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France 2 trop commerciale et pas assez culturelle selon TF1: de quoi je me mêle?

Saturer la télé publique de programmes culturels serait une fausse bonne idée


France 2 trop commerciale et pas assez culturelle selon TF1: de quoi je me mêle?
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Panique à TF1 : l’audience de la 2 pourrait bien passer devant son éternelle rivale, grâce à la diffusion des Jeux Olympiques ! Aussi, le groupe privé s’en va pleurer à Bruxelles, et y dénonce des «aides d’État illégales». Mais le défi de la transmission et de l’éveil d’un large public à des contenus de qualité ou plus culturels se réalise par un continuum. En ne proposant plus que des programmes culturels intimidants, en ne rassemblant personne, ce dont rêverait TF1, l’audiovisuel public manquerait à ses missions (cultiver, informer et divertir).


France 2 est-elle devenue une pâle copie de TF1 ? C’est en substance ce que la première chaine reproche à la seconde, et plus largement à France Télévisions, la Une ayant décidé de poursuivre le groupe dirigé par Delphine Ernotte devant la Commission européenne pour « aide d’État illégale » au motif qu’il se comporterait comme un groupe privé, multipliant les programmes commerciaux au détriment de ses missions de service public. TF1 reproche notamment à France Télévisions de ne pas diffuser assez de programmes culturels. Une accusation étonnante, qui ne résiste pas longtemps à l’analyse.

Rodolphe Belmer pense que France 2 est une concurrence préjudiciable à son groupe

En 2016, Olivier Babeau signait pour La Fondation pour l’innovation politique une note intitulée Refonder l’audiovisuel public. A quoi bon, se demandait l’essayiste, conserver une offre audiovisuelle publique si elle ne se démarque pas des chaines privées ? Selon lui, France Télévisions, pour se différencier, devrait abandonner le divertissement, segment sur lequel le groupe n’a pas de valeur-ajoutée par rapport au privé, pour se concentrer sur ses deux autres missions : informer, au nom du pluralisme, et cultiver, ce que les chaines privées ne font pas1.

Rodolphe Belmer, le patron de TF1, pense à peu près la même chose. Il reproche à France TV d’avoir mis le holà sur ses missions de service public, de diffuser trop de polars en prime time et pas assez de culture. En un mot, comme l’a résumé Delphine Ernotte, d’être « trop populaire ». Le 22 janvier, Le Figaro révélait ainsi que la filiale de Bouygues avait porté plainte, en novembre dernier, contre France Télévisions et l’État français auprès de la Commission européenne pour « aide d’État illégale »2. Principal grief : le financement accordé par l’État à France Télévisions ne serait pas suffisamment assorti de contrôles de ses missions de service public.

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Ce n’est pas la première fois que TF1 intente des actions à Bruxelles. En 1993 et 2008 déjà, la chaine privée se dressait contre ces mêmes aides publiques, avant d’être déboutée. TF1 était alors archidominante, ce qui n’est plus le cas – elle ne représentait plus que 18,6% de l’audience globale en 2023, contre 15,3% pour France 2. Cette lente érosion de ses audiences est évidemment due à la concurrence effrénée des plateformes de streaming (YouTube, Netflix, Amazon Prime, etc.), mais elle est également due à la montée en puissance de France 2. Dans les couloirs de France Télévisions, on n’hésite pas à y voir les fruits d’une modernisation de la grille des programmes, quand TF1 préfèrerait jouer la carte de la nostalgie, pour ne pas dire du passéisme (Star Academy, The Voice, Plus belle la Vie…). Fait inédit, la 2 pourrait bien passer devant son éternelle rivale dès cet été grâce à la diffusion des Jeux Olympiques.

Culture et divertissement peuvent faire bon ménage

Si les craintes de TF1 ne sont pas infondées, sa plainte devant la Commission européenne est-elle pour autant fondée ? C’est oublier un peu vite les nombreuses émissions et pastilles culturelles que l’on trouve sur les chaines publiques (Beau Geste, émission hebdo sur le cinéma, La Grande Librairie, seule émission dédiée aux livres en prime time sur une chaine généraliste en Europe, Le Grand échiquier, qui propose de partir à la découverte des artistes du monde ou encore Prodiges, concours de jeunes virtuoses de la musique classique, véritable succès d’audience, pour ne citer qu’elles), sans compter les documentaires exigeants, le spectacle vivant (concerts, théâtre, danse…), le cinéma d’auteur et même les émissions hybrides ou, au prétexte de divertir, la culture générale tient le haut du pavé (pensons à l’indéboulonnable Questions pour un Champion.)

Oui, France Télévisions diffuse encore de nombreux programmes culturels, et s’autorise même parfois à leur donner une forme ludique. Et les courbes d’audiences montrent que la recette fonctionne. Et c’est là toute la limite du raisonnement qui voudrait opposer divertissement et culture, comme si aucune porosité n’était possible entre les deux, comme si l’un ne servait pas l’autre. Tout l’enjeu est au contraire de profiter de l’appel d’air que constitue le divertissement pour orienter le public vers des programmes culturels plus exigeants.

Sans doute France Télévisions pourrait-elle réserver encore plus de place à la culture. Pour autant, une télévision publique uniquement dédiée à des concerts de musique classique, à des spectacles de danse ou à des pièces de théâtre, ouvrirait-elle davantage la culture aux Français ? Il est à craindre que non. Le public non averti la considèrerait comme une simple bizarrerie, un espace médiatique cloisonné et élitiste. Elle laisserait sur le bas-côté la grande majorité de l’audimat.

Le défi de l’accès du public à des contenus culturels de qualité se réalise par un panachage des programmes de divertissement et de culture, par un savant mélange des deux. En effet, on trouvera de nombreux films et émissions « commerciaux » et grand public sur France 2, à même de « concurrencer » TF1, mais c’est paradoxalement là la condition de l’existence et de la visibilité de programmes plus confidentiels et pointus en parallèle. On peut critiquer ce principe. Mais ce n’est pas le rôle d’une chaine privée de le faire. Ce n’est pas à TF1 de décider de la « politique culturelle française », pour paraphraser Christophe Tardieu, secrétaire général de France Télévisions.


  1. L’auteur proposait alors la « suppression de France 3, France 4 et France Ô, la privatisation de France 2 et l’établissement sur le canal 3 d’une chaîne culturelle libérée de toute contrainte d’audience, complémentaire avec France 5 et Arte » (…) « Dans quelle mesure le libre jeu du marché, c’est-à-dire des initiatives privées, ne pourrait-il obtenir un résultat au moins égal, et à moindre coût pour la collectivité ? » se demandait-il. Huit ans plus tard, si France Ô a bien tiré sa révérence, les autres chaines de France Télévisions font de la résistance, France 2 grignotant des parts d’audience. ↩︎
  2. https://www.lefigaro.fr/medias/tf1-poursuit-france-televisions-et-l-etat-francais-20240122 ↩︎



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