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Un jour la démocratie viendra…


Photo : http://www.ndf.fr

À 15 ans, et même à 20, la démocratie ne me faisait pas bander. Concevoir qu’une forme politique, quelle qu’elle fût, pût résoudre cette tragédie métaphysique qui s’appelle l’homme était au-dessus de mes forces. Peut-être est-on trop sérieux à cet âge-là, mais un gouvernement fondé sur l’accumulation des désirs d’une plèbe dont on connaît assez, pour la fréquenter tous les jours, la misère intérieure et l’appétit du ventre − quand ce n’est pas du bas-ventre − ne réjouit pas la glande pinéale. Si j’arrivais assez bien à comprendre, comme tout adolescent ou jeune homme, c’est-à-dire comme tout romantique, qu’un peuple ait pu se battre et mourir pour sa liberté, je n’admettais pas que la conclusion logique de cette grandiose révolte put être le régime parlementaro-présidentiel dans lequel l’affairiste Mitterrand disputait la palme de l’héroïsme au robotique Chirac. Non, vraiment, je n’y voyais rien à admirer, pas plus qu’à aimer. Enfant, déjà, j’avais peur de la petite main jaune qu’Harlem et ses potes voulaient nous coller au revers de l’anorak comme un symbole rituel. Elle figurait pour moi notre entrée dans ce monde de la démocratie, et j’aurais crevé plutôt que d’en être.

J’en avais déduit assez naturellement, et sans que ma culture familiale y soit étrangère, qu’il valait mieux devant le mal éternel choisir la meilleure part, c’est-à-dire celle de la gloire, de l’honneur et de la grandeur. Et à la notable exception de de Gaulle, dans l’histoire de ma France, ces trois-là n’étaient pas du côté des démocrates.[access capability= »lire_inedits »] Je voyais toujours, roulant dans le panier avec la tête du roi, l’idéal d’une immense nation qui avait dominé les peuples, les arts, les lois et les armes comme aucune autre. Oh, je n’étais pas féru de tyrannie ni de régime fort : au contraire, je disais après beaucoup d’autres que c’étaient la douceur et l’harmonie et la mesure françaises qui avaient disparu au matin sanglant de la République. Contrairement à Lancelot, je ne voulais pas monter dans la charrette−fût-ce pour sauver la dame Égalité.

Et puis j’ai grandi. Mon idéal ne s’est pas affaibli, au contraire, il a crû et la charité qu’il portait en lui dès la naissance a engendré une semence de liberté. Et j’ai peu à peu appris ce que le mot « démocratie » pouvait aussi signifier. Il n’y avait pas que l’abominable régime des partis, le jeu funeste des repus se disputant la dépouille d’une patrie départementalisée, cantonalisée, régionalisée, européanisée et, enfin, mondialisée ; il n’y avait pas seulement l’idéologie de la table rase des technocrates vaguement kantisés, mais aussi l’aspiration à une communauté libre et égalitaire − aspiration toujours déçue et jamais vaincue. Il y avait aussi un mouvement du destin qui portait la personne humaine à incandescence, jusqu’à un statut éminent qu’aucune société n’avait politiquement et aussi radicalement envisagé.

Reste une question, toujours la même depuis plus de deux siècles et toujours plus épineuse : comment expliquer que les deux siècles démocratiques aient été ceux de l’exploitation du travailleur, des guerres mondiales et de l’oppression de régimes totalitaires − les pires que l’humanité ait connus sans doute ?

La porte enfoncée par les révolutions donnait à la fois sur un sentier noble et escarpé et sur un boulevard de crime et de dévastation. Les moments historiques où nous avons choisi le sentier étroit sont rares : ils sont la grandeur de la démocratie − pour autant que l’on parvienne à la définir au moins à grands traits. Cette idée qui a changé la face du monde a enfanté l’abomination − elle mène Hitler au pouvoir, chose impensable dans l’Empire germanique antérieur − comme la plus haute justice − la Déclaration des droits de l’homme de 1948, par exemple.
On peut défier les dieux, mais au risque du chaos, disaient les Anciens. Le tort de la modernité aura été d’ignorer cette leçon. Son génie aura été d’en affronter les conséquences.

La démocratie que nous continuons d’appeler de nos vœux, et dont quelques signaux nous font croire qu’elle peut exister, n’a pas grand-chose à voir avec ce qu’on désigne par ce mot. Serait-ce d’élire son président au suffrage universel ? Les lois de séparation de 1905 ? Mille exemples de régimes étrangers prouvent le contraire. Couper la tête du roi ? Encore une fois, l’inverse se voit juste derrière nos frontières. Serait-ce la relativité des croyances et des opinions ? Non, mille fois non, et combien de lois de la République s’y opposent ?
Alors quoi ? L’égalité des classes devant l’impôt : certainement. L’égalité de tous les citoyens devant la loi : oui, mille fois oui. La liberté d’entreprendre : vraisemblablement. C’est donc que la démocratie, c’est d’abord l’idée de justice, mais de justice véritable, c’est-à-dire ordonnée, donc référée à une autorité supérieure − qui peut être une croyance ou une foi, mais qui doit sa dignité particulière à son accord constant avec la raison.

Seulement, il arrive que la raison, laissée à elle-même, vacille et se retourne contre l’homme − particulièrement quand elle est identifiée à la seule science comme ce fut le cas aux XIXe et XXe siècles. Ou encore quand elle se résout en formules économiques. Ou encore quand il est admis qu’elle se répande par la force. Raison, que de crimes on a commis en ton nom ! C’est ici que le chaos menace. C’est ici qu’il faut nécessairement en appeler à quelque chose de supérieur, sur lequel aucun accord général n’a été trouvé en deux cents ans. Et sur la possibilité duquel les doutes s’accroissent chaque jour.

En réalité, contrairement à la vulgate qui veut que la démocratie soit le régime de la différence et des opinions diverses, il est de plus en plus évident que cette belle idée réclame, pour se construire et se poursuivre, une unité de civilisation. Les Suisses nous en administrent la preuve depuis cinq cents ans et nous refusons de l’admettre. Aussi, au temps du métissage et des France « diverses », il est patent que les jours de la démocratie sont comptés. Elle reste une espérance.[/access]

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Janvier 2012 . N°43

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste.

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