu’il allait déclencher des guerres, écraser des destins, pourrir la vie de ses collaborateurs et de ses opposants pour affermir son pouvoir et se faire réélire. Mais non. Les scénaristes nous ont livré une bluette insipide, où il ne se passe strictement rien hors de la normale : on y voit Underwood tenter de résoudre le problème du chômage, essayer de ramener la paix au proche-orient, tenter de faire ami-ami avec le président russe. La routine bienveillante d’un président « normal ». D’épisodes en épisodes, on espère découvrir un complot, un cadavre dans un placard, ne serait-ce qu’une petite prévarication… Non rien, pas la moindre turpitude. Juste une série de dialogues intimes et insipides qui s’éternisent dans la pénombre. On se croirait dans un documentaire de France 5 « Une journée avec François Hollande à l’Elysée »…. Et le spectateur se surprend à s’endormir sur son canapé. Quand il se réveille, il interroge son son voisin ou sa voisine : « j’ai loupé quelque chose, qu’est-ce qu’il s’est passé ? – Rien » .



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Xavier Théry travaille dans un grand groupe de communication.

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