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Il y a trois ans, Sarah Halimi était brutalement assassinée

Aux cris d’Allah Akbar, elle fut défenestrée à Paris


Il y a trois ans, Sarah Halimi était brutalement assassinée
Rassemblement pour Sarah Halimi le 5 janvier 2020 à Paris © Erez Lichtfeld/SIPA Numéro de reportage: 00938863_000006

Dans cette tribune, l’avocat de son frère s’indigne de ce que son assassin se retrouve à l’asile, et ne soit pas jugé.


 

Le confinement n’interdit pas le souvenir. Il y a bientôt trois ans, Sarah Halimi était torturée, battue à coups de poings, de pieds, avec un téléphone et défenestrée du troisième étage par un voisin, K. Traoré, sous ses insultes et aux cris d’« Allah Akbar », ou « sheitan ». S’appuyant sur les conclusions du Dr Zagury, le Parquet de Paris retenait l’altération du discernement et requérait la mise en accusation du meurtrier devant la Cour d’assises. Quelques semaines plus tard, contre les réquisitions du Parquet de Paris et sans la circonstance aggravante d’antisémitisme qu’ils n’avaient d’ailleurs retenue que bien difficilement, les juges d’instruction décidaient, eux, de saisir la chambre de l’instruction afin que celle-ci se prononce sur la responsabilité ou l’irresponsabilité pénale de K. Traoré. 

Le bon sens porté disparu

En novembre 2019, l’audience eut lieu devant la cour d’appel de Paris. Une audience lunaire pendant laquelle l’avocate générale, fait rarissime, s’opposait – elle aussi – aux réquisitions du Parquet de Paris et, s’associant par anticipation aux plaidoiries de la défense, requérait que K. Traoré soit reconnu pénalement irresponsable. Le Parquet Général suivait ainsi les conclusions de la deuxième expertise psychiatrique dont on n’a pas fini de mesurer la dangerosité. Selon ce collège d’experts, la banalisation de l’image du cannabis auprès des jeunes leur interdirait d’en comprendre les dangers. En outre, et au cas particulier, ils rappelaient que K. Traoré était « addict » au cannabis et précisaient que « addiction » est un terme juridique très ancien signifiant « contrainte par corps » pour souligner que Traoré ne pouvait pas faire autrement que consommer puisqu’il était dépendant. Conclusion : K. Traoré, toxicomane de longue date, « contraint » de fumer du cannabis et n’ayant jamais expérimenté de bouffée délirante aigüe, ne pouvait pas imaginer en subir une le soir du meurtre. Il ne pouvait donc pas être tenu pénalement responsable de son état ni, par conséquent, du meurtre commis. 
Et si nous faisions preuve d’un peu de bon sens ? Consommer de la drogue est non seulement interdit mais aussi et surtout dangereux pour la santé, notamment psychique, ce que tout le monde sait, K. Traoré plus que les autres. Il a pourtant continué à fumer, toujours plus, avec les conséquences que l’on connaît. Poussons l’absurdité du raisonnement jusqu’au bout. Que répondra-t-on au pédocriminel qui explique que son attirance pour les enfants est, pour lui, comme une drogue. Estimera-t-on qu’il était « contraint » lors de son passage à l’acte ? Que s’agissant de la première fois, il ne pouvait pas savoir ? En outre, l’addiction désignait, au moyen-âge, une « contrainte par corps » infligée aux débiteurs qui ne pouvaient honorer leur dette autrement, ce qui – dans ce contexte – n’a qu’un rapport très lointain, pour ne pas dire inexistant, avec K. Traoré. 

Tous les experts ont conclu à l’abolition du discernement

C’est également ce deuxième collège d’experts qui, plus d’un an après le drame et après deux entretiens d’expertise, avait conclu que K. Traoré souffrait d’un trouble psychotique chronique, vraisemblablement de type schizophrénique. 18 mois plus tard, devant la chambre de l’instruction, l’un des experts revenait sur sa propre appréciation clinique du meurtrier et reconnaissait s’être trompé sur ce diagnostic. Aucune maladie psychiatrique au long cours. Et contre toute attente, ce revirement essentiel n’a conduit ni le Parquet Général ni les magistrats à relativiser les conclusions du rapport. 

Quant au troisième collège d’experts, il concluait mollement tant dans son rapport qu’à la barre qu’il convenait de « s’orienter plutôt classiquement vers une abolition du discernement ». Pourtant, quelques semaines après le délibéré, l’un de ces experts reviendra à son tour sur ses propres conclusions et déclarera dans L’Express que l’on pouvait aussi pencher en faveur de l’altération du discernement, que c’était « un choix d’interprétation subjective ». On en reste coi. Si ces experts étaient indécis à ce point, il leur fallait reconnaître ne pas savoir, et non écrire une chose et son contraire à quelques semaines d’intervalle.

Le seul point commun des expertises est l’existence d’une bouffée délirante aigüe d’origine exo-toxique. Les divergences ne sont pas cliniques mais médico-légales et donc juridiques. Pour fonder sa décision de déclarer K. Traoré pénalement irresponsable, la chambre de l’instruction a estimé que ce dernier n’avait pas conscience que l’usage de stupéfiants puisse entraîner une bouffée délirante aigüe. Ce faisant, elle a ignoré le fait que K. Traoré avait consciemment changé de fournisseur de cannabis pour trouver des produits plus puissants, consciemment augmenté sa consommation plusieurs semaines avant son passage à l’acte et ce, alors qu’il avait déjà subi des montées d’angoisse, d’agressivité et des épisodes de rage incontrôlée et avait donc, en réalité, parfaitement conscience des effets du cannabis sur son cerveau, quelle que fut la banalisation de cette drogue. 

Toxicomanie, torture et antisémitisme

Elle a également négligé les éléments de conscience de K. Traoré avant, pendant et après la séance de torture infligée à sa victime, et pourtant longuement plaidés à l’audience par les parties civiles.

Dès lors, conscient tant des effets du cannabis que de la chronologie de son crime, K. Traoré conservait, au moment du meurtre, au moins une partie de son discernement qui ne pouvait donc pas être aboli. 

Une conclusion s’impose : s’il ne souffre d’aucune pathologie psychiatrique et qu’il était conscient, fut-ce partiellement, au moment des faits, K. Traoré n’a pas sa place en hôpital psychiatrique et doit être jugé par une cour d’assises. Maintenu en psychiatrie, son internement serait abusif. Abusif pour lui parce qu’on ne psychiatrise pas un sain d’esprit, abusif pour l’institution psychiatrique qui n’a pas vocation à empêcher un individu de fumer du cannabis, abusif pour les parties civiles privées d’un procès.

Compte tenu des contradictions entre les expertises et des revirements des experts, à l’exception notable du Dr Zagury, il convient désormais d’acter les doutes raisonnables quant à la réalité de la « démence » de K. Traoré au moment du passage à l’acte. Or, le doute ne bénéficiant pas à l’accusé en matière de responsabilité pénale, ce dernier devra répondre de ses actes devant un jury populaire. La cour de cassation peut encore montrer la voie.



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