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Pourquoi les restaurateurs tricolores sont de plus en plus mal notés par le guide Michelin


Pourquoi les restaurateurs tricolores sont de plus en plus mal notés par le guide Michelin
Florent Menegaux, Président du Groupe Michelin et Audrey Pulvar lors de la cérémonie des étoiles Michelin 2020 à Paris © ROMUALD MEIGNEUX/SIPA Numéro de reportage : 00942284_000050

Le nouveau palmarès du guide rouge est marqué par la recherche effrénée du progressisme, jusque dans les cuisines. Le dénigrement des chefs français témoigne d’un certain cynisme. Analyse.


Le palmarès 2020 du Guide Michelin, dévoilé le 27 janvier dernier à Paris lors d’une cérémonie au Pavillon Gabriel, vient de faire trembler, au-delà de toute attente, la scène gastronomique mondiale.

Ayant passé une partie de ma carrière de journaliste anglais en tant qu’éditorialiste pour le magazine culinaire, Waitrose Food Illustrated, et comme inspecteur de restaurant pour le Good Food Guide (l’équivalent du Gault et Millau français), je continue de suivre, par réflexe (et avec délectation), l’actualité dans ce domaine désormais devenu ultra-compétitif, mondialisation oblige. Pour nous Britanniques, Escoffier et Bocuse ont toujours fait l’objet d’une vénération. Leur exemple nous a permis de nous hisser, en tant que peuple, à un niveau que nous n’aurions jamais pu imaginer en matière culinaire, il y a encore un demi-siècle. Grâce à eux, nous avons délaissé notre traditionnel gigot de mouton bouilli à la sauce de menthe pour lui préférer le Rouget Barbet en écailles de pommes de terre et la soupe aux truffes noires surmontée d’un feuilletage. Ce faisant, nos efforts ont largement payé, puisque nous avons transformé Londres en capitale de la gastronomie !

Le Cheddargate de Marc Veyrat

Aussi sommes-nous absolument stupéfaits de constater que ce qui fut longtemps la Bible de la gastronomie française – le Guide rouge – dépouille à qui mieux mieux de leurs étoiles chèrement acquises les stars de la cuisine française en France. Après 55 années, L’Auberge du Pont de Collonges de feu Paul Bocuse, décédé en 2018, vient de perdre sa troisième étoile. Le même sort a été réservé à L’Auberge de L’Ill en Alsace, tout comme L’Astrance à Paris en 2019. Plus choquant encore, cet autre géant de la gastronomie française, Marc Veyrat, a lui aussi perdu sa troisième étoile. «C’était pire encore que de perdre mes parents», a t-il déclaré, un brin provocateur, derrière ses lunettes fumées, la tête enfoncée dans son éternel chapeau noir. Il a poursuivi Michelin devant les tribunaux et a perdu la première manche. Il ira en appel. Sa faute : il a été accusé d’avoir utilisé du cheddar dans ses soufflés au fromage, ce dont il s’est défendu avec véhémence, accusant les nouveaux inspecteurs inexpérimentés du Michelin d’avoir confondu du reblochon coloré avec du safran jaune avec du cheddar anglais ! Outre-Manche, cette affaire intrigua les médias qui se mirent à parler d’un « Cheddargate ». Selon Veyrat, les jeunes inspecteurs du Guide Rouge ne seraient même pas capables de se faire cuire un œuf. Ce à quoi ses détracteurs ont rétorqué que le maestro était devenu une «diva narcissique» qui faisait preuve d’«égoïsme pathologique».


Mais pourquoi sanctionner quatre des plus vénérables institutions françaises en l’espace de 12 mois seulement? Les inspecteurs du Michelin s’acharnent-ils à détruire les autels de la haute cuisine française simplement parce qu’ils souhaitent disqualifier des chefs dont ils jugent la cuisine démodée depuis belle lurette? Ou bien font-ils preuve là de pur cynisme, comme le déclare Veyrat aux médias?

Le Guide Michelin, un monument qui s’écroule ?

Il se trouve qu’au fil des ans, les ventes du Guide rouge n’ont pas seulement baissé, elles se sont carrément effondrées. En 1999, le Guide se vendait à 600 000 exemplaires. Certes, en 2000, à l’occasion de son centenaire, un record de 880 000 exemplaires a été atteint, mais en 2005, les ventes sont tombées à 124 000. En 2018, moins de 40 000 exemplaires ont été vendus, soit à peu près le même nombre que lors de la première année de publication du Guide… en 1900 !

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En 2004, la stratégie de Michelin a consisté à se diversifier. Des guides sur le Japon et les États-Unis ont été publiés. Actuellement, il existe 36 guides différents couvrant le monde entier pour tenter d’augmenter les bénéfices. Une bonne décision économique semble-t-il, car le guide Michelin du Japon s’est vendu à 120 000 exemplaires au cours des trois premiers jours de sa mise sur le marché. Mais alors même que cela se produisait, des chefs de plus en plus nombreux décidaient de tourner définitivement le dos à un système désormais considéré comme dépassé. De grandes figures françaises ont commencé à vouloir se libérer du joug du système Michelin pour suivre leur propre voie.

C’est le cas par exemple de l’inventeur de la «bistronomie», le chef du sud-ouest Yves Camdeborde, ancien détenteur de deux étoiles Michelin. Il a fait le choix courageux de s’affranchir. Ce chef talentueux a passé dix ans au Ritz et au Crillon. Il a officié à La Tour d’Argent. Camdeborde est aujourd’hui propriétaire du restaurant Le Comptoir (et de deux autres petits restaurants), où la liste d’attente est souvent longue, tout comme pour son hôtel Le Relais Saint-Germain. Depuis longtemps il est devenu une figure médiatique qui apparaît régulièrement à la télévision. Pour lui, le système des étoiles Michelin promeut une cuisine pour les snobs. Son succès dépend fortement des touristes étrangers fortunés. En effet, qui d’autre que des nantis peut encore se permettre, par les temps qui courent, de fréquenter les restaurants étoilés ?

La gastronomie française dénigrée

« Depuis le tournant des années 2000, il y a eu une révolution en France avec des chefs formés dans les règles de l’art qui tournent le dos à la rigidité et ouvrent plutôt des bistros gastronomiques, où vous pouvez vous régaler pour un quart du prix des grandes tables. A Paris, des endroits tels que Le Repaire de Cartouche, Chez Michel et L’Ami Jean sont toujours divertissants. Ils servent une des meilleures cuisines régionales qui soient et les chefs viennent tous de restaurants étoilés. Si j’étais au Japon, je n’achèterais certainement pas de guide français; idem en Amérique. Déconnectés de chez eux, les inspecteurs du Michelin se retrouvent sur une autre planète là-bas», confie-t-il.

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Force est de constater la facilité déconcertante avec laquelle les inspecteurs du Guide Michelin décernent des étoiles dans des pays étrangers, alors qu’il est si difficile pour les chefs français de les obtenir et de les conserver en France. A Tokyo par exemple, il y a 13 restaurants avec trois étoiles Michelin en comparaison de 10 établissements à Paris, dont celui du chef japonais Kei Kobayashi. De plus il est ironique d’entendre que le chef Toshiya Kadowaki, propriétaire du restaurant tokyoïte très apprécié (localement) Azabu Kadowaki, a refusé de figurer dans l’édition inaugurale du guide Michelin des restaurants de Tokyo et a fait de même pendant les 16 dernières années :

« Qui sont-ils (Michelin) pour juger ma nourriture et décider si nous sommes dignes d’une, deux ou trois étoiles? Ou pas d’étoiles du tout? Imaginez si j’allais à Paris et commençais à juger la nourriture servie dans les restaurants français. Les Français ne me prendraient pas au sérieux ou ils ne seraient pas très heureux », a t-il déclaré. Il se trouve justement qu’au sein des nouvelles équipes d’inspecteurs du Guide Michelin, se trouvent des Japonais et des ressortissants d’autres nationalités.

Mais peut-on réellement blâmer le nouveau et relativement jeune patron du Guide Rouge, Gwendal Poullenec, pour l’onde de choc provoquée par le nouveau classement ? Face à la perspective peu réjouissante de finir par disparaître en tant que marque, n’est-il pas finalement normal pour le Guide de se déchaîner sur les fleurons de la cuisine française classique pour réaffirmer son autorité ?

Après tout, n’est-ce pas ce vieux facétieux de Bocuse qui a dit un jour: «Si un architecte fait une erreur, il la recouvre de lierre. Si un médecin fait une erreur, il la recouvre de terre. Si un cuisinier fait une erreur, il la recouvre de sauce et déclare que c’est une nouvelle recette». On peut en déduire que si une maison d’édition fait des erreurs, elle se tourne vers la main bienveillante qui l’a nourrie et se met soudain à la mordre !

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