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Valls-Aubry, le couple de l’été


Valls-Aubry, le couple de l’été

Après l’épisode burlesque de la motion de censure invisible, on croyait le PS incapable de faire parler de lui avant La Rochelle, on s’était trompé.
Avec l’affaire Valls, Solférino tient son feuilleton de l’été. Mais au fait, y a-t-il une affaire Valls ? Ne devrait-on pas plutôt parler d’affaire Aubry ? Car c’est bel et bien Martine qui est à l’origine de tout ce tintouin, même si derrière le style surgé, on reconnaît un peu trop l’inimitable griffe militaro-lambertiste de Cambadélis.

Sans la lettre de Martine, Manuel aurait pu continuer à multiplier ses fléchettes jusqu’à la semaine des quatre jeudis ou des 35 heures, sans décrocher autre chose que des brèves factuelles en bas de page politique des quotidiens, comme c’est le cas depuis environ six mois. On vous refait le film, mais vite – sans l’épisode des blacks d’Evry, dont tout le monde se souvient ici.

Valls réclame des primaires englobant tout le peuple de gauche: « un parti ferme, un mouvement ouvre » ; Valls exige que le PS change de nom : « le mot socialiste ne veut plus rien dire » ; Valls dénonce l’antisarkozysme primaire qui tient lieu de viatique idéologique au parti : « N’exagérons pas nos critiques en présentant le chef de l’Etat comme un Bonaparte en puissance ! » En conséquence de quoi Valls exige qu’on fiche à la porte Martine et sa garde rapprochée (Camba, Bartolone, etc.), « la génération qui a failli dévore ses enfants. Il est temps qu’elle passe la main à des hommes et des femmes contemporains ». Une fois cette formalité acquise, il sera bien sûr disponible pour être désigné par les socialistes en vue de 2012, puis par les Français à cette date.

Force est de constater que jusque-là, cette activité débordante du maire d’Evry – dont on plaint la secrétaire, qui doit sûrement bosser tous les dimanches – n’avait guère fait de vagues. On se demandera donc pourquoi Martine a soudain décidé d’offrir son heure de gloire à celui qui jusque-là passait pour un agité, un trublion, un carrément méchant jamais content qu’on finissait par ne plus écouter.

On peut plaider la bêtise, ou plutôt l’aveuglement passager. À Lille comme à Paris, la première secrétaire vit dans un ravioli. Elle est enfermée H 24 dans un blockhaus bourré de courtisans, lesquels ont probablement fini par lui faire croire qu’elle aussi avait un destin présidentiel, qu’elle était autre chose qu’une rustine destinée à empêcher – très provisoirement – le PS de Reims d’exploser, et à lui cacher qu’elle n’avait fait l’unanimité chez les prétendants anti-Ségo que parce qu’elle n’était pas susceptible de faire de l’ombre à Hollande, Delanoë, Fabius, et même DSK. Ces banalités de bases, dont nous pensons que Martine avait conscience au moment de son élection, nous croyons qu’il est fort possible qu’elle les ait oubliées sous le poids des « t’es la meilleure, on va tous les fumer » et autres kilotonnes de flatteries déployées par sa camarilla, y compris, et ça c’est vraiment trop mignon, après la cata des européennes.

On peut aussi envisager l’hypothèse du calcul diabolique, qui présente l’avantage de ne pas être incompatible la précédente. Le ton très formel et, disons-le, limite grotesque, de la lettre de remontrance, mélange de solennité monarchique et d’avertissement d’institutrice courroucée, n’est pas un vrai pétage de plomb. Car de facto ce courrier intronise Valls comme l’opposant officiel de sa Majesté, parce que c’est le seul qu’elle pense être capable de battre dans le cadre – fort improbable – de primaires à gauche ou dans celui – plus vraisemblable – de simple consultation interne des militants PS.

Pour le choix du candidat de 2012, qui est bien sûr, la seule vraie question, Martine fait le pari que ses concurrents dans sa propre majorité (Hollande et compagnie, déjà cités plus haut, mais aussi Hamon, Montebourg et autres jeunots) se neutraliseront les uns les autres (comme à Reims, justement), et qu’une fois de plus, après la mêlée, elle incarnera la seule possibilité de compromis.

Mais à ce stade de la manip, y’a comme un problème : il s’appelle Ségolène. On rappellera qu’elle a fait fifty-fifty avec Titine à Reims, qu’elle n’a jamais cessé depuis de peaufiner son statut de présidentiable (l’affaire Orelsan en est le dernier épisode). On peut raisonnablement supputer qu’elle aura mis à profit sa traversée du désert poitevin pour blinder ses réseaux politiques et surtout financiers. On peut enfin parier qu’en cas de vote des militants, on aurait droit à un remake de 2006 : Ségo ne ferait qu’une bouchée d’une Martine Aubry très affaiblie par la guerre civile dans sa propre majorité, tout du moins en l’état actuel des choses

C’est justement toute l’utilité de la lettre à Valls : elle ne laisse plus les choses dans leur état actuel. Elle désigne aux socialistes mécontents mais aussi à la caste médiatique le personnage vers qui se tourner quand on cherche un éléphanteau en révolte contre ses aînés dominants. Quand il s’agit de trouver un contrepoint à une position officielle du PS, le plus paresseux des journalistes de France-Info ou de Libé sait désormais qui appeler, et ça tombe bien : Valls répond toujours, et a toujours quelque chose de détonant à dire. Issu lui-même de l’équipe dirigeante de Ségolène et partageant pour l’essentiel ses présupposés modernistes, eurobéats et sociétalistes, c’est bien sûr prioritairement dans ce camp-ci que Manuel va semer sa zone. On peut d’ores et déjà parier qu’en Ségolénie, le sourire et la lovitude ne seront plus de mise, on entend déjà les mots doux qui vont s’ensuivre : « crypto-sarkozyste ! », « sérial-loseuse ! ». La mystique du renouvellement étant puissante dans cette gauche-là, il n’est pas du tout exclu que Valls sorte vainqueur de ce premier combat contre Ségo, mais un Valls qui alors devra affronter Martine Aubry au prochain round sans vrais relais dans les fédés du PS, et donc, accessoirement sans grandes sources de financement. Or une campagne, fut-elle interne au PS, ça coûte bonbon.

Vu comme ça, l’objectif de la lettre de Martine devient plus clair : ouvrir un second front pour affaiblir et Ségolène et la faire supplanter par un challenger à sa propre portée.

Si ce scénario se déroule comme prévu, on verra, in fine, Manuel et Martine s’affronter dans un choc de titanneaux pour être le candidat socialiste qui aura le droit de se faire étriller en 2012. Sans forcément attendre le second tour.



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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