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«Eric Zemmour reproduit toutes les erreurs du FN de Jean-Marie Le Pen»

Entretien avec Marine Le Pen (1/2)


«Eric Zemmour reproduit toutes les erreurs du FN de Jean-Marie Le Pen»
© Hannah Assouline / Causeur

Sereine et – apparemment – confiante malgré les défections de certains de ses élus, Marine Le Pen mène sa troisième campagne aux élections présidentielles. Et c’est avec un certain sang-froid qu’elle affronte un obstacle aussi redoutable qu’inédit : Éric Zemmour, qui risque de lui barrer la route du second tour. Ironie de l’histoire, elle se positionne comme le vote utile. Voire comme le rempart contre l’extrémisme.


Causeur. Comment fait-on campagne en temps de pandémie ?

Marine Le Pen. On s’adapte ! Depuis septembre, je suis la candidate la plus présente sur le terrain, au contact direct des Français sur tout le territoire. J’ai aussi pu me rendre à Mayotte et à La Réunion avant les fêtes. Dès le 1er février, des bus spéciaux partiront de Reims, pour sillonner les régions. Ce dispositif fait partie de l’opération « 5 000 marchés » : deux ou trois marchés visités par jour, au moins quatre jours par semaine. Je rejoindrai de temps en temps l’un de ces bus pour visiter un marché ou faire une réunion publique. Dans cette campagne présidentielle, je suis la candidate du peuple face au candidat de plateau qu’est Éric Zemmour et à la candidate versaillaise qu’est Valérie Pécresse. J’ai choisi de faire des dizaines de réunions publiques dans les petites villes et les territoires ruraux, pour aller vers les gens, tandis que dans un grand meeting, on retrouve essentiellement des gens déjà convaincus.

Que pensez-vous de la manière dont les médias vous traitent ?

De septembre à décembre, en raison de la montée en puissance du phénomène Zemmour, certains grands médias nous ont volontairement invisibilisés. On n’existait plus. Il y avait des émissions sur l’immigration, sur le nucléaire avec tout le monde sauf Marine Le Pen. Aujourd’hui, les Français peuvent enfin comparer nos projets et réaliser que le mien n’est ni outrancier ni excessif, mais tout simplement raisonnable. En ce sens, Zemmour nous rend service. Il n’en demeure pas moins qu’il divise les voix de la famille nationale au risque de faire accéder Pécresse au second tour…

Macron a géré la crise sanitaire en dépit du bon sens. Surtout, il a divisé le pays comme jamais. Je le lui avais dit pendant le débat : « Vous serez le président de la guerre de tous contre tous »

Donc, en tant que nouveau diable, il vous fait paraître plus modérée, mais il vous pique des voix ?

Je ne suis pas modérée, mais sereine. Les attaques du système que j’ai subies étaient des manipulations : je n’ai jamais fait les provocations et les déclarations qui justifiaient ces procès d’intention. J’ai toujours agi de manière responsable, disant la vérité aux Français dans le respect des personnes. Éric Zemmour reste un commentateur qui joue au candidat, par exemple, quand il avoue benoîtement chez Cyril Hanouna que Valérie Pécresse doit lui donner les parrainages, parce que sinon elle ne sera pas au second tour. De plus, son problème, c’est qu’il aime la France – il en a même une idée un peu fantasmée – mais il n’aime pas les Français. Quand je lui ai posé la question, il m’a répondu : « Mais le général de Gaulle non plus ! » Or, ce n’est pas parce que de Gaulle avait des mots durs en privé qu’il n’aimait pas le peuple français ; on l’a bien vu dans sa politique sociale et son respect absolu du vote de ses concitoyens, donc de leur intelligence et de leur dignité. On ne peut pas diriger la France si on n’aime pas les Français.

Marine Le Pen, janvier 2022 Photo: Hannah Assouline

Oublions Zemmour un instant : en quoi Marine Le Pen 2022 est-elle différente de celle de 2017 ?

Je ne suis plus à la tête d’un parti. Or, les partis politiques sont, par définition, des appareils partisans qui façonnent la manière de mener campagne. Aujourd’hui, je suis totalement libre, ce qui me permet de réfléchir, par exemple à un gouvernement d’union nationale, sans être obligée de m’en justifier auprès des uns et des autres. Nous avons collé à l’esprit même de la Ve République, et tout le monde voit bien que je ne le fais pas pour des raisons médiatiques. J’ai une vie d’engagement et trois présidentielles au compteur, ça joue. Et surtout, j’y vais pour gagner !

Donc, en 2017, vous saviez que vous alliez perdre ?

Non, mais j’avais conscience de l’immensité des obstacles. Certains semblent oublier tous les murs de mensonges que nous avons fait tomber, toutes les batailles idéologiques que nous avons gagnées, toutes les élections que nous avons remportées. Objectivement, en 2017, les éléments d’une victoire n’étaient pas réunis. Aujourd’hui ils le sont. Emmanuel Macron était la dernière bouée de sauvetage d’un système qui a ruiné la France et mis les Français en danger. Sa faillite morale, économique et fiscale est totale. Et par ailleurs, le caractère caricatural de Zemmour a achevé de démontrer que, non seulement je n’ai jamais été un danger pour la République, mais que je suis la seule à avoir la capacité et le projet de sauver les valeurs fondamentales qui font la France : la liberté, l’égalité, la fraternité.

Avec qui comptez-vous faire l’union nationale ?

Avec ceux qui souhaitent participer et qui croient encore en la France, peu m’importent les étiquettes. Quelqu’un comme Montebourg pourrait être ministre de la Réindustrialisation.

Vous avez reconnu avoir été mauvaise lors du débat d’entre-deux-tours en 2017. Comment vous préparez-vous cette fois ?

J’ai reconnu avoir commis une erreur stratégique qui a entraîné une erreur de forme, qui a détourné l’attention des idées et des analyses que je faisais sur le fond. Par exemple, j’avais raison sur la trahison d’Emmanuel Macron dans la vente d’Alstom, ou sur l’extrême dureté des réformes qu’il entendait mener. Tout ce que j’avais annoncé aux Français pour son quinquennat s’est, hélas, réalisé. D’ailleurs personne ne conteste ce que j’ai dit lors de ce débat, mais le système a monté en épingle ces erreurs formelles pour ne pas reconnaître que j’avais raison.

J’ai tiré les leçons du fonctionnement des pièges qui m’ont été tendus. Je ne me prépare pas au débat trois mois avant, mais je prépare le projet depuis cinq ans. Ce projet, c’est moi qui l’ai conçu, je l’ai soumis à des professionnels. En 2017, il y avait un tas de mesures qui tenaient la route mais il manquait du ciment, une vision. Aujourd’hui, je suis très à l’aise dans mon projet. De plus, après ce débat, on m’a tellement piétinée, lynchée que j’ai pris beaucoup de recul sur les commentaires. Je suis beaucoup plus sereine qu’en 2017, car seul l’avis des Français compte aujourd’hui pour moi.

Reste qu’aucun sondage ne vous a jamais donné gagnante au second tour face à Macron. Pourquoi selon vous ?

Je ne partage pas cette analyse. Quand je suis entre 46 et 48 %, on est dans la marge d’erreur. Et moins de 60 % des électeurs sont sûrs d’aller voter à ce stade. Par ailleurs, Emmanuel Macron est au pouvoir, on est en pleine crise sanitaire qu’il utilise à son avantage par la peur, sans parler du fait qu’il est difficile de mesurer ce second tour avant d’avoir réalisé le premier. Et puis le président n’est pas encore candidat, et il peut chuter au moment où il le sera. Une chose est sûre : je n’ai jamais été donnée aussi haute dans un second tour face à Macron. Et on sait me mesurer, puisque j’ai fait 34 % la dernière fois. Nous avons une fenêtre de tir très sérieuse.

D’accord, si vous êtes au second tour, vous ferez certainement un meilleur score. Mais pouvez-vous y être ?

Oui ! Je pense que j’y serai, mais c’est quitte ou double. Pécresse aussi peut y être. En revanche, pour Zemmour, c’est impensable. Il est la caricature idéale pour mobiliser la gauche dans un « front républicain » : oligarchique sur le plan économique et inutilement brutal sur le plan de l’immigration. Si la gauche inventait le candidat idéal pour elle, elle n’aurait pas fait mieux.

Il n’y aura pas de « tout sauf Marine » alors qu’il y aura un « tout sauf Zemmour » ?

Exactement. En revanche, si je suis au second tour, je bénéficierai en plus du « tout sauf Macron » de certains électeurs. Et d’un réservoir de voix que je n’avais pas en 2017. 

Quel réservoir de voix ? Vous ne semblez pas plus que les autres ramener des abstentionnistes au bercail électoral…

Contrairement aux mensonges ou aux idées reçues, je suis devenue majoritaire à droite au second tour, notamment chez les classes moyennes mais aussi chez les chefs d’entreprise, les commerçants et artisans. Plus ça va, et plus les gens se décident tard. Une partie des classes populaires et des jeunes ne sont pas encore entrés dans l’élection. Sans oublier que la crise sanitaire occupe l’esprit des gens qui ont déjà un quotidien difficile. Aujourd’hui, la vie des Français, c’est aller chercher les enfants car il y a un prof malade sans remplaçant, télétravailler, se faire tester, porter des masques… Mais cela ne va pas durer.

Reste qu’ils semblent satisfaits de la gestion sanitaire de Macron.

Ça commence à se retourner ! Dans tous les pays, les crises créent une forme de syndrome de Stockholm et une partie de la population, d’accord ou pas d’accord, se tourne vers le pouvoir. C’est pour cela d’ailleurs que Macron cherche à faire survivre cette crise, au-delà du raisonnable. Mais viendra le moment où les Français se demanderont s’ils ont envie de redonner cinq ans, qui seront un chèque en blanc – car il n’aura plus la pression de sa réélection –, à un type qui dit : « Je ne m’interdis rien. » Par exemple, il semble qu’il veuille faire travailler les jeunes quarante-cinq heures par semaine, c’est inouï. Macron a géré la crise sanitaire en dépit du bon sens, à contre-courant. Surtout, il a divisé le pays comme jamais. Je le lui avais dit pendant le débat : « Vous serez le président de la guerre de tous contre tous. » Il a même réussi à faire cogner les pompiers par les policiers ! Sans oublier les Gilets jaunes… et le summum, sa déclaration sur les non-vaccinés. Il n’a aucune conscience de la charge qui est la sienne : être le garant de la cohésion nationale.

En tout cas, c’est plus facile s de faire campagne contre un président sortant et son bilan.

C’est en effet un adversaire plus confortable que quelqu’un sur lequel les gens projettent leurs fantasmes. C’était la grande force de Macron. Les gens de droite voyaient en lui un homme de droite ; et ceux de gauche le croyaient de gauche. On n’a pas réussi à convaincre les électeurs que le mandat de Hollande était le passif de Macron, son ministre de l’Économie.

Aujourd’hui, le bilan est bien le sien et c’est une longue série d’échecs. Tout d’abord, la perte totale de l’influence de la France dans le monde. Notre voix ne compte plus nulle part. Même en Europe, c’est une Bérézina : s’agissant d’un territoire européen, l’Ukraine, l’UE n’a pas son mot à dire entre la Russie et les États-Unis.

Sur le plan économique, le bilan est très mauvais, contrairement à ce que dit Bruno Le Maire. 650 milliards de dettes supplémentaires – dont 300 qu’on n’arrive pas à nous expliquer… –, un déficit record de la balance commerciale, la désindustrialisation a continué à s’accélérer, il n’y a jamais eu autant de pauvres et il y a autant de chômeurs que lorsqu’il est arrivé.

Ce n’est pas ce que disent les statistiques…

Évidemment, parce que Macron compte uniquement les chômeurs de catégorie A, mais il y a trois catégories de personnes en recherche active de travail. Bruno Le Maire nous dit que la France a fait + 6,5 % de croissance cette année, mais nous avons fait – 8,5 % l’année dernière ; donc ça fait – 2 % sur vingt-quatre mois… 

Cela ne s’inscrit-il pas dans une évolution plus ancienne, que Zemmour qualifie de « déclin » ?

Le déclassement de la France et des Français est une conséquence des politiques toxiques qui sont menées. La France ne va pas retrouver la place qu’elle occupait en 1900. Mais d’autres choix politiques permettront son retour sur la scène mondiale.

Sommes-nous encore un peuple capable de grandeur ? Les Français ne pensent-ils pas, plutôt, à leur vie, leur pouvoir d’achat, leurs vacances… – la grande salle de gym, disait Peter Sloterdijk.

En réalité, c’est la façon dont les élites voient les Français, en projetant leurs propres turpitudes : pas comme un peuple capable de grandes choses, pas comme une nation, mais comme des consommateurs. D’où la rupture avec le peuple que ces mêmes élites veulent contourner et contraindre. Mais depuis le référendum trahi de 2005, elles ont perdu leur légitimité. C’est pour laver l’affront que le peuple a subi que j’entends instaurer la proportionnelle et le référendum d’initiative populaire.

Ceci étant, vous vous trompez : lorsque la France ne rayonne pas, lorsqu’on ne lui offre pas de grands projets, elle se consume et son peuple devient malheureux. L’UE a contribué à faire de la France une espèce de sous-région. Castaner l’a dit : l’élection présidentielle est une élection locale. Quel est le grand projet de Macron ?

Quel est le vôtre ? 

J’en ai beaucoup ! D’abord, refaire l’Europe sur un modèle français et non plus allemand. Le modèle français consiste à prendre des gens très différents les uns des autres et à en faire un État-nation sur la base d’un socle commun. L’Europe à la française, ce sont des peuples et des nations divers, libres et souverains qui coopèrent. Le modèle allemand, c’est : on applique la même règle à tout le monde et si ça ne vous convient pas, tant pis !

Les médias continuent à vous qualifier – avec Zemmour – d’extrême droite. Êtes-vous une femme de droite ?

Je ne crois plus à ce clivage gauche/droite, donc j’ai du mal à vous répondre. Le vrai clivage oppose les nationaux et les post-nationaux. Les premiers veulent une France qui ait des frontières, son indépendance énergétique, agricole, une voix singulière et son identité propre. Si beaucoup de partis sont sans cesse menacés d’implosion, c’est parce que les deux familles y cohabitent. À en juger par leur primaire, au sein de LR il y a 40 % de nationaux et 60 % de post-nationaux. Idem au PS et chez Mélenchon. Les nationaux quittent ces formations et elles se retrouvent à un niveau très inférieur à celui qui était le leur avant 2017.

Vous pourriez donc vous rapprocher de quelqu’un comme Fabien Roussel ?

Je ne pense pas, car les barons communistes sont en réalité les faux-nez du système. M. Roussel a déjà dit à haute voix qu’il voterait pour Emmanuel Macron au deuxième tour. Mais des gens comme Djordje Kuzmanovic ou Arnaud Montebourg sont des nationaux.

Vous leur parlez ?

Ce sont visiblement de grands timides. Ceci étant, de Montebourg à Zemmour, j’ai des concurrents ; au-delà, j’ai des adversaires. Même si on peut avoir des désaccords profonds entre concurrents, il y a un accord qui surplombe tout, nous sommes pour une France qui reste la France.

C’est précisément le slogan de Zemmour ! 

C’est la ligne de la famille nationale depuis Charles de Gaulle, nous n’avons pas attendu Éric Zemmour pour le savoir, même si lui l’avait oublié quand il soutenait François Mitterrand. Mais de quelle France parle-t-il ? Il répond à un communautarisme par un autre : le communautarisme catholique conservateur contre le communautarisme « musulman ». Je réponds au communautarisme par l’universalisme français. Le problème, ce n’est pas la religion mais l’idéologie, pas l’islam mais l’islamisme. Quand j’étais à Mayotte, un des journalistes qui m’accompagnaient a mis deux jours avant de réaliser que 90 % des gens étaient musulmans. Il n’y a pas d’islamisme : ils sont bien dans leur peau, ils fêtent Noël et surtout ils aiment la France… Zemmour se trompe.

La suite demain sur Causeur.fr et dans notre numéro aujourd’hui en kiosques

Février 2022 - Causeur #98

Article extrait du Magazine Causeur




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Elisabeth Lévy est fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Jeremy Stubbs est le directeur adjoint de la rédaction.

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