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Tout le monde a compris comment est mort Alexei Navalny


Tout le monde a compris comment est mort Alexei Navalny
À Paris, une manifestante a transformé sa pancarte "Poutine tue Navalny" en "Poutine a tué Navalny", 17 février 2024 © Thierry STEFANOPOULOS/MPP/SIPA

Au nord de l’Oural, dans l’Iamalo-Nénétsie d’où partent bien des gazoducs qui constituent l’une des sources de la puissance russe, Alexei Navalny est mort dans une colonie pénitentiaire surnommée « Loup polaire ». Extraction des minerais et oppression des hommes semblent résumer la Russie d’aujourd’hui.


Au portail, une inscription « Le bonheur n’est pas loin » qui rappelle celle d’un autre camp, bien plus connu. En hiver, on ne la voit pas, tout est nuit dans ce district arctique où la température est de moins 30°C. Condamné à neuf puis 19 ans d’incarcération, venu  de la prison de Vladimir fin décembre (« Je suis votre père Noel », avait-il plaisanté), Navalny a été condamné pour extrémisme, nazisme, diffamation, incitation de mineurs à des activités illégales, vandalisme motivé par la haine et même pour n’avoir pas respecté son contrôle judiciaire. Pour cause : il était alors en réanimation en Allemagne, après l’échec d’une tentative d’empoisonnement par un neurotoxique. 

Il narguait encore le juge lors d’une audience peut-être filmée la veille de son décès. 

Nier et terrifier

Trouver la cause d’une mort subite nécessite une autopsie, voire des analyses toxicologiques, mais la rétention du corps pendant plusieurs semaines suggère qu’il y a  des signes de traumatisme qu’on veut cacher. Une chaine d’informations indépendante prétend qu’une équipe du FSB, l’ancien KGB, était venue dans le camp la veille et que dès le matin les prisonniers savaient que Navalny était mort.

La réactivité des services russes fut impressionnante, comme si tout avait été préparé. Navalny meurt officiellement à 14h17, les services pénitentiaires l’annoncent à 14h19 et dès 14h23 la télévision russe déclare qu’il est mort d’une thrombose coronaire. Pur hasard, le directeur de l’administration pénitentiaire est promu au grade de colonel général le surlendemain. Autre hasard qui n’en est peut-être pas un, le décès a lieu pendant la Conférence de Sécurité de Munich, là où, il y a 17 ans, Poutine a pour la première fois attaqué l’Occident.

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La communication du Kremlin est à double détente: nier et terrifier. Cela remonte à loin. L’un des premiers opposants éliminés, oublié aujourd’hui, fut le député Sergueï Iouchenkov, qui enquêtait sur les attentats de 1999 qui avaient entrainé en Tchétchénie une guerre où Poutine s’est forgé la réputation d’homme fort. Il pensait, comme des historiens aujourd’hui, que ces attentats étaient un coup monté par les services secrets. Il fut assassiné en 2003. Les services secrets, la famille de cœur de Vladimir Poutine, dirigent toujours le pays. Certains disent qu’ils le possèdent.

Un opposant qui n’avait pas tout pour plaire à l’Occident

On a beaucoup accusé Navalny d’être un personnage peu recommandable, xénophobe et probablement antisémite. Il a été un nationaliste qui a tenu des propos outrageants sur les habitants du Caucase ou de l’Asie centrale sous prétexte qu’ils prenaient le travail des Russes en acceptant des salaires de misère. Ce discours populiste, il l’a publiquement regretté pour proposer un programme plutôt social-démocrate, mais la propagande n’en a pas tenu compte et Amnesty International l’a sorti de sa liste de prisonniers de conscience.

S’il avait gardé ses anciennes positions, Navalny aurait été un fervent partisan de la guerre contre l’Ukraine. Il en fut un adversaire déterminé. 

Son modèle était Natan Sharansky, qu’il a suivi, 40 ans plus tard, avant la Sibérie, dans la grande prison de Vladimir et dont le livre Fear no evil (Ne crains aucun mal) lui a servi de boussole morale. Sharansky a dévoilé leurs échanges dont je résume deux extraits: « Grâce à votre livre, j’ai compris qu’il y a des gens qui ont payé un prix bien plus élevé pour la défense de leurs convictions ». À quoi Sharansky répond « Je vous souhaite, même si c’est dur au niveau physique, de conserver votre liberté intérieure ». Une admiration réciproque…

Quant au bras droit de Navalny, il s’appelle Leonid Volkov et est actuellement réfugié à Vilnius. C’est un brillant informaticien qui a abandonné sa carrière pour le suivre. C’est aussi un Juif orthopraxe. 

Navalny est un homme qui, après avoir échappé de justesse à un empoisonnement, téléphone avec un aplomb incroyable à un de ses empoisonneurs et lui fait avouer son crime en public. Il retourne dans son pays en sachant qu’il y sera arrêté, et que la vengeance de Poutine sera d’autant plus impitoyable qu’il vient de le traiter de corrompu dans un film sur son palais de Sotchi.

Peu d’hommes ont choisi, en gardant leur humour comme arme, un emprisonnement dans des conditions terribles où la mort serait probablement au bout du chemin. En restant hors de Russie il savait que sa parole se dévaloriserait, mais il a surestimé son pouvoir de mobilisation des foules. Il n’y a eu que quelques centaines de personnes pour lui rendre hommage en Russie. Elles y couraient de grands risques mais il y en a eu encore moins en Occident où elles n’en couraient aucun. Poutine a gagné en endoctrinant sa population dans un mélange de peur physique, de nostalgie d’un passé mythifié, de rejet de l’étranger, de crainte du changement et d’appétence aux satisfactions matérielles. C’est la recette des dictateurs efficaces. Quant à notre sensibilité d’Occidentaux, il faut reconnaitre qu’elle est fugace pour des victimes dont le sort parait scellé, comme ce fut le cas pour les femmes iraniennes et comme ce l’est aujourd’hui pour les opposants russes. Pour parler comme Trump, qui s’est avantageusement et honteusement comparé à Navalny, celui-ci serait un « loser ». C’est surtout un homme debout, un héros de la liberté.

Source : Blog de Monsieur Prasquier



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est président d'honneur du CRIF.

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