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Grabuge au Touquet

Marc Rebillet insulte sur scène le président Macron


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Le chanteur Marc Rebillet lors d'un concert à Berlin le 30 juin 2022. © Action Press/Shutterstock/SIPA

Qui est Marc Rebillet, le musicien qui a insulté Emmanuel Macron dans un festival? Et surtout, pourquoi le président de la République s’était-il déplacé pour écouter un artiste si «disruptif» ?


Marc Rebillet est un artiste franco-américain qui s’est fait connaître à la faveur du confinement, durant lequel il postait sur Facebook ou Reddit d’impressionnantes improvisations musicales, allant de la funk la plus jouissive au hip-hop ou à la house héroï-comique. En solo, muni d’un bon vieux looper, d’un clavier, de quelques percussions, d’une voix authentique et parfaitement placée, d’un sens musical aigu et plein d’humour, il a ravi d’abord quelques fans avant de gagner de manière fulgurante un succès mondial qui l’a mené des bars de Dallas aux plus grandes scènes des Etats Unis et d’Europe.

Obscénité joyeuse et débridée

Ses performances ont quelque chose de la transe : il suffit de le voir le dimanche matin derrière ses instruments et sa caméra, en peignoir rose ou jaune à fleurs, kitsch à souhait, tournoyer la tête dans une insolente fureur groovy, jouer et danser dans la plus exaltante liberté pour le comprendre. Maîtrise instrumentale, inventivité, licence totale et sens du Kairos, du bon moment, c’est ce qu’exige l’art de l’improvisation théâtrale et musicale, et Marc Rebillet y excelle. Pour ce qui est des paroles, on est plus près de certaines pages de Rabelais que des sonnets de Ronsard ou de du Bellay. Ce n’est pas par le sublime, la profondeur ou la délicatesse de sa poésie qu’il a conquis les foules : il verse franchement dans l’obscénité joyeuse et débridée. Bien sûr, on aime ou on n’aime pas, mais le talent de Marc Rebillet reste, indéniablement, extraordinaire.

Cet été, il a été invité à se produire au festival « Touquet Music Beach » (en français dans le texte). Las, au cours de son set, l’artiste a copieusement insulté Emmanuel Macron – à la plus grande joie du public semble-t-il, qui a repris ses paroles en chœur.

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Les organisateurs du festival jouent maintenant les vierges offusquées. Mais ne savaient-ils pas qui ils invitaient ? Marc Rebillet est une manière de génie populaire incontrôlable, un électron absolument libre qui ne recule devant rien, et il ne faut pas deux minutes pour s’en rendre compte. On veut se donner le frisson de la provocation, de la plus folle insolence, de la grossièreté la plus obscène, mais à la condition expresse que tout cela reste entre bons progressistes, et tout dérapage à cet égard devient une impardonnable faute. Fuck Donald Trump, c’est bien, Macron enc…, ça craint. Ces pudeurs indignées viennent toutefois un peu à contretemps. C’est un peu comme si, prenant votre billet pour une corrida, vous poussiez des cris d’orfraie en sortant des arènes parce que le toréador a trucidé l’animal ; comme si, ayant invité des adeptes du culte Vaudou dans votre salon, vous alliez ensuite vous plaindre partout que du sang de poulet a éclaboussé votre tapis persan. Mais les courtisans ne craignent pas d’ajouter le ridicule à la bêtise, et la mesquinerie ne les effraie pas davantage, puisque les organisateurs du festival réclament maintenant à l’artiste de rembourser son cachet.

Qu’est-ce que le président de la République faisait là ?

Marc Rebillet, fidèle à lui-même, semble répondre à tout ce foin dans sa veine habituelle, avec panache et sens insolent du grotesque. Quant au positionnement politique de l’artiste dans cette affaire, s’il y en a un, nous en laisserons l’appréciation à chacun puisque nous sommes en démocratie. Après tout, autre temps autres mœurs, Beethoven croisant la famille impériale à Teplitz et renfonçant son chapeau avant de tourner les talons n’a-t-il pas été immortalisé dans un tableau de Carl Rohling ? Le geste est certes moins vert, mais guère plus poli.

Justement, la présence du couple Macron au festival « Touquet Music Beach » a compliqué quelque peu l’affaire : il est bien possible que, si Brigitte et Emmanuel ne s’étaient pas trouvés là, le crime de lèse-majesté présidentielle aurait fait couler moins d’encre, et peut-être même aurait-il été pieusement occulté. Mais la vraie question est la suivante : qu’est-ce que le président de la République française fichait là ?

Cet été, on a pu voir Emmanuel Macron parmi des chanteurs corses, coiffé d’un béret traditionnel, feindre béatement de marmonner des paroles qu’il ignorait visiblement ; on l’a vu jouer au tennis en fauteuil roulant ; il faut bien que le président s’amuse un peu. Sans doute trouve-t-il dans ces activités ludiques le repos du guerrier ukrainien, ou bien l’inspiration du bourreau économique. On l’a vu plus récemment ouvrir joyeusement les bras à toute une foule qui faisait retentir les rues d’Oran de slogans peu amènes vis-à-vis de la France, un peu comme Don Salluste dans la scène d’ouverture de « La Folie des grandeurs » ; à cela près que le personnage incarné par Louis de Funès finit tout de même par se rendre compte que non, on ne l’acclamait pas. On se souvient par ailleurs que Macron fit des galipettes sur un tapis élyséen en compagnie de deux youtubers particulièrement distingués ; qu’il se laissa photographier, hilare, enlacé par deux repris de justice au torse nu et luisant, tandis que l’un levait fièrement son majeur, en un geste symbolique parfaitement synonyme des injures proférées sur scène par Marc Rebillet avec un art satirique nettement plus consommé dans son cas.

L’artiste franco-américain, en réalité, n’a fait que ce qu’on attend de lui, dans sa veine musicale déchaînée, bouffonne et spectaculaire ; mais Emmanuel Macron fait-il ce qu’on attend d’un président de la République française ? Regarde-t-il où il met les pieds, avant que sa cour ne gémisse des atteintes à la dignité présidentielle ?




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est professeur de lettres dans un lycée de province.

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