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Le péril vieux

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Le péril vieux
© Pixabay

Si la réalité dépasse parfois la fiction, c’est que la fiction précède souvent la réalité. La littérature prévoit l’avenir. Cette chronique le prouve.


 

« Son pareil le suivait : barbe, œil, dos, bâton, loques, / Nul trait ne distinguait, du même enfer venu, / Ce jumeau centenaire / et ces spectres baroques / Marchaient du même pas vers un but inconnu. / […] je comptai sept fois, de minute en minute, / Ce sinistre vieillard qui se multipliait ! » Dans le Paris du Second Empire, Baudelaire est soudain saisi par l’angoisse. Hallucination ou réalité démographique ? Allez savoir. En revanche, aujourd’hui, nos inquiétudes sur ce « péril gris » sont à l’évidence fondées. Une enquête du Monde indiquait récemment que si la population mondiale continuait de croître, elle vieillissait à toute allure : « D’ici à 2050, la part des plus de 65 ans dans le monde devrait passer de 9,3 % à 15,9 % de la population. Aucune région n’échappera au phénomène, qui sera particulièrement marqué en Asie et dans les pays à hauts revenus, où le poids des plus de 65 ans pourrait grimper de 18,4 % à 26,9 % d’ici trente ans. »

Jean Dutourd

Un écrivain délicieusement anticonformiste qui connaît actuellement un purgatoire littéraire avait vu la chose venir : Jean Dutourd n’est pas seulement l’auteur d’Au bon beurre, cette satire féroce sur le marché noir. C’est aussi un moraliste lucide. Dans 2024, une dystopie publiée en 1975 (les dates ici ont leur importance), Dutourd imaginait une France entièrement peuplée de vieillards. Le narrateur, un jeunot de 70 ans, compare le monde qu’il a connu dans sa jeunesse et celui dans lequel il vit. Paris en 2024 ? Gratte-ciel déserts, pigeons qui ont tout recouvert de fiente, bois de Boulogne transformé en jungle… C’est avec émotion que le narrateur voit soudain apparaître une denrée rare : un père de famille nombreuse de 30 ans ! Il s’interroge : « cette vie de larves que nous menions, cette douceur aigre, non faite d’acceptation ou d’amour, mais de débilité, qui s’était installée dans les rapports des hommes, lesquels n’avaient plus assez de vigueur pour s’aimer, pour se haïr, pour agir sur le monde, pour s’entre-tuer ou pour se sacrifier, n’était-ce pas déjà l’enfer ? » Dutourd extra-lucide… En tout cas, les dates coïncident presque et son diagnostic ressemble diablement à celui fait par le Monde sur le Danemark, par exemple : « Pénurie de main-d’œuvre, montée en flèche des dépenses de santé, budget des communes sous pression… Les pays nordiques ressentent déjà lourdement les conséquences économiques du vieillissement de leur population. » 2024, c’est aussi la date des Jeux olympiques. Et si l’on pouvait éviter qu’ils deviennent les Jeux gériatriques, ce serait pas mal !

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Janvier 2020 - Causeur #75

Article extrait du Magazine Causeur




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