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C’est où l’Allemagne ?


C’est où l’Allemagne ?

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Nos vaillants analystes radiophoniques de la vie internationale, les Guetta, Adler et consorts, ont beau faire de méritoires efforts pour nous expliquer les enjeux du vote du 27 septembre en Allemagne, l’intérêt des Français pour ce scrutin est proche de zéro.

Il est vrai que la vie politique de nos chers voisins manque singulièrement de peps. La chancelière chrétienne-démocrate Angela Merkel dirige depuis quatre ans une « grande coalition » avec les sociaux-démocrates, version allemande de la cohabitation, et le seul suspense de ces élections législatives est de savoir si cette coalition sera reconduite ou si elle sera remplacée par une alliance de la CDU et des libéraux.

Originaire de l’ex-RDA, la chancelière, fille de pasteur de l’île de Rügen, dans le Mecklembourg, n’est pas du genre bling-bling et mène une vie privée d’une sagesse à mourir d’ennui. Elle s’est pourtant permis de figurer sur les affiches d’une candidate CDU à Berlin avec un décolleté plongeant, les deux dames se vantant d’avoir « plus à offrir » à leurs électeurs. C’est à peu près la seule péripétie de la campagne électorale allemande qui ait réussi à franchir le Rhin.

Le désintérêt croissant pour un pays qui fut jadis notre pire ennemi et qui est aujourd’hui notre principal partenaire commercial et politique est manifeste : l’apprentissage de l’allemand en France et du français en Allemagne est en régression constante, et cela fait maintenant plus de deux ans que Le Monde n’a plus de correspondant permanent à Berlin, imitant en cela les grandes chaînes de télévision.

Aux effusions de la réconciliation d’après guerre, aux accolades des couples mythiques de Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmidt ou Mitterrand-Kohl ont succédé la grise indifférence réciproque et les mouvements de recul d’Angela quand Nicolas veut lui claquer la bise.

Ce couple franco-allemand qui se vantait d’être le moteur de la construction européenne est aujourd’hui réduit au minimum syndical : on travaille ensemble quand nos intérêts se rejoignent, comme dans la récente crise du lait, et on joue perso partout ailleurs.

Mine de rien et sans faire donner la fanfare, Angela Merkel a fait de l’Allemagne la première adresse européenne dans le monde. C’est à Berlin que le candidat Barack Obama est venu se présenter à l’Europe, et c’est Angela Merkel que choisit Benyamin Netanyahou pour assurer une médiation avec le Hamas dans l’affaire Gilad Shalit. A Moscou, Poutine et Medvedev se félicitent tous les matins d’avoir en Allemagne une interlocutrice aussi compréhensive. Elle fait en sorte de saboter le projet de gazoduc Nabucco, qui contournerait la Russie pour acheminer en Europe le gaz d’Asie centrale, et regarde d’un œil bienveillant ses industriels majeurs, comme Siemens, se désengager de la coopération avec les Français pour s’allier avec les Russes dans le nucléaire. Elle ne craint pas de se mettre à dos les pays d’Europe centrale et orientale comme la Pologne ou la République tchèque, dont la dépendance économique vis-à-vis de l’Allemagne relativise la mauvaise humeur devant le flirt poussé germano-russe.

Bref, Angela est une Prussienne, une héritière d’Otto von Bismarck plutôt que du Rhénan Konrad Adenauer, et elle a réussi à contenir les Bavarois dans leur « Etat libre ». Elle mène sans complexe une politique nationaliste allemande comme au bon vieux dix-neuvième siècle, le militarisme en moins. Comme on a, fort heureusement, mis en place en Europe un système de prévention des conflits internes relativement efficace, ce retour à la primauté de l’intérêt national dans les choix politiques des nations européennes ne porte pas en lui le danger d’un nouvel affrontement sur le vieux continent.

L’Allemagne, qui a l’intelligence politique de ne pas pratiquer le cumul des mandats, exerce une influence prédominante au Parlement européen grâce à une cohorte de députés compétents et assidus dans les deux groupes politiques majeurs, le PPE et l’Alliance des socialistes et des démocrates.

Angela Merkel souhaite ardemment changer d’alliance et gouverner avec le parti libéral (FDP) de Guido Westerwelle, afin d’avoir les mains libres pour réduire la dépense publique et prolonger l’exploitation des centrales nucléaires, dont l’arrêt avait été fixé à 2020 par la coalition rouge-verte dirigée par Gerhard Schröder. Mais elle saura bien freiner les ardeurs ultra-libérales du FDP, car son parti, la CDU, ne la suivrait pas dans une dérive du capitalisme rhénan vers le modèle anglo-saxon.

A gauche, la montée en puissance de Die Linke, qui rassemble les déçus de la social-démocratie et les anciens communistes de l’ex-RDA n’a rien qui puisse réjouir le SPD : le temps n’est pas encore mûr pour qu’il puisse être considéré comme un honorable parti de gouvernement au plan fédéral. Ainsi, même si, comme les derniers sondages le prédisent, le bloc de gauche (SPD, Verts, Die Linke) fait jeu égal avec le bloc de droite, le seul choix du SPD est la reconduction de la « grande coalition » avec Angela Merkel.

Le seul homme politique français qui jette un œil concupiscent par-dessus le Rhin est sans doute Jean-Luc Mélenchon : il a pris le Sarrois Oskar Lafontaine pour modèle et souhaite s’appuyer sur un succès électoral de Die Linke pour accélérer la fusion du PCF et du Parti de gauche.

Reste la question à un million de feus deutschemarks : est-ce que tout cela est bon pour nous ? Comme on ne peut pas changer de voisin, il faut faire avec, quel que soit le patron ou la patronne de la boutique d’à côté. Réélue, Angela Merkel confortera son leadership européen : Gordon Brown risque fort de passer la main au printemps prochain au conservateur David Cameron, et Nicolas Sarkozy va bientôt entrer en campagne électorale. Angela Merkel n’est pas une francophile de cœur, mais elle a suffisamment de raison pour ne pas dévaster, par des gestes inconsidérés, une relation qui reste importante pour la stabilité de notre continent.



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