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L’emploi est en panne, les candidats aussi


Chaque semaine jusqu’à l’élection présidentielle, la « battle » sur Yahoo ! Actualités confronte les éditos de Rue89 et Causeur sur un même thème. Cette semaine, Gil Mihaely et Pascal Riché débattent du bilan de Nicolas Sarkozy sur le chômage.

En cinq ans, le chômage en France a beaucoup augmenté. C’est un fait indubitable. Pensez-vous, cependant, que si Ségolène Royal avait été élue en 2007 en lieu et place de Nicolas Sarkozy, la France aurait aujourd’hui retrouvé le niveau d’emploi des années 1960 et vendrait des machines-outils à l’Allemagne ? Si c’est le cas, autant arrêter votre lecture ici, car on va tenter de traiter sérieusement un sujet sérieux. La question est donc la suivante : dans les circonstances particulières des quatre dernières années, avec des crises en cascade dans la plupart des économies développées, quelle est la part de responsabilité de Nicolas Sarkozy dans les chiffres incontestablement mauvais du chômage ? Une deuxième question découle logiquement de la première : qu’aurait dû faire le président de la République pour que notre économie crée plus d’emplois et en détruise moins ?

Puisque l’Allemagne est devenue, pour presque toute la classe politique, le « modèle » à imiter, rappelons à son sujet quelques vérités. Si l’économie allemande, notamment son industrie et ses exportations, vont bien, c’est en grande partie parce que les Allemands vont mal et acceptent d’aller mal. En effet, sans les réformes de Gerhard Schroeder et la création du système dit « Hartz » (du nom de Peter Hartz, ministre social-démocrate de l’économie dans le gouvernement Schroeder), qui se sont traduites par la précarisation et la paupérisation d’un grand nombre de ci-devant membre des classes moyennes, il n’y aurait point d’excédents commerciaux ni de « plein emploi » outre-Rhin.

On estime aujourd’hui que le nombre de bénéficiaires de l’aide sociale dite « Hartz IV » s’élève à 6,6 millions. La réalité du marché du travail allemand, c’est aussi cinq millions de travailleurs pauvres, autant de petits boulots (en augmentation de presque 50%) et une explosion de l’intérim qui atteint 134%. Quant aux retraités ils sont de plus en plus nombreux (presque 700 000) à devoir, comme beaucoup d’Américains, compléter leurs petites pensions avec les revenus d’un mini-job. Ça fait envie, non ? Ajoutons que le taux d’emploi des femmes de 15 à 64 ans est de 45 % outre-Rhin contre 53 % en France et que les moins de 20 ans représentent 18,3 % de la population allemande et un quart de la nôtre : il est tout de même plus facile d’avoir un faible taux de chômage des jeunes quand on n’a pas de jeunes….

Dans ces conditions, on peut effectivement se poser des questions sur le sens du terme « plein emploi » voire sur la signification du taux officiel de chômage chez nos cousins germains. Force est de reconnaître que la France a échappé à cette thérapie-là et que le président sortant y est pour quelque chose. Certains de ses électeurs pourraient même légitimement le lui reprocher, car il a été élu pour reformer l’économie française en s’inspirant de tout ce qui marche ailleurs, outre-Rhin ou outre-Atlantique. Or il ne l’a pas fait ou très mollement. On imagine aisément les critiques de la gauche si le prix d’une baisse du chômage avait été le démantèlement du SMIC, la suppression du RSA et la généralisation du CDD comme contrat de travail standard…

On pourrait donc se féliciter, a priori, que les deux prétendants majeurs à l’Elysée soient d’accord sur ce qu’il ne faut pas faire, en l’occurrence importer les thérapies appliquées en Allemagne. On sera en revanche plus inquiet sur ce que l’un et l’autre se proposent de faire pour relancer l’emploi. À ma gauche on se propose de rouvrir en grand les guichets d’embauche de fonctionnaires et de multiplier les emplois semi-publics aidés pour les jeunes, les vieux, les femmes et les divers. À ma droite on préfère chercher la formule magique qui permettra de réduire le coût du travail sans toucher à la fiche de paie : si Nicolas Sarkozy est réélu, on peut donc s’attendre à ce que les embauches de jeunes, de vieux, de femmes et de divers bénéficient de nouvelles exonérations de charges.

L’ennui, c’est que ces deux politiques ont déjà fait la preuve de leur inefficacité. Voilà pourquoi même si tout change, rien ne changera vraiment. Ce repli de Nicolas Sarkozy et de François Hollande sur de vieilles recettes pour électeurs déjà convaincus (ou n’ayant guère d’autre choix in fine) est d’autant plus dommageable qu’ils avaient l’un et l’autre la possibilité d’innover réellement en matière d’emploi. Il suffit d’observer l’enthousiasme qui saisit l’électeur, et notamment l’électeur ouvrier ou chômeur, dès qu’on lui parle de protectionnisme. Et peu lui chaut, à l’électeur que ce protectionnisme soit de droite, à la Guaino, ou de gauche, à la Montebourg. Ce qu’il veut, notre électeur, c’est qu’on arrête d’ériger le libre-échangisme en fondement de nos valeurs républicaines et qu’il ne soit pas aussi difficile d’acheter une jolie robe made in France à un prix raisonnable que de trouver du cassoulet au confit d’oie dans une gargote pékinoise.

Reste une question : si l’option « protectionnisme intelligent » peut à la fois rapporter moult voix et aider à résorber le chômage pourquoi nos deux larrons ne s’en emparent-ils pas ? La réponse à cette excellente question est que les deux candidats qui font la course en tête sont d’accord sur l’essentiel, c’est-à-dire le cadre général : la monnaie unique et une Union européenne gérée plus ou moins selon le Traité constitutionnel rejeté en 2005 et renforcé depuis par des mesures anti-dette qui ont amené encore plus de contrôle européen sur les budgets des Etats membres. Hors de la Règle d’or, point de salut, la messe est dite.

Dans ces conditions, en matière économique et sociale, nous avons le choix entre un gendre idéal et un mauvais garçon ou, si vous préférez, entre le candidat de Jacques et celui de Bernadette. Excitant, non ?



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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