Accueil Édition Abonné « Le lien entre les dérèglements climatiques et l’activité humaine n’est pas clairement démontré »

« Le lien entre les dérèglements climatiques et l’activité humaine n’est pas clairement démontré »

Entretien avec l'ex-PDG d'Elf, Loïk Le Floch-Prigent


« Le lien entre les dérèglements climatiques et l’activité humaine n’est pas clairement démontré »
Loïk Le Floch Prigent. Crédit : Fred Tanneau/AFP.

Pour l’ancien PDG d’Elf, la croissance galopante du nombre d’humains est problématique. Bien que la fin du pétrole ne soit pas pour demain, la généralisation du mode de vie occidental exige des investissements colossaux dans les énergies alternatives.


Gil Mihaely. De l’avis quasi général, nous sommes en train de vivre un dérèglement climatique sévère, principalement dû à l’activité humaine. Nombre de scientifiques soutiennent que la planète risque de devenir difficilement habitable si rien n’est fait d’ici quelques décennies. Adhérez-vous à ce consensus ?

Loïk Le Floch-Prigent. Le lien de causalité entre les dérèglements climatiques et l’activité humaine n’est pas clairement démontré. Pour l’instant, on constate une corrélation qu’on n’arrive pas à expliquer de manière convaincante. Alors que l’attention générale se focalise sur les gaz à effet de serre émis par l’utilisation des énergies fossiles, je vois dans la démographie la première grande question écologique mondiale. En effet, la population mondiale a fortement augmenté au cours des deux derniers siècles : on est passé d’un à sept milliards d’individus, et on risque de monter à dix milliards. La planète est-elle capable de contenir autant d’individus qui aspirent tous au mode de vie des plus chanceux ? N’est-ce pas simplement cette surpopulation qui conduit aux changements ? Par ailleurs, il faut se demander si le réchauffement est vraiment un mal absolu. Après tout, la planète a connu des périodes de réchauffement sans pour autant disparaître.

A lire aussi: Réponse à ceux qui doutent du changement climatique

Sans doute, mais pas aussi rapides. Et il n’y avait pas toute une activité humaine à sauver…

Sur la rapidité du changement, on a tendance à confondre deux phénomènes. Le premier est le dérèglement conduisant à des catastrophes qui sont ressenties comme plus graves que par le passé dans un certain nombre de régions. Le second est lié à la fonte des glaciers, à l’augmentation du niveau de la mer et à la disparition annoncée d’un certain nombre de territoires. De ce point de vue, nous ne sommes pas dans une situation d’urgence absolue qui devrait nous faire oublier tout le reste : d’après les observations actuelles, la peur de voir des territoires envahis par les eaux demain n’est nullement fondée. Dire le contraire relève d’une manipulation des résultats scientifiques. En revanche, les phénomènes climatiques de dérèglement sont une véritable urgence. Mais, il faut y regarder de plus près, car le gaz carbonique (CO2) n’est pas l’unique élément dans l’équation. L’urbanisation – avec le béton et l’asphalte – et la déforestation (tous deux liés à la démographie galopante de l’humanité) devraient être prises en compte. En réalité, le nombre d’individus a augmenté de façon dramatique, ce qui a conduit à une urbanisation délirante et une augmentation générale de l’activité. C’est cette transformation-là qui est la cause de nos difficultés. La planète peut probablement supporter sept ou huit milliards d’individus – s’ils ne vivent pas comme des Américains –, mais difficilement le double. Voilà le défi.

Mais le réchauffement risque de déréguler les courants océaniques et de tuer des ensembles coralliens, deux phénomènes dont les conséquences sur la viabilité de la planète sont catastrophiques !

Votre propos relève du catastrophisme ! L’homme s’est toujours servi de la nature à son profit en la transformant, et c’est pourquoi la science s’est autant développée. Lorsqu’il y a péril, il trouve les moyens de réagir. Le catastrophisme a conduit les COP successives à vouloir contraindre la population de la planète à changer de mode de vie et à diminuer les émissions de CO2 pour maintenir la planète à peu près à l’état actuel en condamnant les énergies fossiles. Or, je préconise, d’une part, de contenir la croissance démographique grâce à l’éducation et à la mise à disposition d’une énergie abondante et bon marché, et, d’autre part, d’utiliser les résultats de la recherche pour piéger ou utiliser le CO2.

Focalisons-nous sur la pierre angulaire du débat sur le climat, l’énergie, qui est d’ailleurs votre métier.

J’ai en effet été dans le nucléaire, le pétrole, l’hydraulique, le ferroviaire, le stockage électrochimique et les énergies nouvelles. Lors du choc pétrolier de 1973, j’ai été un des artisans du rapport qui a conduit à la création du Commissariat à l’énergie solaire (Comes). J’ai étudié – et pratiqué – l’ensemble des alternatives énergétiques.

Commençons donc par les hydrocarbures : sommes-nous proches de l’épuisement des réserves pétrolières mondiales ?

Pour répondre à cette question, il suffit de se souvenir d’une idée simple : ce qui est rare est cher. Donc si le pétrole ou le gaz naturel sont rares, pourquoi ne sont-ils pas chers ? Le baril en prix indexé coûte moins qu’en 1973 !

Pourquoi ?

Parce que derrière les gisements actuels – de gaz, de pétrole et de charbon –, il y a des réserves énormes, plus chères à exploiter. Mais si le prix du baril augmente, cela devient alors rentable de les exploiter, et ensuite l’expérience de la production conduit à une baisse des coûts. Donc si le prix augmente, les réserves augmentent ! Lorsque j’avais commencé à exploiter des gisements de pétrole en eaux profondes en Angola, le baril avait un prix de sortie équivalent au prix de vente. Aujourd’hui, par rapport à ce qui se pratiquait à l’époque, le coût a été divisé par trois. Nous avons tout simplement appris à le faire moins cher.

Il y aura donc toujours du gaz et du pétrole dans le sous-sol demain. Mais, à un moment donné, le gaz et le pétrole vont devenir plus chers que les énergies alternatives, donc économiquement sans intérêt. Par conséquent, ils ne seront plus utilisés que pour l’industrie. Mais nous en sommes loin, une bonne centaine d’années…

A lire aussi: Elisabeth Lévy – Climat: les missionnaires de l’Apocalypse

Donc aussi longtemps que le baril de pétrole restera autour de 50, 60 ou 70 dollars, la transformation énergétique sera une chimère ?

Tout à fait. La transition énergétique dépend du renchérissement et de la raréfaction des hydrocarbures d’un côté et du prix des alternatives de l’autre. Si on décide de produire ces énergies avant qu’elles soient au bon prix, on devient un laboratoire pour le futur, mais ce laboratoire, il faut le payer. Et il faut être très riche.

Sommes-nous obligés d’attendre que le marché fasse le travail ? Et si les gouvernements intervenaient à travers la fiscalisation pour fixer les prix ?

Cela peut avoir une efficacité dans des pays développés sur certains points, mais ce n’est absolument pas une solution globale, tout simplement parce qu’il n’y a pas de politique incitative mondiale. Il n’y a pas de gouvernement mondial et donc ça ne marchera pas ! Les différents pays ne vivent pas de la même façon ! Et si vous essayez de renchérir artificiellement une marchandise, c’est voué à l’échec. Tôt ou tard, l’offre et la demande vont se retrouver. La Pologne étant riche en charbon, elle fabrique des centrales à charbon pour produire de l’électricité tout en essayant de diminuer leurs émissions de pollution et d’augmenter leur rendement. Aussi longtemps que c’est rentable, il est illusoire d’attendre d’eux qu’ils s’arrêtent.

Il existe aujourd’hui en France cinq centrales à charbon. Faut-il les fermer d’ici 2022 comme le souhaite le gouvernement ?

Toute la question est de savoir par quoi elles seront remplacées. Elles servent à produire lors des pics de consommation, comme les centrales à gaz. Ces centrales thermiques sont les seules à assurer une disponibilité rapide et abondante. Elles ne peuvent pas être remplacées par les énergies renouvelables, solaire et éolienne, qui sont intermittentes et chères. Quant à l’hydraulique, on en exploite déjà tout le potentiel et cela représente 11 % de notre bilan énergétique. Si on rappelle que 75 % de notre production d’électricité vient du nucléaire, on ne réduira pas le poids de ce dernier uniquement avec du renouvelable, ça ne marchera pas. Diminuer la part du charbon revient à augmenter celle du gaz, pourquoi pas, mais il faudra remplacer des installations amorties par de nouveaux investissements ! Avons-nous les moyens de gaspiller notre argent ?

Tout cela concerne l’électricité. Quid du transport ? La politique actuelle se fixe pour objectif la fin du moteur thermodynamique à 2030. Où trouverons-nous de l’électricité pour faire marcher toutes ces voitures électriques ?

Pour répondre à cette demande, il faut construire beaucoup de centrales et vite ! Or, aujourd’hui, personne n’y travaille parce que ce n’est même pas envisageable. Techniquement, c’est impossible. Le discours du gouvernement sur ce sujet est donc un mensonge. C’est une expression purement idéologique : il n’existe pas, aujourd’hui, de possibilité de changer en dix ans l’ensemble du parc automobile, de diminuer le nucléaire, de ne pas utiliser les énergies fossiles… Les objectifs fixés ou suggérés par le gouvernement dans ce domaine relèvent de la politique-fiction qui nous mène dans le mur, en particulier parce que notre industrie comme notre population n’y sont pas prêtes ! Cette idéologie de l’écologie politique française est responsable entre autres de la révolte des gilets jaunes.

Avez-vous une piste plus prometteuse pour une transition énergétique raisonnable ?

En ce qui concerne les énergies renouvelables, plutôt que de faire des « fermes » utilisant une surface au sol importante, il faut réfléchir aux installations plus modestes et aux circuits courts. Les rendements énergétiques sont loin du 100 % et, donc, on n’a jamais intérêt à effectuer plusieurs transformations. Par exemple, il faut utiliser directement le méthane produit par des déchets organiques plutôt que l’envoyer ailleurs sous une autre forme, par exemple électrique ; un toit animé par des panneaux photovoltaïques devrait apporter de l’électricité dans son environnement immédiat, et ainsi de suite. Sous prétexte de consommer de l’« électricité verte » à tout prix, on crée des absurdités dont les rendements sont insignifiants – ainsi parle-t-on d’hydrogène « vert » issu des déchets ! Stupide ! Autrement dit, il faut évoluer vers un système décentralisé où des consommateurs, notamment les particuliers, produisent leur propre énergie. C’est une révolution qui implique fortement l’urbanisme et le BTP, car la plupart des maisons pourraient devenir autonomes en énergie. C’est compliqué, car nous voulons aussi avoir l’assurance de ne pas avoir de coupures de courant ! Il faut donc un réseau puissant qui dispose de capacités importantes et mobilisables, c’est-à-dire que la multiplication de sources nombreuses d’énergies renouvelables va nécessairement avec le maintien d’une industrie nucléaire, hydraulique et thermique, un mix énergétique. Écoutons les techniciens et non les idéologues, car ces derniers nous préparent des difficultés lors des pics de consommation. En ce qui concerne les panneaux solaires, je rappelle que leur multiplication exigerait que nous ayons l’industrie nationale correspondante, nous ne pouvons pas préconiser des solutions techniques qui conduisent à importer massivement des matériels que nous ne produisons pas tandis que des usines ferment dans notre pays. La responsabilité dans l’énergie, c’est aussi de prendre en compte et de favoriser la production nationale des matériels.

Pourquoi pas, en ce cas, le tout-nucléaire ou un mix nucléaire/énergies renouvelables ?

Le nucléaire pose un autre problème : c’est bon et pas cher si ça tourne toujours à 100 %. Techniquement, un fonctionnement modulable est possible mais, outre qu’il est beaucoup moins rentable, il fragilise la centrale et raccourcit sa durée de vie de plusieurs décennies. C’est pourquoi on utilise l’énergie produite dans les heures de basse consommation pour remplir les barrages qui sont les piles électriques de la France. C’est là où la production thermique entre en jeu : c’est souple et cela assure l’approvisionnement pendant les pics de consommation ! Il faut du thermique pour donner un coup de pouce, c’est le back-up du système. C’est pourquoi ces centrales coûtent cher : elles ne sont que très peu utilisées. C’est le prix de l’assurance…

A lire aussi: « L’agriculture s’est complètement affranchie de la nature »

Quelle stratégie préconisez-vous pour une évolution énergétique ? 

Le nœud du problème est lié à la démographie et à l’urbanisme, et c’est à partir de ces deux éléments qu’il faut construire les solutions. Il faut revenir à la raison. Or, la raison commande de travailler sur les circuits courts pour assurer un approvisionnement à prix économique. Prenons l’exemple de Cordemais, la centrale à charbon près de Nantes. Il faut la garder comme solution de sauvegarde pour la Bretagne tout en encourageant les gens qui veulent faire des circuits courts. N’encourageons surtout pas les grands parcs éoliens : c’est du racket de subventions ! Ce qu’on est en train d’organiser avec les parcs éoliens en mer est une absurdité technique, économique et financière, aucun parc éolien ne peut remplacer une centrale thermique !

Deuxième élément d’évolution important : la pollution – qui n’a rien à voir avec le climat. La pollution nous oblige à appréhender autrement la ville, en réfléchissant à la logique des circuits courts, aux habitations énergétiquement autonomes et à la grande question démographique. C’est très compliqué, car l’urbanisation s’est concentrée dans des métropoles, qui ont vu les services publics se développer et les prix de l’immobilier grimper. Ceux qui ont moins d’argent quittent la métropole pour la périphérie et sont taxés de pollueurs parce qu’ils utilisent leurs voitures pour avoir accès aux services publics et aux emplois de la métropole… On ne peut pas vouloir une chose et son contraire : évacuer les classes moyennes dans les périphéries, et en même temps leur interdire d’accéder facilement et pour pas cher aux centres-villes. C’est ce qui arrive aujourd’hui à Paris et à Bordeaux, deux des villes qui ont été les plus visées par les gilets jaunes…

Mars 2019 - Causeur #66

Article extrait du Magazine Causeur




Article précédent Alain Destexhe: « Je rêve encore de la Belgique de Papa »
Article suivant Christchurch, du « grand remplacement » à la grande récupération
est historien et directeur de la publication de Causeur.

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération