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L’homme est un virus pour l’homme

Le journal de Nidra Poller


L’homme est un virus pour l’homme
Un juif ultra-orthodoxe tire un caddie dans la banlieue de Bnei Brak près de Tel Aviv en Israel, le 3 avril 2020 © Oded Balilty/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22444446_000002

Episode 6 : Les croyants


15 avril 2020

Rappel

Le président américain, se fiant à son intuition, a décidé de troquer l’hydroxychloroquine contre le confinement pour en finir avec ce Covid-19. Le gouvernement fédéral distribue déjà, massivement, le comprimé-sésame ; le pays rouvrira d’un bond, l’économie sera radieuse à temps pour les présidentielles de novembre 2020. Tel un Idi Amin Dada, Trump jette le petit trublion Fauci dans la gueule du crocodile Peter Navarro, son très nerveux conseiller en commerce. Béni d’un doctorat en sciences sociales, Navarro prêche l’évangile de l’hydroxychloroquine.  Le 13 avril, le président américain s’octroie les pleins pouvoirs.

Après le déluge la foi

À l’heure des cataclysmes, l’homme élabore des croyances démesurées. Des idées majestueuses, une vision, une puissance, le messie. Ces derniers jours, les Juifs ont vécu en temps réel l’exode et l’alliance. Les Chrétiens, de leur côté, ont commémoré la crucifixion et la résurrection du Christ. Autrefois c’était la saison de la chasse aux Juifs, coupables de la mort du messie. Des drames catastrophes / croyances se rejouent à travers les époques. L’homme poursuit son train-train, allant vers un toujours plus… et ce n’est pas méprisable. Soudain, du fond de la terre, du cœur d’obscures forêts, du ciel fracassé par des forces contraires, un malheur énorme s’abat sur lui. Nous ne sommes pas nés pour être anéantis ! On se redresse, on lève les yeux, on cherche la lumière.

Le drame d’affliction/salut se déroule à petite échelle en temps normal. La politique aussi, disloquée, peut devenir religion.

L’adoration du vélo

Aujourd’hui à Paris on respire l’air lavé à la grande eau du confinement. Cela pourrait renforcer les croyances d’électeurs acquis à la stratégie du maire Hidalgo, qui avait déclaré, peu avant le tous-aux-abris, que le vélo pourrait remplacer le camion de l’artisan et du livreur. Ça fait des années qu’elle se bat maladroitement pour chasser l’automobile de sa ville. Le coronavirus vient et d’un coup on ne livre quasiment rien, les places de stationnement sont aussi vides que les jardins, ne passent que les éboueurs qu’on apprécie et les ambulances qu’on redoute. À présent, l’air me semble aussi pur qu’au premier jour de la terre. Le soir on admire Vénus dans un ciel étoilé. Le jour, le soleil mord méridionalement. Aucun des tristes candidats oubliés sur les panneaux électoraux ne pourrait nous promettre un tel salut environnemental. De là à conclure qu’il vaudrait mieux voter coronavirus que Hidalgo… quoi ?

Les fidèles s’entêtent

Le gouvernement israélien s’est heurté au refus des Haredim (ultra-orthodoxes en français) de respecter les mesures de confinement. Ils se réunissaient nombreux et se retrouvaient en nombre disproportionné parmi les victimes du Covid-19. On a redoublé les opérations pédagogiques … et on a bouclé leurs quartiers. Les membres de la secte la-di-da de Tel Aviv sont, eux aussi, réfractaires. 

Aux États-Unis, le droit de remplir les églises à Pâques a été âprement disputé.  Certains élus, au nom de la liberté de culte garantie par la Constitution, ont refusé d’interdire ces rassemblements. D’autres, soucieux de la santé publique, ont mis les églises au même régime que tout autre lieu public, s’attirant les foudres du sénateur Rand Paul et des menaces de la part du puissant ministre de la justice, William Barr, qui promet de sévir, en temps voulu, contre les oppresseurs. Deux semaines après des funérailles down home dans un coin du Sud profond, le Covid-19 a semé la mort dans les environs. N’empêche, de vaillants pasteurs s’estiment plus à même de combattre le satané virus en réunissant les fidèles par milliers sous le signe du Seigneur. Pour ne rien dire de Qom.

Saül sur le chemin de Damas

Sous pression de l’effroyable pandémie, des religions sont créées, modifiées, abandonnées et des croyants changent de chapelle. C’est le cas d’un site que je ne nommerai pas, animé par des anciens gauchistes recyclés en anti-islamistes qui manient le clavier comme un alphabet de bombes incendiaires. Aujourd’hui, ce site prêche l’orthodoxie radicale anti-confinement dans le contexte d’une guerre de religion contre l’État. Une récente livraison donne : 1. Raoult, sauveur des malades, damné par les hérétiques, qui condamnent les misérables à une mort atroce. 2. Le confinement tue notre pays.  3. Le remède est pire que le mal. 4. Les pays qui laissent vivre leurs citoyens s’en sortent mieux que les cons de confineurs. 5. Macron ver de terre, Raoult notre roi, Trump son disciple. Là-bas, aux États-Unis, on sait apprécier le cocktail hydroxychloroquine. 6. Notre messie, lapidé par les pharisiens, vilipendé par les marchands du temple, crucifié par l’ancienne ministre de la santé et son époux Big Pharma.

La série de salves ci-dessus notée se termine avec un long très long texte, absolument complice et totalement admiratif, à la gloire de … Tenez-vous bien. À la gloire de Dieudonné M’bala M’bala. 

Sans lui pas de salut

À la différence d’autres commentateurs, je ne suis pas épidémiologie, infectiologue ou médecin de campagne. Je suis romancière-épistémologue, intriguée par la fabrication de la pensée individuelle, collective et, maintenant, dans des conditions extrêmes. Pour savoir si la dénommée hydroxychloroquine agit de façon conséquente et positive sur le nouveau coronavirus, je devrais être un essai clinique à part entière. Faute de quoi, je ne peux que juger au pif. 

Des médicaments bien agréés et pourtant nocifs, ça existe. Des traitements miracles qui ne le sont pas, aussi. Des molécules potentiellement efficaces contre ce virus qui nous traque, il y en a plusieurs. L’avigan japonais,  l’immunosuppresseur interféron, le tocilizumab contre l’orage cytokinique et encore des traitements à base de placenta, sérum, etc.

Comment l’hydroxychloroquine est-elle devenue un article de foi ? De ses débuts comme traitement prometteur contre le Covid-19, elle devient rapidement une doctrine de pensée magique. Et docteur Raoult, le messie. Celui qui empêche l’application immédiate et généralisée du traitement conçu par l’unique sauveur est l’antéchrist. La demande de preuves par voie d’essais cliniques, c’est du blasphème. Quoi ? Un groupe témoin traité au placébo ? Ils vont mourir, tous, et ce sera de ta faute ! Une fois ancrée la conviction que le salut vient du cocktail hydroxychloroquine + azithromycine, administré selon le protocole du docteur Raoult, tout débat devient guerre de religion. En contrepartie de l’adoration vouée à Didier Raoult brûle une haine meurtrière des pharisiens : le président Macron, le comité scientifique, les mandarins …

Taux d’immortalité global, par région et par pays

Au pire, les chances de mourir du Covid-19 sont faibles, même pour les personnes âgées, les obèses, les mal portants, les soignants sans masque et les resquilleurs ne respectant pas la distance sociale. Également, les chances de mourir du cancer, infarctus, attentat, accident sont modestes par rapport à la population globale. 

Or, la chance de mourir tout court est de 100%. Ce qui explique la recherche de solutions magiques : un comprimé pour tuer le virus mangeur d’hommes, un sauveur, un messie qui se fait attendre depuis des millénaires,  le paradis pour soulager la douleur de quitter ce bas-monde …

La religion des vacances

Comment parler des croyants sans évoquer les adeptes du rituel des vacances ? À peine s’annonce l’espoir d’une libération sous contrôle sanitaire d’ici un petit mois, que salariés et syndicalistes se dressent sur leurs ergots pour défendre les saintes vacances. Ce n’est pas parce qu’on est resté contraints et forcés deux mois dans la baraque qu’on va bosser cet été pardi ! On n’est pas des amerloques workaholic, nous, on n’est pas des salarymen japonais. Seigneur ! Donnez-nous notre pain quotidien, notre weekend chéri et nos vacances sanctifiées.

A suivre, Episode 7 : Avançons masqués

Quelle tête aurons-nous le 11 mai à la sortie des cavernes ? Les cheveux poussés n’importe comment, les blondes virées en brunettes, la barbe encombrante, le maquillage en rupture de stock, des bourrelets, des cernes … Des grossesses.

Mais on aura quelle tête ? On ne le sait pas. On ne va pas se voir.



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