Malgré les accusations récurrentes de « génocide », la population de Gaza continue de croître à un rythme soutenu. Cette dynamique, autrefois encouragée par les régimes nationalistes arabes, de Nasser à Boumediene, a depuis été reprise et amplifiée par le Hamas. Le mouvement islamiste terroriste en a fait un instrument stratégique et un rempart: en contrôlant étroitement la société, notamment les femmes, il a transformé la démographie en atout politique et militaire capital face à l’État juif. Analyse.
Deux ans après l’attaque du 7 octobre 2023, le monde reste marqué par la violence des massacres du Hamas et le traumatisme. La relance du plan Trump pour Gaza fait renaître l’espoir d’une paix fondée sur la démilitarisation et la reconstruction, mais cet horizon demeure fragile.
En deux ans de guerre, une rhétorique inversée s’est imposée : l’agresseur se présente en victime et toute riposte est qualifiée de « génocide ». Cette manipulation du langage offre implicitement au Hamas une bouée de sauvetage, lui permettant de justifier l’usage des civils comme boucliers humains, une pratique prohibée par le droit international humanitaire.
La démographie de Gaza constitue enfin un instrument politique et organisationnel. En contraignant les femmes à une natalité élevée, sans droit à l’avortement légal, le Hamas élargit sa base de recrutement et renforce sa domination sociale. Tant qu’il ne sera pas désarmé et que la vie civile restera sous sa tutelle idéologique, cela afflige toute perspective de règlement pacifique d’une complicité structurelle.
La manipulation des chiffres de victimes, notamment des femmes et des enfants, alimente une guerre de perception où la donnée se fait propagande. Or les indicateurs démographiques montrent qu’à Gaza, malgré la guerre, la population croît toujours, même depuis le 7 octobre 2023. Ce paradoxe révèle l’ambiguïté d’un récit qui confond tragédie et stratégie : Gaza demeure un champ de bataille médiatique autant qu’humain, où la vie elle-même devient instrument de guerre.
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La bande de Gaza compte aujourd’hui entre 2,1 et 2,2 millions d’habitants, dont près de 1,7 -1.8 million sont enregistrés comme réfugiés auprès de l’UNRWA, et environ 400 000 habitants originaires de Gaza même. Lors de la guerre de 1948, Gaza abritait environ 250 000 personnes, dont 200 000 réfugiés venus d’autres régions de la Palestine mandataire, et seulement 50 000 habitants originaires de Gaza même.
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Pendant sept décennies, la population de Gaza a été multipliée par plus de huit, la croissance étant encore plus marquée chez les réfugiés que chez les habitants originaires de Gaza. À l’échelle régionale, le nombre total de réfugiés palestiniens est passé d’environ un million en 1948 à près de 5,9 millions aujourd’hui, soit une augmentation nettement supérieure à celle observée chez d’autres populations réfugiées dans le monde. Ce paradoxe démographique, caractérisé par une population dite réfugiée en expansion continue malgré les guerres successives de 1967, 1973, 2008, 2014, 2021 et 2023, met en lumière le mystère d’une croissance à la fois singulière et persistante.
Le statut de réfugié accordé à environ 200 000 Palestiniens installés à Gaza en 1948 soulève une question demeurée largement ignorée. En 1947, l’Égypte, la Jordanie, la Syrie, l’Irak, le Liban et le Yémen ont rejeté le plan de partage de la Palestine adopté par l’ONU et choisi la voie militaire contre la création d’Israël. Leur défaite en 1948 marqua un tournant, mais les gouvernements arabes n’en tirèrent pas les conséquences politiques, notamment sur la question des populations déplacées. Dans d’autres contextes conflictuels, les États concernés ont assumé leurs responsabilités et intégré certaines populations, comme les métis aux Pays-Bas après l’indépendance de l’Indonésie ou les Indiens par le Royaume-Uni après leur expulsion d’Ouganda.
À l’inverse, l’Égypte, l’Irak, le Liban, la Syrie et le Yémen n’ont pas intégré les réfugiés à la suite de la guerre de 1948. Seule la Jordanie accorda la nationalité à une partie d’entre eux, tandis que l’Égypte, sous le règne du roi Farouk, administra la bande de Gaza sans naturaliser les quelque 200 000 réfugiés qui s’y étaient installés.
En 1952, le roi Farouk fut renversé par un coup d’État militaire mené par Nasser. Sous Nasser, Gaza devint un instrument d’influence et de contrôle. Comme l’a écrit Hannah Arendt, « dans le totalitarisme, tout devient possible » : la logique du régime nassérien associa politique et surveillance. Des enseignants et fonctionnaires égyptiens furent envoyés sur place, officiellement pour y travailler, mais en réalité dans le cadre d’un exil déguisé destiné à éloigner les opposants au régime.
L’UNRWA, censée être une agence internationale indépendante, dut néanmoins composer avec les autorités locales et, de fait, se conformer à leurs exigences. Elle enregistra comme réfugiés les populations présentes. Aujourd’hui encore, de nombreux « Gazaouis », y compris plusieurs dirigeants du Hamas, se revendiquent Egyptiens. Yasser Arafat lui-même, né au Caire sous le nom de Mohammed Abdel Raouf al-Qudwa, n’apprit jamais véritablement l’arabe levantin et conserva, jusqu’à la fin de sa vie, l’accent et les tournures propres à l’arabe égyptien.
Par conséquent, le régime nassérien fut le premier à structurer, de manière indirecte, une dynamique démographique à Gaza en y stabilisant une population sous administration égyptienne. Cependant, il ne fut pas le seul à exercer une influence durable sur cette évolution. Dès les années 1960, plusieurs États arabes pétroliers, parmi lesquels l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, les Émirats arabes unis et la Libye, recrutèrent massivement des enseignants, techniciens et cadres issus principalement de Syrie, du Liban, de Jordanie et des territoires palestiniens, sans accorder une attention particulière aux Gazaouis. Par ailleurs, la politique de Nasser consistant à envoyer du personnel égyptien vers Gaza engendra un chômage élevé, notamment parmi les diplômés, poussant les Gazaouis à chercher du travail à l’étranger.
Quand Boumediene organisait la fuite des cerveaux gazaouis
En revanche, le régime algérien de Houari Boumediene, connu pour son slogan « avec la Palestine, juste ou injuste », fit de l’accueil de réfugiés palestiniens, notamment de Gaza, un instrument de sa politique dite « d’arabisation », c’est-à-dire de défrancisation culturelle. Il aurait sollicité la direction de l’Organisation de libération de la Palestine, sous Ahmad Chouqairi puis sous Yasser Arafat, afin d’obtenir des listes de diplômés, principalement originaires de Gaza, pour les recruter comme enseignants en Algérie.
Boumediene, qui en Algérie encourageait la natalité pour des motifs chauvinistes, créa un climat où le recrutement des Gazaouis fut discrètement favorisé. Ces derniers furent incités à adopter le modèle nataliste, à la fois par la culture ambiante et par les avantages matériels. Mieux rémunérés que dans leur territoire d’origine et vivant dans un pays au coût de la vie bien inférieur, ils furent poussés, souvent de manière implicite, à fonder des familles nombreuses. Cette politique associa la fécondité arabe à une revanche symbolique sur Israël, dans une Algérie marquée par l’expulsion de sa population juive et un climat d’antisémitisme et de racisme anti-français dont le régime ne s’est jamais entièrement affranchi.
Quant au Hamas, bien avant même sa prise de contrôle de Gaza et dans les zones A et B, la législation locale suivait les cadres juridiques hérités de l’Égypte et de la Jordanie : le code pénal égyptien appliqué à Gaza et le code pénal jordanien en vigueur dans les zones A et B. Ces deux régimes interdisent strictement l’avortement, sauf en cas de danger grave pour la vie de la mère.
Depuis 2007, le Hamas applique une interprétation particulièrement rigoureuse de ces lois. Il exerce une surveillance étroite sur les femmes et poursuit les médecins soupçonnés de pratiquer des avortements. Plusieurs organisations de défense des droits humains, dont Human Rights Watch et Al-Mezan, ont signalé les effets de cette politique sur la santé et la dignité des femmes, souvent contraintes de recourir à des pratiques clandestines dans des conditions précaires. Cette situation fait peser un danger sur toute femme qui cherche à s’émanciper du discours théologique du Hamas, lequel appelle à la natalité même au prix de la création de familles très nombreuses.
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Cette politique s’inscrit également dans une logique de contrôle démographique : le Hamas cherche à maintenir un taux de natalité élevé, perçu comme un levier stratégique face à Israël. Ce contrôle du corps féminin, exercé sous la contrainte et la menace, révèle une instrumentalisation politique de la maternité au service des objectifs du mouvement et du renforcement de ses brigades armées.
Des prédicateurs religieux, des figures du nationalisme arabe et même certaines personnalités qualifiées de libérales ou modérées ont présenté la croissance démographique comme une arme stratégique du conflit. L’image de la « bombe démographique » s’est progressivement imposée dans les médias arabes. Dans un entretien diffusé le 11 mars 2009 sur Al Jazeera, Boutros Boutros-Ghali, ancien ministre égyptien des Affaires étrangères et ancien secrétaire général de l’ONU, théorise la fin de « l’État juif » dans un délai de vingt à trente ans sous l’effet de la dynamique démographique.
Cette rhétorique a fait de la natalité un enjeu idéologique majeur, partagé par les nationalistes et les islamistes. Les acteurs internationaux devraient inclure la dimension démographique dans les négociations, afin de protéger les droits des femmes, notamment à Gaza, de garantir le droit à l’avortement, de freiner l’instrumentalisation politique de la croissance démographique et de réformer les politiques familiales de manière adaptée pour répondre aux objectifs d’une paix durable et équilibrée.
Emmanuel Macron, chef d’État et figure influente au sein du Conseil de sécurité et de l’Union européenne, a plaidé pour la reconnaissance d’un État de Palestine, estimant qu’un État unique serait majoritairement arabe, sans voir que cette évolution démographique a été en partie fabriquée. Une approche plus prudente est nécessaire pour l’avenir du Moyen-Orient.
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