L’écrivaine et grand reporter Vanessa Schneider consacre un livre à son père. Un récit d’autant plus émouvant qu’il ne l’épargne guère.
Quelques mois avant sa mort, l’écrivain et psychanalyste Michel Schneider, atteint d’un cancer incurable, confie à sa fille une lourde tâche. L’accompagner dans sa maladie, prendre en charge ses funérailles, sa succession, et peut-être aussi, sans que cela fût dit, sa postérité. C’est donc avec courage, qualité que son père lui a toujours reconnue, que Vanessa Schneider s’attelle à la tâche. Exhumant des centaines de papiers jaunis, elle tombe sur un petit livre de Sandor Marai. Son titre : Ce que j’ai voulu taire. Elle y voit un signe et se lance dans une vaste entreprise : raconter un homme qui, sa vie durant, n’a cessé de brouiller les pistes. Un homme « ravi d’échapper aux assignations, de déjouer les codes, de n’être jamais là où on l’attend » et qui, pour ce faire, a multiplié les activités. Écrivain et psychanalyste donc, mais aussi magistrat, conférencier, critique littéraire et haut fonctionnaire. Une ascension fulgurante pour celui qui fut renvoyé de son collège et ne parvint jamais à décrocher son bac. Le contexte familial n’aura pas joué en sa faveur. Mère alcoolique dont il dira qu’il ne l’a jamais vue debout. Père qui mourra lorsqu’il avait quatre ans et dont il finira par découvrir qu’il n’était pas son géniteur. Bref « une famille de fous » immortalisée par Vanessa Schneider dans son deuxième roman.
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Seules échappatoires à cet univers délétère : la musique et les livres qui resteront les deux grandes passions de sa vie. Sans oublier l’engagement politique que son père racontera à mots couverts dans Je crains de lui parler la nuit et dont il finira par revenir. Ses maîtres de l’époque : Marx, Lénine, Mao. À la mort du Grand Timonier, Vanessa verra pour la première fois pleurer son papa. Des années gauchistes dont elle rappelle qu’elles n’empêcheront pas son père d’entrer quelques années plus tard dans l’establishment jusqu’alors honni. Loin de l’hagiographie, ce récit intimiste ne cache pas la complexité d’un homme qui se définissait lui-même comme « une teigne », se disait féministe bien qu’interdisant à sa femme de travailler, fut maoïste puis pro-américain, adorait ses enfants mais refusait de s’en occuper. La peau dure est un livre sans concession, une lettre d’amour autant que de détestation à l’attention d’un père appelé tantôt « mon papa », tantôt « mon enfoiré de père ». Oscillant entre l’admiration et la colère, Vanessa Schneider dessine le portrait d’un homme qui a toujours lutté contre un sentiment d’illégitimité. Un homme que les honneurs n’ont pas réussi à rassasier. Un homme flirtant avec la folie parce que blessé. En 2006 il publiera son plus beau livre Marylin, dernières séances. Il idolâtrait l’actrice. « Son besoin d’être reconnue et consolée » était le sien. Quand Vanessa Schneider sort son premier livre, il exige qu’elle renonce à l’écriture : « Il ne peut y avoir deux Schneider sur les tables des librairies ». Heureusement la fille a tenu tête et signe avec La peau dure l’un de ses plus beaux textes.
La peau dure de Vanessa Schneider, Flammarion, 240 pages.
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