J’irai jouer sur vos tombes


Mignons tout plein et costauds avec ça. Par une belle après-midi à Sarre-Union, on vous retourne  250 pierres tombales et on brise une stèle portant les noms de ceux qui périrent dans les camps de la mort nazis. C’est juste ludique, pas antisémite pour un clou puisque l’étoile à six branches qui  marquait ces tombes ne  leur disait  absolument rien. C’est ce que ces charmants gamins déclaraient, jouant à la surprise devant le scandale qu’ils venaient de provoquer.

Qu’ils aient été inconscients ou non n’a pas grande importance. Leur acte est en effet un symptôme, c’est-à-dire quelque chose qui émerge du refoulé et  fait retour de ce dernier dans le réel. Et ce symptôme, c’est l’antisémitisme. L’argument de ces jeunes gens : « un cimetière abandonné », outre qu’il procède d’un mensonge manifeste, dit bien qu’il s’agissait pour eux de l’abandon, c’est-à-dire  du refoulement et du déni de l’histoire dont ces tombes étaient le rappel. Forclose, cette dernière n’aurait plus cours et tout ce qu’ils en avaient entendu dire, même fortement réactivé par les meurtres djihadistes et leur large publicité dans les médias, ne valait, ne pesait pas plus qu’une brume matinale s’évaporant avec la montée du jour. C’est l’interprétation la plus « gentille » qu’on puisse donner à leur acte, l’innocence étant le privilège du diable.

L’autre interprétation est que l’antisémitisme de ces individus (hérité peut-être de vieilles croyances familiales et d’un tropisme pro-nazi) s’est trouvé  renforcé  et quasiment justifié par l’antisémitisme pro-palestinien bien répandu et devenu un signe de ralliement au politiquement correct. Que le Nom Juif soit devenu une accusation autorisant toute violence envers ceux et celles qui le portent dans bien des écoles en est le signe le plus manifeste. Ergo, la banalisation de l’antisémitisme banalise la profanation des tombes juives. Mais cette profanation, qui porte atteinte aux vivants, exprime une muette complicité avec les crimes islamistes.

Cette complicité, homéopathique si l’on veut, le dosage n’allant pas jusqu’à la kalachnikov, se retrouve peut-être chez les profanateurs du cimetière chrétien de Tracy-sur-Mer. Antisémitisme en moins, mais anti-« croisés » en plus, la transgression du vieil interdit se libère. L’avenir sans illusions d’une civilisation exsangue cède le pas à l’illusion d’un ordre retrouvé par la destruction de l’Histoire et la généralisation du meurtre qui est à l’œuvre dans la nouvelle barbarie.



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Marc Nacht est psychanalyste et écrivain

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