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Maths modernistes


Une invitation au voyage dans un univers de « mystères », avec « dépaysement soudain » garanti et sans même quitter Paris : la proposition de la Fondation Cartier semblait être de celles qui ne se refusent pas. Une expo sur les maths destinée aux petits et aux grands, aux cracks et aux réfractaires, c’était vraiment la bonne idée pour une sortie en famille. Quelle déception ! L’exposition « Mathématiques » est indigente, verbeuse et prétentieuse.

On se demande si quelqu’un a vraiment réfléchi pour arriver à ce résultat : aucun contenu construit, aucune transmission de savoir, aucune pédagogie. De vagues petits textes, des images surchargées et des fragments d’interviews de mathématiciens projetés sur des écrans grand format, il y a trente ans, on aurait trouvé que c’était une bien belle idée. Mais quand on peut écouter à domicile les cours du Collège de France ou du MIT, à quoi peut bien servir cette quincaillerie ?

Plein d’espoir, le visiteur pénètre dans la première salle où doit avoir lieu sa rencontre avec les « mystères » des mathématiques. Las ! Ces mystères ne sont ni résolus ni explorés, ni même abordés. En revanche, les mots creux fusent dans tous les sens : « mystère de la Vie », « mystère du Cerveau », « des Maths »…[access capability= »lire_inedits »] Quel est l’âge du capitaine ? Piège du nominalisme, vanité d’un discours creux. Je pense aux fêtes foraines d’antan où on se faisait avoir par une pancarte alléchante: « Entrez voir l’homme chauve-souris ! » Mais ici, pas de chauve-souris ni de malice, seulement du verbiage stérile et prétentieux. On est presque gêné pour les mathématiciens géniaux dont les photos servent d’alibi à ce fatras.

Pour appâter le chaland, les concepteurs de ce bazar sans charme ont convié quelques people. David Lynch signe un piteux spectacle montrant quelques robots s’agitant à l’intérieur d’une sphère blanche. Le génial Cédric Villani, notre nouvelle médaille Fields, est mis à contribution dans une vidéo où l’on voit sa main écrivant à la craie l’une de ses propres démonstrations. Exquise farce supposée évoquer, rien que ça, la dimension « chorégraphique » de l’art mathématique. « Et quand il se branle, ça fait comment ? » a-t-on envie de demander, sauf le respect dû à ce grand savant. Au chapitre du name-dropping, le visiteur est encore invité à donner sa réponse à une énigme : écrire une équation algébrique d’entiers naturels dont le résultat est 2011. C’est l’œuvre de Takeshi Kitano, « cinéaste et peintre qui jouit d’une immense popularité au Japon », est-il précisé dans la notice.

On parvient enfin au dernier espace où l’on doit éprouver le vertige ─ pascalien, cela va de soi ─ des deux infinis : évocation limitée à quelques coussins posés au pied d’un écran, tandis que sur le mur, est rappelée la définition de la valeur de Planck ─ dont je vous ferai grâce, vu que vous pouvez la trouver dans Wikipédia. Ẻvidemment, en gros caractères sur un mur blanc, c’est beaucoup plus fort.

Zéro en maths pour la Fondation Cartier, donc, mais une bonne note pour le sens commercial puisque, pour deux adultes accompagnés d’un enfant, cette petite plaisanterie coûte 19,50 euros. Les auteurs de cette mascarade prétendaient conjuguer mathématiques et création artistique. Ils ont prouvé que la transdisciplinarité, unanimement célébrée au nom du principe de décloisonnement, est souvent promise à l’échec, sauf miracle ou coup de génie. Ni l’un ni l’autre ne sont au rendez vous à la Fondation Cartier.[/access]

Février 2012 . N°44

Article extrait du Magazine Causeur



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