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Sexe, mensonges et politique


J’ai un truc qui fait enrager les filles. J’ai un cœur, mais il est d’abord politique. Les déclarations d’amour me laissent de marbre, les scènes d’adieux me barbent mais, à la lecture de Churchill, je ne retiens pas mes larmes. Si je suis à peine humain avec les femmes pour faire l’homme, devant un leader charismatique et même emphatique, je deviens une midinette. Vacciné contre ces mots doux aux pouvoirs magiques qui abolissent chez les dames tout discernement, je ne me lasse pas de ces mots durs qui, clamés par un tribun avec un peu de tonnerre dans la voix, endorment provisoirement mais sûrement, le plus farouche esprit critique.

Toute femme qui tire des leçons de l’expérience finit par connaître la nature des hommes. Elle connaît la valeur des promesses faites, en toute sincérité, par le candidat au sexe – ou à une relation sentimentalo-sexuelle, pour n’oublier personne. Elle sait que les engagements seront impossibles à tenir pour l’heureux, une fois élu. Les formules magiques, faites de mots qui figureraient en bonne place dans un dictionnaire des entourloupes, qui marient amour et éternité ou serment et fidélité ne perdent jamais rien de leur pouvoir et j’en connais peu qui préféreraient être sourdes plutôt que de les entendre, mais les filles lucides (on en trouve, même si peu d’hommes en cherchent) ont compris que, dans certaines situations, si la musique est douce, il ne faut pas accorder trop de crédit aux paroles. Même avec des fleurs dans la voix et l’air convaincu de qui convoite le con, quand le gland du soupirant dépasse de son col, il vaut mieux ne pas prendre ses déclarations trop au sérieux. L’avertissement pourrait figurer au fronton des écoles de jeunes filles s’il en existait encore (des écoles) et les pères responsables et inspirés devraient l’enseigner à leur féminine progéniture : on peut croire un homme sur parole mais pas quand il a envie de baiser.[access capability= »lire_inedits »]

L’homme moyen, avare de tendresse parlée quand rien ne l’y oblige, ne sait plus tenir sa langue quand il poursuit un objectif ciblé, ou plutôt sait ne plus tenir sa langue quand il a appris à la tremper dans du miel pour avoir compris qu’on n’attrape pas des mouches avec du vinaigre et des filles avec des vérités trop crues. Depuis que nous sommes sortis des cavernes et nous sommes affranchis du mariage arrangé, c’est par ce jeu où les promesses n’engagent que celles qui y croient que les hommes peuvent rencontrer les femmes. C’est par un jeu de même nature que se fait la rencontre entre un homme et un peuple et que le politicien espère devenir l’élu du suffrage universel. Ainsi, dans le processus démocratique de choix du chef que nous connaissons, le candidat est, le temps de la campagne électorale, le courtisan quand nous sommes les courtisés et, s’il se conduit immanquablement comme un mâle en rut, avec son lot de baratin, c’est, il faut bien le reconnaître, parce que nous sommes souvent de vraies gonzesses. Même le plus sceptique d’entre nous est sensible au politicien qui lui tend un miroir, le regarde, lui parle et le flatte, rend hommage à ses qualités et dénonce ceux qui le spolient, qu’ils soient patrons du CAC 40 ou immigrés clandestins. Même le citoyen le plus échaudé par les élections-pièges à cons finit par accorder une danse à l’homme providentiel qui promet de lui rendre justice et qui sollicite le poste pour tenir ce bel engagement. Nous avons tous appris que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute : c’est pourtant au lauréat du grand concours de flatteries que nous finissons par offrir un quinquennat en palais et en jet.

Mais il y a une limite. Il arrive que la séduction tourne à la drague lourde et que le charme n’opère plus. En politique, je suis dupe au-delà du raisonnable mais pas jusqu’au mensonge éhonté. Quand on me promet la lune à moins de deux heures de transports en commun gratuits, je préférerais être sourd. J’aime qu’on me raconte des histoires et je suis toujours prêt à m’en laisser conter, mais je veux pouvoir espérer une fin, pas forcément heureuse, mais crédible. Aujourd’hui, les lapins qui sortent des chapeaux à la dernière minute gâchent mon plaisir. J’ai beau essayer de garder la foi, je ne parviens plus à croire ces propositions, incohérentes et grossières, qui s’ajoutent chaque jour au débat, démontées dans l’heure par tous les spécialistes, censées répondre aux problèmes bien réels que connaît mon pays. Je n’attends pas le messie mais je veux garder l’espérance. Or les ficelles sont devenues trop grosses et, à entendre les prétendants, tout semble être à portée de la main. Pour une juste répartition des richesses et un enrichissement des pauvres par un appauvrissement des riches, pour retrouver une substantielle souveraineté nationale en accord avec nos partenaires européens, pour une démocratie directe, cette fois c’est promis, pour l’abolition du racisme, du sexisme (et bientôt de l’homophobie ?) par frappes chirurgicales dans le dictionnaire et pour l’avènement de toutes sortes d’utopies, il me suffirait de bien voter. C’est trop beau pour être vrai et ce qui ne peut devenir réalité ne peut faire rêver. Or, comme pour une femme amoureuse, le rêve est mon minimum indispensable.

Les femmes à qui on ne la fait plus finissent par exiger des gages au prétexte qu’il n’y aurait pas d’amour sans preuves d’amour. Je pourrais en arriver là. Finirai-je par croire qu’il n’y a pas de politique, qu’il n’y a que des preuves de politique et par me ranger derrière un candidat solide, sincère et fiable, au programme réaliste mais aussi alléchant qu’un contrat de mariage ? J’en doute, je me laisserai encore avoir en beauté par des bonimenteurs gonflés car je préfère continuer à vivre dans un monde où on nous raconte des histoires, où on se raconte des histoires. Je veux garder mon cœur de jeune fille mais, pour cela, j’attends des politiciens qu’ils m’emportent en finesse, par des mensonges plausibles. À défaut, je me retirerai peut-être de la vie politique et mettrai tout mon cœur à tenter de convaincre les femmes que je n’ai qu’une parole. Et tout mon cerveau à tenter de rester crédible. [/access]
 

Avril 2012 . N°46

Article extrait du Magazine Causeur



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Cyril Bennasar, anarcho-réactionnaire, est menuisier. Il est également écrivain. Son dernier livre est sorti en février 2021 : "L'arnaque antiraciste expliquée à ma soeur, réponse à Rokhaya Diallo" aux Éditions Mordicus.

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