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Madame von der Leyen, taisez-vous!

Mais de quoi se mêle-t-elle?


Madame von der Leyen, taisez-vous!
Ursula von der Leyen © Olivier Matthys/AP/SIPA Numéro de reportage: AP22438903_000008

Emmanuel Macron doit s’exprimer sur le déconfinement devant le peuple français, à 20 heures. Mais la présidente de la commission européenne adresse déjà ses recommandations. Elle envisage notamment un isolement jusqu’à la fin de l’année pour les plus âgés.


Entre deux avoinées aux joggers de la onzième heure et autres nonchalants de la claustration (comme ces amants pincés en train de fouchtri-fouchtrer dans leur voiture par les gendarmes dans le bois de Lucelans en Franche-Comté), nos autorités ont tout de même décerné des satisfecit aux Français. Nous ne sommes pas devenus chinois ni même allemands mais nos urgentistes n’ont pas eu à choisir entre les malades. De ce point de vue, mission accomplie – provisoirement certes, mais tout de même. 

Ce n’est certainement pas à Madame von der Leyen de nous dire quand et comment on doit déconfiner ! D’un point de vue juridique, la santé ne fait nullement partie des attributions de l’Union européenne

Nos dirigeants n’ont jamais pensé et jamais dit que le confinement arrêterait le virus – sur ce point, ils ne se sont pas trompés et ils n’ont pas non plus menti. Il s’agissait d’étaler les offensives du virus dans le temps de façon à pouvoir soigner tout le monde. En clair, le confinement était la seule alternative disponible au risque de voir les plus faibles mourir en masse. Ce que le président allemand a parfaitement résumé en déclarant que l’épidémie n’était pas une guerre mais « un test pour notre humanité »

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L’ennui, c’est qu’aujourd’hui, le confinement fait figure de ligne Maginot. En plus utile à court terme, puisqu’il sauve des vies, mais s’il a suspendu le danger, il ne l’a pas éliminé. Le virus est toujours là, prêt pour la deuxième vague, et pourquoi pas la troisième et la quatrième, nous ne sommes pas immunisés et si nous relâchons la pression, la contamination repartira. Et resterions-nous confinés six mois que le problème ne serait toujours pas réglé. On comprend l’effroi des blouses blanches et des élus lorsqu’Édouard Philippe a prononcé le mot « déconfinement » : à en juger par les rumeurs qui sourdent des murs de l’Élysée, le président n’a rien d’autre à sortir de son chapeau qu’une prolongation de notre assignation à résidence. 

Retrouver la vraie vie

C’est, bien entendu, ce que réclament la plupart des médecins. Sauf qu’ils ne s’intéressent qu’à une des données de l’équation – la maîtrise de l’épidémie de Covid-19, au risque d’ailleurs de voir les morts causées par d’autres maladies grimper en flèche. Certes, si nous restons tous chez nous jusqu’à la découverte d’un traitement ou d’un vaccin, on peut espérer que plus personne ne mourra du Covid. Mais cette réponse a une limite, et pas seulement parce que les acteurs de la vie économique le demandent à cor et à cri, ni parce que je ne supporte plus d’être privée de bac à sable et d’auto-tamponneuse, mais parce que la claustration qui nous est imposée (pour d’excellentes raisons…) attente à la texture même de l’existence. Nous vivons dans l’attente, voire en cette période pascale, dans l’espérance du lendemain. Et nous avons hâte de retrouver la vraie vie avec ses peurs que nous savons affronter. Est-ce la preuve que nous sommes de mauvais citoyens ou celle que nous restons des êtres humains désirants et imparfaits ? 

En attendant, l’idée d’un déconfinement conditionné et différencié fait son chemin. Là, encore, ce sera peut-être la seule solution correspondant à nos moyens mais soyons au moins conscients que les changements qu’on pourrait nous demander sont loin d’être anodins. 

Christophe Castaner a demandé aux préfets de retoquer les arrêtés ministériels imposant le port du masque et il est probable qu’en cas de contentieux le Conseil d’État suivra comme il l’avait fait pour les arrêtés anti-burkini. En l’occurrence, interdire certains signes vestimentaires et en imposer ne sont pas du tout la même chose. Reste que l’idée d’un deal “libération contre masque obligatoire” semble avoir la faveur de beaucoup d’élus, et du reste celle de l’opinion. On me dira que c’est un faible prix pour pouvoir sortir de chez nous. Minute papillons : c’est renoncer au cœur même de notre civilité. Nous montrons notre visage à notre prochain et nous sentons bien que ceux qui refusent de le faire, des intégristes musulmanes aux terroristes corses, manifestent leur sécession culturelle. On me jure que tout cela sera provisoire. C’est d’autant moins sûr que la demande de contrôle sanitaire viendra de la société. Il est probable que, dans quelques années, quiconque ne portera pas de masque pendant l’épidémie de grippe sera regardé et dénoncé comme mauvais citoyen. Et que pensera-t-on des gros s’il se confirme que le surpoids est un facteur de risque aggravant ? Qu’ils n’ont qu’à rester chez eux. 

Frau von der Leyen a tranché

Du reste, certains, à l’image d’Ursula von der Leyen le disent presque cash. C’est la deuxième idée en vogue dans les hautes sphères : un confinement prolongé pour les populations à risque. La présidente de la Commission européenne a déclaré dans le quotidien allemand Bild qu’en Europe, les contacts des personnes âgées avec leur environnement devraient rester limités au moins jusqu’à la fin de l’année. En clair, alors que le débat commence à peine en France, Frau von der Leyen a tranché : on commencera par libérer les enfants, les jeunes et les bien-portants : les vieux et les malades attendront. Et elle ne veut pas nous dire aussi quand on pourra voter pour les municipales ? 

De quoi je me mêle ? Ce n’est certainement pas à Madame von der Leyen de nous dire quand et comment on doit déconfiner. 

D’un point de vue juridique, la santé ne fait nullement partie des attributions de l’Union européenne. Chaque nation européenne a géré l’épidémie en fonction de sa culture médicale, de sa culture tout court et des moyens du bord, qui sont restés strictement nationaux à l’exception de quelques coups de main par-ci par-là. Quant aux frontières, qui relèvent effectivement de l’espace Schengen, sous-groupe de l’Union, il a fallu attendre deux mois et avaler toutes sortes d’âneries sur le virus qui n’avait pas de passeport (âneries répétées jusqu’à satiété dans les « grands médias ») avant qu’on décide de les fermer. Au moment où plus grand-monde ne voulait les traverser. 

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Surtout, Madame von der Leyen n’a pas la moindre légitimité politique pour réclamer des mesures aussi lourdes de conséquences sur les libertés publiques. Que le parlement élu, dans les conditions que l’on sait, puisse renverser la Commission (qui est tout de même le fruit de tractations inter-gouvernementales) n’y change rien. Qui, hors des frontières allemandes, connaît Ursula von der Leyen ? 

Raphaël Glucksmann rejoint le front souverainiste

J’entends déjà les réprimandes : en somme, vous prônez le chacun pour soi ? Eh bien oui, concernant la loi, chaque peuple doit appliquer ses propres lois. Cela s’appelle la souveraineté et contrairement à ce que fantasme le président de la République, elle ne peut pas être française et européenne. À ce sujet, il faut saluer Raphaël Glucksmann, l’un des rares à soumettre ses convictions européistes à l’épreuve du réel. 

Nous nous soumettons à des règles pénibles, comme nous acceptons de payer des impôts, au nom de la solidarité entre Français, parce que nous sommes un peuple et parce que les décisions sont prises par des autorités légitimes et responsables devant ce peuple. Jamais nous n’aurions accepté le confinement et les contrôles s’ils avaient dictés par Angela Merkel, Ursula von der Leyen ou Viktor Orban. 

Si Emmanuel Macron annonce ce soir un prolongement du confinement pour les personnes âgées, nous l’accepterons : nous acceptons la loi même quand elle nous déplaît – précisément parce que, sur le papier au moins, elle est supposée traduire les vœux d’une majorité d’électeurs. Toutefois, nous avons tout loisir de la critiquer. Comme le dit souvent Jean-Pierre Chevènement, la démocratie ne se résume pas aux élections. Elle dépend aussi de la possibilité d’un débat pluraliste entre citoyens. Nous ne discutons pas avec les Italiens ou les Hongrois des mesures à prendre. Dans quelle langue le ferions-nous, le volapük ? L’espéranto ? 

On saura sous peu si, en attendant un traitement ou un vaccin, nous en serons réduits à enfermer plus longtemps les vieux, les obèses et pourquoi pas certains malades chroniques. Là encore, même si c’est la seule issue, sachons ce que nous faisons : cela reviendra à introduire une discrimination n’ayant strictement rien à voir avec le mérite ou la nécessité de rétablir une injustice. Bien sûr, il s’agira encore de protéger les plus fragiles mais prenons garde : les bénéficiaires de toutes ces attentions, claquemurés chez eux ou dans leur chambre d’Ehpad, finiront peut-être par penser que cette vie qu’on s’évertue à sauver n’est plus vraiment une vie.



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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