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Eric Zemmour, la tête de Turc de Télérama

Une histoire de sacrifice


Eric Zemmour, la tête de Turc de Télérama
Eric Zemmour © Saget / AFP

Les journalistes de Télérama rêvent de faire taire celui qu’ils qualifient de « polémiste multirécidiviste ». Le CSA est appelé à remplir ses fonctions sociales sacrificielles vertueuses!


Lorsqu’on a le désir de suivre de près toutes les tendances progressistes de notre époque, il est des journaux sur lesquels il ne faut pas hésiter à se pencher de temps à autre. Il y a Libération (un trésor). Il y a Les Inrocks (une mine). Et il y a, de plus en plus souvent, Télérama.

Ce 27 janvier, la newsletter Télérama Soirée titre : « Plaintes devant le CSA, Zemmour vole la vedette à Hanouna. » Le journal précise que le CSA a reçu plus du double de saisines en 2019 comparé à 2018. Grâce à qui, selon le magazine télévisuel ? Grâce au « polémiste multirécidiviste et multirepris de justice » Éric Zemmour (alias « l’icône des réacs »). Il y a un lien qui mène tout droit à l’article du journaliste, Étienne Labrunie, pour ceux qui aimeraient approfondir l’épineux sujet. Comme j’ai un peu de temps devant moi, je m’y rends.

Christine Angot indétrônable

J’apprends d’abord que, contrairement à ce que laisse supposer la newsletter téléramesque, ce n’est pas Zemmour qui a décroché la timbale, mais… Christine Angot. C’est elle qui détient les meilleurs scores de dénonciations auprès du CSA suite à ses propos sur l’esclavage dans l’émission On n’est pas couché (5600 saisines). Elle est suivie de près par une chronique dans La Matinale de LCI qui décrétait que « Non, les profs ne sont pas mal payés ! » (4700 saisines). De justesse Éric Zemmour grimpe donc sur la 3ème marche du podium avec 4300 saisines pour ses propos sur le général Bugeaud, suivi de très très près par Frédéric Fromet pour sa chanson Elle a cramé, la cathédrale, braillée sur France Inter (4000 saisines). Comme cet humoriste a refait dernièrement parler de lui en appelant à la sodomisation de Jésus au milieu des ricanements de journalistes franceintéristes, nous devrions le voir prochainement monter sur le podium ! Nous ne savons pas encore ce que Télérama fera de cet athlète, ni quels adjectifs l’hebdomadaire lui accolera (icône des bouffeurs de cathos ? chanteur vulgaire multirécidiviste ?..). Pourtant, c’est « Zemmour (qui) déchaîne les compteurs de l’instance »… sous-titre en début de paragraphe le vigilant journaliste qui regrette que le « polémiste » ait toujours une tribune sur CNews. Liberté d’expression, quand tu nous tiens !

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Mise au point rapide : on peut ne pas partager toutes les opinions ou analyses de Zemmour. On peut ne pas partager celles de Badiou (exemple extrême). Je ne suis pas sûr d’adhérer à quelque idée que ce soit de nombre de personnes auxquelles, pourtant, j’aimerais que reste acquise la possibilité de s’exprimer.

Un bouc émissaire

Zemmour est devenu ce qu’on peut appeler un bouc émissaire. Télérama en a fait sa tête de Turc préférée (cette expression sera bientôt interdite, profitez-en !)

Un bouc émissaire, ça sert à quoi ? Si je veux en croire René Girard, ça sert d’abord à se ripoliner la conscience et à neutraliser la violence d’un groupe. J’en tue un pour qu’on ne s’entretue pas tous. Il faut par conséquent mettre en scène un sacrifice, la ritualisation du meurtre (symbolique) d’un d’entre nous qui remplira quand même quelques conditions préalables :

– la victime doit être à la fois assez distante du groupe pour pouvoir être sacrifiée (personne ne doit se sentir visé par cette brutalité) et assez proche pour que la catharsis fonctionne.

– le groupe doit ignorer que le bouc émissaire est innocent (par tous les moyens possibles, jusqu’au déni de la réalité, jusqu’au mensonge, jusqu’à la surcharge accusatrice).

– le bouc émissaire doit présenter des qualités ou défauts extrêmes : riche/pauvre, vice/vertu, intelligence/débilité, force/faiblesse.

– la victime doit être en partie consentante.

Je vous laisse regarder de près si Zemmour remplit toutes les conditions requises pour être une presque parfaite « victime expiatoire » ou bouc émissaire. J’ai ma petite idée mais je ne veux influencer personne.

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Le sacrifice a donc deux vertus essentielles : il libère l’agressivité collective et il ressoude la communauté autour d’une paix retrouvée – mais toujours fragile, d’où la nécessité de reconduire régulièrement l’opération sacrificielle. René Girard analyse ce phénomène en reconnaissant que s’il est pragmatiquement efficace, il est moralement scandaleux parce qu’il repose sur un mensonge collectif (ou déni de réalité) qui arrange le groupe. Il faut un coupable. Un seul, pour que le groupe agressif et tout aussi coupable puisse se « nettoyer ».

CSA: boite aux lettres pour délateurs

C’est pourquoi le CSA, comme tout organe réceptacle de toutes les dénonciations et délations possibles, a de beaux jours devant lui : groupes ou communautés (national, politique, LGBT, féministe, animaliste,…) ne peuvent suppléer leur agressivité revendicatrice et identitaire que par de nombreux sacrifices dont ils sont les initiateurs. Il est à craindre que la ritualisation d’une mise à mort symbolique passant rapidement de mode (et croulant sous le nombre – 70 000 plaintes auprès du CSA en 2019 !), des moyens de moins en moins symboliques et de plus en plus expéditifs soient employés par tous ceux qui pensent être les détenteurs de la Vérité. Ça s’est déjà vu – à petite échelle cela conduit régulièrement à la chambre correctionnelle, au limogeage, à la mort sociale. À grande échelle, ça a porté les jolis noms de Révolution culturelle ou de Grandes purges.

Alors que je finis d’écrire ce papier, je tombe sur celui d’Olivier Milot, toujours dans Télérama, même jour, même newsletter, intitulé Les propos racistes et antisémites en forte augmentation, et Zemmour est toujours sur CNews. (sic) C’est superbe ! En quelques lignes le journaliste nous rappelle que les « faits racistes et xénophobes » et les « faits antisémites » ont fortement progressé, et que, pourtant, CNews continue d’employer Zemmour. « Difficile de ne pas faire le rapprochement », nous assène Olivier Milot dans un raccourci fulgurant et d’une hauteur de vue stratosphérique.

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Amateur de livres et de musique. Dernier ouvrage paru : Les Gobeurs ne se reposent jamais (éditions Ovadia, avril 2022).

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