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Günter Grass raisonne comme un tambour


Günter Grass, prix Nobel de littérature, 84 ans, vient de se signaler à l’attention du public international, qui avait tendance à l’oublier, par la publication, dans plusieurs grands journaux européens d’un « poème ». En voici la traduction en français que Le Monde.fr a fait établir. Les guillemets s’imposent pour classer ce texte dans le genre poétique, et le pauvre traducteur n’en est aucunement responsable. La version allemande est tout aussi filandreuse et amphigourique, témoignant du très sérieux affaiblissement des capacités créatrices de l’écrivain allemand vivant le plus connu sur la planète. Comme le fait remarquer le polémiste juif allemand Henryk Broder, il ne suffit pas de couper les phrases de telle manière à ce que, vu de loin, le texte ait l’air d’être écrit en vers pour que cela fasse poésie…

Il s’agit plutôt d’un stratagème pour transformer en pseudo œuvre littéraire une prise de position politique – en l’occurrence l’accusation portée contre Israël de menacer la paix mondiale – en s’exonérant de développer une argumentation convaincante. Moi, Günter Grass, Grand Ecrivain vous affirme que l’Etat juif projette la vitrification nucléaire de l’Iran avec la complicité de l’Allemagne qui livre à Israël des sous-marins lui permettant de mettre ce funeste projet à exécution. Croyez-moi sur parole, car je me suis trop longtemps interdit de briser le tabou qui nous interdirait, à nous autres Allemands, de désigner cet Etat qui menace notre survie à tous au prétexte que son peuple a eu quelques ennuis avec l’Allemagne au siècle dernier. Admirez mon courage, garant de la pertinence de mes propos…
Cela fait maintenant plus d’un demi-siècle qu’Israël dispose d’un arsenal nucléaire présumé, construit, rappelons-le avec l’aide le France ante-gaullienne. Il n’en a jamais fait un autre usage que dissuasif, même dans les jours critiques de la guerre de Kippour, en 1973, alors que Tsahal était sur le point d’être débordée par les forces égyptiennes et syriennes. Cela n’émeut pas Günter Grass, qui passe sous un poétique silence les imprécations du président iranien appelant de manière répétitive à la destruction d’Israël comme jadis Caton l’ancien exigeait que Carthage fût détruite à l’issue de chacun de ses discours.

La bonne nouvelle, cependant, c’est qu’à de très rares exceptions, les milieux politiques et intellectuels d’outre-Rhin – y compris le Parti de Gauche d’Oskar Lafontaine – ont déploré, plus que condamné, la prise de position tonitruante de l’écrivain. Les plus charitables des commentateurs mettent sur le compte du grand âge la « perte de contact de Grass avec le réel » . Celui qui était, avant la chute du mur de Berlin, une conscience morale de l’Allemagne d’après guerre a perdu son statut d’oracle. Même son aveu de s’être engagé à la Waffen SS à 17 ans en octobre 1944 ne l’a pas replacé au centre du débat public, ce qui le navre plus que tout. Son aveuglement persistant sur la vraie nature du régime est-allemand, et ses réticences face à la réunification de l’Allemagne en 1990 l’ont disqualifié dans les nouvelles générations, qui n’ont d’ailleurs plus besoin, comme les précédentes, de bouée morale pour survivre à un passé trop lourd. Grass ne sera donc pas le Hessel d’outre-Rhin. Les Allemands ont bien de la chance.



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