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Le labyrinthe de Marc Obregon

"L'Orbe" (Les Editions du Verbe Haut, 2023)


Le labyrinthe de Marc Obregon
Les Editions du Verbe Haut

C’est au début du mois de septembre 2023 que j’ai fait la rencontre de Marc Obregon. C’était au stand des Éditions du Verbe Haut, mon éditeur et le sien, à l’occasion des Journées Chouannes où nous étions tous pour y présenter nos livres et nos travaux.

Points communs

Au cours de la journée, nous discutons littérature et très vite nous nous découvrons une passion commune pour Philip K. Dick et Maurice G. Dantec, deux écrivains à la fois majeurs par l’importance qu’ils ont eue dans l’édition et plutôt confidentiels par le nombre de lecteurs ayant réellement compris le sens de leurs œuvres. Plus généralement, ce que nous aimons en commun dans cette littérature, c’est cette sorte d’étonnant mélange entre l’évocation résignée du techno-futurisme tel qu’il se rend inévitable et l’inquiétude que manifestent ses écrivains à propos des excès eux-mêmes inévitables que cette « scientification » du monde entraînera dans son sillage. Quelques minutes d’échanges sur ce thème m’ont convaincu de lire l’Orbe, le roman de Marc Obregon.

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L’auteur, qui m’avait indiqué que le lecteur de Dick et Dantec que je suis se trouverait en terrain connu (et reconnu) dans l’Orbe ne m’avait pas menti : dès les premiers pages, mon esprit a été assailli des plaisirs et des intrigantes curiosités qui s’imposent à nous lorsque l’on ouvre un livre de ces deux auteurs. L’ambiance, à la fois post-apocalyptique (la pandémie hante le décor et nous renvoie à des souvenirs réellement expérimentés en 2020) et pré-apocalyptique (dans le livre, le virus n’a pas encore décimé le monde mais le monde, craignant qu’il le fasse, se prépare à l’empêcher sans savoir encore s’il y parviendra) joue avec nos souvenirs : en brodant son histoire imaginaire sur le tissu d’un événement authentique qu’il ne cite pourtant jamais nommément, le lecteur, à cause de l’habilité de l’écrivain à confondre le réel et la fiction, n’est jamais certain de lire ce qu’il pense être en train de lire ; emporté dans une confusion diaboliquement entretenue par Obregon, il s’imagine qu’on lui parle de Wuhan avant qu’un indice ne le détourne de cette pensée puis qu’un autre l’y ramène. Et ce jeu du chat et de la souris entre réalité et fiction, ces jonctions répétées entre faits réels, faits inspirés de la réalité, faits inventés et faits imaginés car plausibles, dure du début à la fin. Ce régime spécial interdit au lecteur de se plonger dans l’Orbe avec trop de légèreté : ici, chaque paragraphe est indispensable à la compréhension de cette ingénierie littéraire tortueuse en apparence et chirurgicale en réalité.  

Aussi fascinant et que déroutant

Obregon fait preuve d’une science du récit qui emmène le lecteur au cœur de l’intrigue sans avoir l’air d’y toucher, pour qu’au détour d’une page ou d’un paragraphe ce lecteur se découvre, lui-même surpris, au cœur d’un réseau narratif dans lequel il a été plongé depuis la première page sans même s’en rendre compte. Écriture en quelque sorte tentaculaire, qui vous appâte, vous séduit, vous hypnotise pour mieux vous déposer dans l’œil d’un cyclone d’où non seulement vous ne voulez plus sortir mais d’où, surtout, vous ne le pouvez plus. Je ne suis pourtant pas un débutant, j’ai beaucoup lu, notamment Dick justement, un maître du genre : pour autant cette expérience qui aurait dû me préparer à détecter la toile que Marc Obregon tissait autour de moi page après page ne m’a été d’aucune aide ; quelque part entre les pages 10 et 15, déjà, j’ai compris que l’on m’avait gentiment conduit dans le cœur d’un labyrinthe aussi fascinant que déroutant. Dès lors, plus aucun doute n’est permis : Obregon est un talent en fusion. Il n’imite pas Philip K. Dick ou Dantec : il les continue.

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Comme souvent avec les ouvrages de cette envergure, il est difficile de savoir s’ils annoncent le futur ou s’ils décrivent le présent. L’omniprésence des technologies articulées par l’intelligence artificielle, le contrôle et la vérification de nos moindres faits et gestes par les oligarchies policières, l’examen par des bots de nos pensées intimes, l’aiguillage inconscient de nos volontés par des firmes privées assez puissantes pour supplanter les États et même pour se substituer à notre propre conscience et ainsi décider pour nous avant nous, tout ceci existe déjà sous des formes plus ou moins expérimentales et affreusement prometteuses. Combien de romans de science-fiction sont devenus des prophéties ? Dans Cosmos Inc., Maurice G. Dantec décrit une ville entièrement sectorisée où l’on ne peut circuler qu’à la condition de pouvoir présenter tel ou tel passe, lesquels ne sont délivrés qu’en fonction d’un certain nombre de critères qui annonçaient le futur « passe sanitaire » et, qui sait ? le futur « passe civique » dont nous ne tarderons pas à entendre parler…

Je n’appelle pas l’Orbe un roman de science-fiction mais plutôt d’anticipation, doté en plus de cette vertu de tempérance qui interdit de faire ces descriptions trop hyperboliques, trop « exagérées » qui font dire aux profanes que c’est un genre littéraire illuminé pour chasseurs d’OVNI ou de complots : au contraire, tout dans l’Orbe, même le pire, est pesé, mesuré, dosé pour que le lecteur prenne conscience qu’un tel avenir non seulement est plausible mais qu’il a même déjà commencé ; nous sommes déjà demain, depuis ce matin — c’est dans notre sommeil qu’il a déployé ses tentacules.

Obregon n’oublie pas l’amour, ce sentiment puissant qui, même sous les décombres, continue de vivre, de battre, de bouillonner, ce qu’aucune intelligence artificielle ne comprendra même si elle parvenait à prendre sur nous un contrôle qui par conséquent ne serait jamais qu’imparfait. C’est peut-être notre ultime espoir.

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