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Nationalisation : que pèsent les mots en plume face aux faits en acier ?


Nationalisation : que pèsent les mots en plume face aux faits en acier ?

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Florange va-t-il devenir le Vilvorde de Hollande ? En effet, le dossier a bien des points communs avec la situation des années 1997-2000. Le 29 avril 1997, la « déclaration commune » PS-PC, préalable à la formation du gouvernement Jospin, engageait la future « gauche plurielle » à stopper les privatisations menées tambour battant par les gouvernements de droite entre 1993 et 1997. Mais une fois Lionel Jospin installé à Matignon, il a bien été obligé de reconnaître qu’il ne pouvait pas tenir l’un de ses engagements de campagne de 1997 : le sauvetage de l’usine Renault de Vilvorde en Belgique. Puis on assista à un autre reniement de sa part, la longue série de privatisations et d’ouverture du capital aux investisseurs privés : France Telecom, Thomson, CIC, AGF, Air France, Aérospatiale-Matra, EADS, Crédit lyonnais. Sa fameuse sortie « l’État ne peut pas tout », qui sonnait comme un aveu d’échec après le plan de licenciements de l’usine Michelin en 2000, fut la cerise sur le gâteau.

Mais comparaison n’est pas raison. Car heureusement pour Jospin et son gouvernement, les taux de croissance et de chômage des années 1997-2000 étaient loin, très loin de la Bérézina actuelle et la casse-tête à l’époque a été que faire de la « cagnotte » plutôt que quel trou boucher le premier. Quand l’économie va bien il est plus facile de faire avaler au peuple reniements et renoncements. Aujourd’hui, Arnaud Montebourg n’a pas la chance de disposer d’une telle marge de manœuvre.

Selon Marc Cohen et Jérôme Leroy, si le ministre du Redressement productif a perdu la bataille sociale (les hauts fourneaux sont très probablement condamnés) et la bataille politique (en essuyant un désaveu de la part du Premier ministre), il aurait remporté une manche dans l’ordre symbolique : « on a quand même entendu pendant plusieurs semaines des éditorialistes économiques d’habitude plus enclins à expliquer les bienfaits de la libre concurrence, admettre que oui, finalement, la nationalisation, pourquoi pas » concluent mes deux camarades. Le problème est qu’au lieu de briser un tabou, Montebourg a enfoncé une porte ouverte.

Certaines réactions à droite, notamment celle d’Henri Guaino, vétéran de la défaite de Gandrange, souvent favorable à l’intervention de l’Etat, nous rappellent qu’en France l’étatisme n’est pas spécifique à la gauche, l’attachement à un Etat puissant étant même l’une des caractéristiques de la droite tricolore. S’attarder sur l’éternel retour du mot « nationalisation » est donc un faux débat bien de chez nous.

La vraie question est de savoir si le projet de nationalisation temporaire défendu par Montebourg tenait la route. Nationaliser Florange, puis le revendre à un repreneur capable d’assurer un projet industriel durable aux 2600 employés du site, telle était la voie rêvée du ministre, finalement contrariée par l’arbitrage de Jean-Marc Ayrault. Etait-ce une solution viable ? Rien ne nous le dit. Si Montebourg a été mis sur la touche, ce n’est sûrement pas parce que la nationalisation est un tabou, mais plutôt que son projet alternatif n’a pas été jugé crédible par les deux têtes de l’exécutif. Hollande et Ayrault ont estimé à juste titre que Florange avait très peu d’acheteurs potentiels, les investisseurs qui négociaient avec Montebourg ne voulant d’ailleurs pas s’engager trop tôt.

Si le ministre du redressement productif avait obtenu gain de cause, un scénario catastrophe aurait pu se dérouler sous nos yeux : admettons que Florange soit nationalisée en quinze jours, Mittal indemnisé dans la foulée de quelques centaines de millions d’euros, et l’acheteur potentiel approché pour une négociation. En face d’un Etat chaque jour un peu plus sous pression, qui serait entre temps devenu propriétaire du site et employeur de ses 2600 salariés, ce dernier serait en position de force et pourrait prétexter les aléas de la conjoncture pour se désister…ce qui menacerait non seulement les 629 emplois des hauts fourneaux mais aussi les 2000 restant dans la partie « froide » (et rentable) de l’aciérie.

Mais au lieu de mettre les mains dans le cambouis et d’analyser froidement la situation- Mittal n’a pas tort de rappeler les profondes mutations du marché européen de l’acier depuis 2006 – nous nous lançons dans des querelles d’ordre symbolique. Sans minimiser l’importance du verbe et de la verve en politique, il ne faut pas croire pour autant qu’on peut tout faire avec des mots. En tout cas pour l’acier, ça ne marche pas.

*Photo : Parti socialiste.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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