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Recherche vote ouvrier désespérément


Photo : pierre-alain dorange

Metz et Gandrange sont devenues depuis peu le centre du monde. Marine y débuta sa campagne, Nicolas vint y présenter ses vœux, François y était, Corinne y passa plus discrètement et voici que Jean-Luc investit le Palais des Sports flanqué de son alter-ego d’outre-Sarre Oskar Lafontaine. Metz et Gandrange sont les étapes obligées du candidat en tant que lieux paradigmatiques des promesses sarkozyennes non tenues, de l’hémorragie militaire à l’aciérie bientôt mangée par la rouille.

C’est une adjointe au maire socialiste de Metz qui vient introduire le meeting, se félicitant au passage du bonheur radieux qui remplace la torpeur livide ayant enserré la malheureuse ville durant les 36 années du règne d’un minotier de droite (frissons d’horreur dans la foule), véritable satrape qui avouait préférer Claude François à Stockhausen…

La salle est rapidement comble, seul le service d’ordre est basané, quelques drapeaux tricolores semblent égarés dans une voilure à dominante rouge. L’adjointe annonce fièrement que nous sommes 2500 et cela m’effraie un tantinet, moi qui ne suis pas allé dans un meeting politique depuis Juquin en 1988 ! Elle s’attarde sur la splendeur festive du renouveau socialiste, la multiplication des vélos, les cantines scolaires et l’animation culturelle obligatoire pour tous, puis passe la parole à l’Oskar (passons sur les trois films éducatifs pour attardés qui tiennent lieu d’entracte). Oskar c’est l’amitié rouge franco-allemande. Avec son bel accent teuton, il dénonce Merkozy (la salle fait houuuu), tempête contre le coup de couteau dans le dos des souverainetés populaires, cite Rosa Luxemburg et fustige les marchés jamais rassasiés auxquels il faut couper l’appétit (applaudissements nourris). Puis il annonce la création d’un fonds de développement et la tenue d’un sommet alternatif européen avant de souhaiter une belle victoire à son ami Jean-Luc auquel il cède la place. Je suis déçu, j’attendais une jam session et c’est chacun son tour.

Jean-Luc s’avance enfin, bel orateur, la fibre tribunicienne avec des éclats comme tous les éloquents, flagorneur, populiste assumé et ça c’est plutôt aimable : séduction de cette absence d’humilité du camarade qui vous parle d’égal à égal avant de vous mettre une balle dans la nuque.

Une heure durant, il va articuler son discours autour de deux axes : l’opposition à la finance et le repoussoir du Front National[1. Sur la « semi-démente », je vous renvoie à l’article de David Desgouilles qui dit les choses comme il faut les dire.]. A ce propos, il sait sur quelles terres il vient chasser, beaucoup d’ouvriers et tout particulièrement dans cette Lorraine désindustrialisée votent Le Pen, d’autant plus que l’immigration, ici, fut massive. Les anciens fiefs communistes sont tombés les uns après les autres comme les cheminées des usines. « Le rouge est de retour-la classe ouvrière est le moteur de l’Histoire ; la planification écologique-le contrôle des loyers ; 14 tranches d’impôts ; le smic à 1700 euros ; maintenir la retraite à 60 ans coûte que coûte ; relativiser la dette ; la relance de l’activité non productiviste » : autant de thèmes d’un programme syncrétique qui se balade quelque part entre le bon sens paysan et la vieille rhétorique marxiste saupoudrée d’altermondialisme (Chavez, Morales) et de morale scolaire.

Ca ne sent pas le laogai[2. Camp de « rééducation » communiste chinois.] mais la solidarité un peu factice. La ferveur du public est celle d’amateurs convaincus. Pendant ce temps, Méluche gesticule, hausse le ton, cause en clin d’œil comme-à-des-potes, fait des blagues, manie le witz et les ficelles scéniques en excellent acteur qu’il est.

« Place au Peuple-l’Humain d’abord » : le double exergue du Front de Gauche propose une synthèse non dogmatique (quoique…) de ferveur communiste, de solidarité ouvrière, de justice sociale, d’humanisme petit-bourgeois et d’autogestion qui veut ratisser large, dans une sauce sans histoire, comme si le communisme réel n’avait jamais vécu ! Ne restent que les acquis des luttes ouvrières à scander comme des mantras avec les bons mots à faire pleurer les foules en lutte: « Nous sommes les partageux », « Ici vous êtes chez les Gaulois de toutes les couleurs » histoire de réaffirmer que la gauche, la vraie, celle qui a de vrais morceaux d’ouvriers dedans, aime tout le monde et que toutes ces histoires autour de prières de rue ça n’est que de la propagande pour l’Ennemi Intérieur, le vrai, le Front national.

Tout ça me laisse une désagréable impression de bourrage de crâne réitéré. Religieusement, Mélenchon nous dit : n’ayez pas peur, communiez, vous êtes le Peuple, les républicains rouges invisibles, car dans les médias on ne voit que les « belles personnes » : ça fait froid dans le dos, non?

Il est pourtant deux points sur lesquels je l’ai trouvé non pas convaincant mais brillamment juste : primo la « hiérarchie des normes » soit la priorité de la loi sur l’accord, bonne pédagogie du refus d’une république contractuelle et corporatiste, qui hélas perdure[3. L’occasion pour lui d’évoquer on désaccord avec le camarade Hollande, le seul moment durant lequel il aura cité un de ses concurrents de gauche.]. Secundo, l’importance stratégique de la formation professionnelle. Là on sent qu’il est dans son domaine. Je me souviens d’ailleurs de l’enthousiasme d’un ami directeur de CFA, plutôt de droite, lorsqu’il avait reçu la visite de Mélenchon, alors ministre de Jospin en charge de ce secteur sinistré.

Le spectacle s’achève dans la joie-camarade, la fraternité riante en lutte contre la financiarisation, la ploutocratie américano-sioniste, non là je confonds, il n’affuble pas la loi de 1973 du nom de Rothschild comme le font hypocritement ses amis d’Attac : Mélenchon est malin et en campagne ! Revenant à ses premières amours, il cite Victor Hugo, les larmes aux yeux puis Rousseau « avec de l’argent on fait tout sauf des citoyens ».

L’Internationale retentit et toute la salle chante poing levé, j’ai presque envie de trouver cela beau, puis nous entonnons la Marseillaise que personne n’ose siffler : c’est réellement beau. Décidément, le rouge n’est pas ma couleur préférée…



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