Accueil Culture « America »: la révolte des « lamentables » qui ont voté pour Trump

« America »: la révolte des « lamentables » qui ont voté pour Trump

Un documentaire en immersion dans l'Amérique des "petits blancs"


« America »: la révolte des « lamentables » qui ont voté pour Trump
"America" (2017), un documentaire de Claus Drexel sur l'Amérique qui a voté pour Trump. ©Diaphana

America, le documentaire de Claus Drexel, plonge au cœur de l’Amérique des « petits blancs », méprisés par Hillary Clinton, qui ont porté Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. 


Il faut avoir un culot monstre pour intituler America un documentaire consacré à l’exploration d’une bourgade de 450 habitants isolée sur les hauts plateaux du nord de l’Arizona, située à deux heures de route de la première agglomération digne du nom de ville. Cette provocation n’est pourtant ni gratuite, ni frivole : l’Amérique, aux yeux du réalisateur franco-allemand, Claus Drexel, ne peut se comprendre si l’on passe à coté des lieux et des gens vivant et pensant à l’écart des métropoles, parce qu’ils sont nés là, ou qu’ils ont choisi de s’y établir après un parcours de vie chaotique.

Racistes, réacs, incultes, grossiers…

L’intuition du réalisateur a été la bonne : dès que Claus Drexel a pris connaissance de la nomination de Donald Trump comme candidat républicain à la présidence des Etats-Unis, il s’est immergé pendant sept mois, avec son équipe, à Seligman, une localité symbolique de cette Amérique périphérique, réputée réactionnaire, raciste, celle du « white trash », cette racaille blanche qui s’est rassemblée, à la surprise générale, pour imposer un bouffon narcissique, inculte et grossier dans la dernière ligne droite de la course à la Maison Blanche.

Claus Drexel serait, selon ses biographes, un lointain descendant de Martin Luther. De son illustre ancêtre, il a dû hériter de la conviction que tout individu porte la responsabilité de son salut, donc de la conduite de son existence. Cela lui épargne les lunettes déformantes de l’idéologie expliquant le monde par la dichotomie entre les dominants et les dominés, et lui permet de filmer avec empathie des gens qui assument crânement des opinions, des valeurs et des comportements suscitant l’opprobre des élites éclairées, conscientes de leur supériorité morale dans tous les domaines. Comment peut-on être un fan des armes à feu, favorable à la peine de mort, réticent à légaliser l’IVG, opposé au mariage gay sans être au pire une ordure, au mieux une victime de l’aliénation propre au « lumpenproletariat » stigmatisé par Marx et Engels ?

L’Amérique, leur trésor

Vu de Seligman, avec l’œil de Claus Drexel, l’affaire est moins simple que l’on voudrait nous le faire croire. Au fil des entretiens en situation, chez eux, dans les bars, ou dans les magnifiques espaces du nord de l’Arizona, on découvre que ces gens-là, pour la plupart des cabossés de la vie, survivant grâce à des petits boulots de barmans, serveuses, garçons de ferme, fossoyeurs, ou titulaire de retraites trop minimes pour rester en ville possèdent un trésor : l’Amérique dont ils se sentent les gardiens de l’âme en préservant leur liberté, dans tous les domaines.

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Posséder des armes n’est pas négociable : « Si quelqu’un vient tirer dans mon bar qu’est ce que je fais ? Appeler la police ? Elle mettra au moins deux heures à venir, si elle vient ! Ici tout le monde est armé, et un agresseur sait qu’il sera descendu s’il s’avise de déconner… », constate le mastroquet. Sandy, infirmière militaire à la retraite, caresse amoureusement sa « beauté noire », un pistolet couleur ébène qui ne la quitte jamais. Réglementer le port d’armes ? « Vous n’y pensez pas ! Ici c’est l’Arizona ! », fulmine cette jeune maman, qui estime qu’à cinq ans son fils sera en mesure de commencer son entraînement de fine gâchette.

La fierté des pauvres

En fond sonore, on entend les retransmissions radios des meetings des candidats à la présidence. Donald Trump : « Je serai le plus grand président que l’Amérique n’a jamais eu ! » A Seligman, on rigole. Gonflé le mec ! On le croit à moitié, ou au quart, mais au moins il sait nous causer et nous distraire ! La dame noire qui est venue s’installer à Seligman en raison du climat sec ne votera pas pour lui, mais pas pour Hillary Clinton. Elle était fan de Bernie Sanders. A la radio Hillary Clinton s’emballe : « La moitié des électeurs de mon concurrent sont un ramassis de lamentables (a basket of deplorables) xénophobes, homophobes, islamophobes ! »

Là, ça leur reste en travers de la gorge : à Seligman, c’est Angel Paladillo, 90 ans, ancien barbier fils d’immigrants mexicains qui a sauvé le village dans les années 1980 en relançant le tourisme nostalgique sur la mythique route 66. Un ferrailleur barbu et patriote présente fièrement sa quatrième épouse, une afro-américaine, à la caméra… Tous ces gens-là, à la différence des « oubliés » européens de la mondialisation ne demandent pas à l’Etat de les prendre en charge, d’assurer l’égalité des territoires et des conditions. Ils ont la fierté des pauvres, l’arrogance de ceux qui pensent avoir choisi leur destin. A la fin du film, Trump est élu, et Seligman restera Seligman, le plus beau pays du monde.

America, un film de Claus Drexel, toujours à l’affiche dans quelques salles à Paris et dans quelques grandes villes…

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